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Les Brissotins n'avoient actuellement d'autre vue que de se défaire de tous les Maratistes, que de les faire tous tomber sous le fer de la guillotine, sauf à délibérer ensuite sur les destinées qu'on donneroit à la France. La longue suite d'assassinats dont ils s'étoientsouillés, et qu'ils avoient commandés nonseulement en France, mais encore dans nos îles, prouvoient aux maratistes qu'ils étoient perdus, s'ils ne l'emportoient pas. Ceux-ci en conséquence pour que la victoire leur restât, employoient contre leurs adversaires, les mêmes moyens dont ces derniers s'étoient servis lorsqu'ils avoient été les maîtres. Libelles, dénonciations calomnieuses, visites domiciliaires, pillages, insurrections, meurtres; ils mirent en usage contre les Brissotins, toutes les inventions des Brissotins et d'Orléans payoit tous ces excès.

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Le prince se ruina complettement; il résulta de ses profusions sans bornes, une masse de dettes effroyable. La duchesse son épouse gémissoit en silence depuis le commencement de la révolution, sur les forfaits de son époux. Naturellement timide, et connoissant mieux qu'un autre toute la férocité de ce tigre, elle n'osoit lui présenter aucune réclamation; elle trembloit à son aspect. Depuis longtems elle fuyoit sa présence; elle s'étoit retirée à Vernon auprès de son père. Le duc de Penthiévre l'un des hommes le plus verfueux de son siècle, et doué d'une sensibilité exquise, étoit tombé dans un état mor

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tel de langueur en apprenant l'horrible fin de la princesse de Lamballe sa belle-fille. Sentant approcher sa dernière heure, et étant instruit que depuis la mort de, Louis XVI, son infâme gendre avoit perdu tout crédit même parmi les scélérats, exhorta sa fille à se séparer de biens avec son indigne époux. Elle en fit en effet la demande, et fut exaucée. D'Orléans n'v apporta aucun obstacle. Le duc de Pentiévre mourut deux jours après. Jamais prince ne mérita plus d'être regretté. Religieux, bon, conipatissant, père de tous malheureux, protecteur des écrivains sages, ami sûr et fidèle, excellent parent, il donna à son siècle pendant tout le cours de sa vie, et sans se démentir un seul instant, l'exemple des vertus les plus aimables comme les plus solides.

Dès que d'Orléans fut instruit de la mort du duc de Penthiévre, il cournt à Vernon, pour arracher tout ce qu'il pourroit de la riche succession de son beau-père, mais ce n'étoit plus pour lui qu'il recueilloit. Le duc de Penthièvre étoit mort le 4 mars 1793, et dès le 9 au soir, Denton, Robespierre, Marat et quelques autres misérables de ce parti, vinrent trouver d'Orléans, pour le dépouiller des bijoux et de l'or qu'il avoit apportés de Vernon. Ils lui contèrent qu'ils devoient dans la nuit même, exciter un mouvenient à la faveur duquel il seroit le lendemain matin, proclamé dans l'hôtel-de-ville lieutenant général de la république. D'Or

léans pour l'exécution de ce dessein, donna ce qui lui restoit de richesses.

Le lendemain matin, il y eut bien en effet dans Paris quelque mouvement, comme il ne cessoit d'y en avoir depuis la mort de Louis XVI, et le but de ces agitations étoit toujours de faire égorger dans une insurrection générale, tous ceux qu'on appelloit fédéralistes. Mais d'orléans ne parut point à l'hôtel-de-ville. Les maratistes répandirent qu'au moment de s'y rendre, il avoit manqué de résolution', et s'étoit évanoui.

Depuis cette époque, le prince devint absolument indifférent aux maratistes. Sans renoncer ouvertement à toute relation avec lui, ils se mirent en état de l'abandonner au premier évènement qui leur en présenteroit le prétexte. Il ne pouvoit plus en effet leur être d'aucune utilité, dès qu'il n'avoit plus rien à leur donner.

L'étoile de d'Orléans avoit pâli. Dumouriez qui n'avoit rien pu faire à Paris, acheva de ruiner les affaires du Prince, lorsqu'il eut rejoint son armée. Mettant dans cette cir constance, toute l'impétuosité de son caractère naturellement ardent, il ne laissa point mûrir les germes d'insurrection qu'il avoit semés parmi ses soldats. Il voulut brasquer l'affaire, et se comporta en vrai héros de roman. Il ne se proposoit pas moins que de marcher sur Paris avec son armée, de prendre cette capitale de vive force, de dissoudre la convention nationale, et de placer

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d'Orléans sur le trône. Il se tenoit si sûr du succès, qu'il arrêta un ministre et des dé putés que l'assemblée lui envoyoit pour prévenir la guerre qu'il alloit lui faire. Au moment de l'exécution, ses troupes l'abandonnèrent. Il ne lui resta que quelques officiers et un régiment de hnssards. N'ayant pas un moment à perdre, il se fit jour avec cette foible escorte à travers quatre bataillons et une grêle de coups de fusil; il parvint en droiture à la tente du général autrichien auquel il livra les membres de l'assemblée et le ministre qu'il avoit fait prisonnier.Le fils aîné de d'Orléans, la femme Sillery, Valence et les autres principaux chefs de la faction orléaniste suivirent Dumouriez sur le territoire étranger.

Sa désertion laissa d'Orléans sans ressource et sans espoir. Dès ce moment, ce ne fut plus pour ce prince que l'on conspira. J'ai fini l'histoire de ses crimes, je vais tracer celle de son supplice. Il lui fut donné de soulever la France, de remuer l'Europe • entière, de tromper les peuples, comme le dit l'immortel Bossuet de Cromwel, de prévalair contre les rois. Quand Dieu, dit le même orateur, a choisi quelqu'un pour étre l'instrument de ses desseins, rien n'en arrête le cours ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de résistance. Ainsi la providence se voile quelquefois sous les succès des ministres de ses vengeances; mais tôt ou tard

elle se découvre et se justifie aux yeux des hommes. Jamais peut-être sa justice et sa puissance ne se manifestèrent avec plus d'éclat que dans les châtimens qu'elle exerça sur d'Orléans. Ce qui me reste à raconter de la vie publique de ce prince, va présenter une preuve à jamais mémorable de cette vérité, et c'est aux novaleurs, aux artisans des révolutions que je la présente.

Fin du dix-septième Livre.

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