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quittèrent de cette fonction avec l'insensibilité des bêtes féroces. >>

ment

Louis conserva jusqu'au dernier mo→ & ce courage visiblement surnaturel à l'homme. Il marcha à la mort, et la recut avec un tel calme, avec une telle sérénité, qu'on voyoit bien que la religion l'investissoit dans ces terribles momens, d'une force céleste, et l'enivroit déja du bonheur promis à l'homme juste. J'atteste que voici quelles furent à l'instant de recevoir le coup fatal, ses dernières paroles: JE souhaite

QUE MON SANG PUISSE CIMENTER LE BONHEUR DES FRANÇOIS. Ainsi son dernier cri, son dernier vœu fut pour les François. Pendant sa prison au Temple, il témoigna beaucoup d'intérêt et d'affection aux Parisiens. Il vouloit qu'on sût qu'il étoit loin de leur attribuer les scènes qui se passoient parmi eux., et ses propres malheurs. Je sais qu'en mourant, il lui eût été doux de leur faire ses derniers adieux, et de leur donner sa dernière bénédiction. Mais un homme féroce (1) lui arracha cette consolation, en ordonnant le roulement continuel des tambours.

Le sacrifice se fit entre la statue Louis XV

(1) On croit généralement que cet homme féroce ce fut Santerre, on est dans l'erreur : Santerre ne put retenir ses larmes. Il n'est pas tems encore de dire le nom du monstre qui priva Louis de donner aux Parisiens un dernier témoignage d'intérêt.

et

et les Champs-Elysées. Pendant qu'on immoloit l'auguste victime, d'Orléans se tenoit dans un cabriolet sur le pont Louis XV1.H contempla froidement tous les apprêts de l'exécution. Des témoins oculaires qui l'ob servoient attentivement, disent que lorsque la tête fut séparée du tronc, le sourire se plaça sur ses lèvres, on vit, dit-on, brillec dans ses yeux sanglans une joie féroce. Il resta sur le pont jusqu'à ce que le corps eût été emporté. Alors il gagna son Palais-Royal où il monta dans une voiture élégante attelée à six chevaux bais, et alla dîner au Rincy, l'une de ses maisons de plaisance. Il y avoit convié quelques-uns des principaux conjurés, et il se félicita sans doute avec eux de ce qu'après quatre années de forfaits, il étoit enfin parvenu à obtenir la mort du monarque qu'il croyoit remplacer.

Le ciel ne permit pas que d'Orléans montât sur ce trône d'où il avoit précipité Louis XVI. D'Orléans pour accaparer des voix en faveur de l'arrêt de mort, s'étoit servi de Saint-Fargeau, et celui-ci précéda' Louis au tombeau. Dans les révolutions des empires', les mêmes causes produisent presque toujours les mêmes effets. Saint-Fargeau périt comme Bradshaw. La veille de la mort de Louis, il dînoit chez un restaurateur du Palais-Royal, Un homme l'aborde, et lui dit : « Saint-Fargeau vous aviez donné votre parole d'honneur que vous et vingt-cinq de vos amis ne voteriez pas la mort du roi. Vous avez vendu Tome III. Q

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votre suffrage et celui de vos amis. Reçois, misérable le prix de ton parjure. » En disant cela, cet homme plonge son sabre dans le coeur de Saint-Fargeau, et s'évade. SaintFargeau tombe, et expire sur-le-champ. On a supposé qu'il avoit dit de fort belles paroles en rendant le dernier soupir. La vérité est qu'il ne proféra que ces deux seuls mots: j'ai froid.

Quant à d'Orléans, il avoit vu enfin le 21 janvier tomber cette tête contre laquelle it conspiroit depuis si long-tems, et dès le 22 son supplice, un supplice effroyable commença pour lui. Le repos l'abandonna pour toujours. Il se crut environné d'assassins. Il se revêtit d'une cuirasse. Il se retiroit pendant la nuit dans les appartemens les plus secrets de son palais, et à l'exemple de Cromwel, il ne coucha plus deux fois dans le même lit. Il remplit son jardin, ses cours, l'intérieur de sa demeure de brigands qu'il payoit chèrement, et dont les poches étoient pleines de pistolets et de poignards. Une horde de ces scélérats le suivoit par-tout. Dans son palais il devint invisible. Á moins d'être un des conjurés bien connu de lui, on ne parvenoit plus jusqu'à sa personne. On étoit arrêté à l'entrée d'une pièce par des hommes d'un regard affreux, d'une physionomie hideuse. Ils étoient armés de sabres nuds, et avoient autour des reins une ceinture garnie de pistolets. Ils vous arrêtoient, et vous contraignoient d'écrire votre nom, votre demeure, et l'objet de votre

demande; l'un d'eux portoit votre écrit à Philippe,et vous rapportoit sa réponse de vive-voix. Le voilà cet enfer anticipé dans lequel je lui avois prédit qu'il tomberoit, si la hache frappoit la tête de Louis.

A peine le sang du monarque eut coulé que d'Orléans ne fut plus que le mannequin, je ne dis pas assez, que le jouet des maratistes, c'est-à-dire des hommes les plus vils et les plus atroces qu'eût jamais engendrés notre France. Il mendia humblement lear protection, et les misérables la lui faisoit acheter par tous les sacrifices qu'il étoit encore en son pouvoir de faire. Ses meubles, ses bijoux, ses livres, sa vaisselle, cette magnifique galerie de tableaux qu'avoit recueillie le régent cette riche collection de pierres gravées qu'il tenoit de la munificence de ses ayeux; tout devient la proie des maratistes. Ne pouvant assouvir leur avidité, il ouvre de toutes parts des emprunts, il les multiplie sous toutes les formes, il donne des hypothèques illusoires, et finit par publier son bilan.

Ce n'étoit plus pour obtenir une couronne. que d'Orléans faisoit tous ces sacrifices, c'étoit uniquement pour conserver sa vie. Après avoir si long-tems menacé celle de Louis, il se trouvoit réduit à défendre la sienne. Il ne se dissimuloit pas que la haine qu'avoit allumée contre lui la mort du monarque, étoit prête à le dévorer, et il ne voyoit que les maratistes qui pussent le défendre contre la

nation entière. Ceux de ses anciens partisans qui ne tenoient point à la faction de ces misérables, gardoient le silence, se cachoient, et n'osoient plus avouer leur liaison avec le prince. Il faisoit horreur à l'Europe entière, et personne n'osoit braver ce cri universel. Les maratistes eux-mêmes juroient dans le sein de la convention, qu'ils le méprisoient. Pétion et Condorcet semblèrent l'abandonner de bonne foi, et se ranger du côté de ses ennemis les plus ardens. Dumouriez étourdi de de l'inconcevable changement qui s'étoit fait, et bien, convaincu qu'il n'y avoit plus rien à machiner dans Paris pour les intérêts du prince, joignit brusquement l'armée, espérant encore la débaucher en faveur de ce

monstre.

La France se trouvoit dans un état complet d'anarchie, et la convention nationale n'étoit plus qu'une arêne de gladiateurs. Les brissotins et les maratistes ne savoient plus où ils arriveroient. De part et d'autre on ne songeoit qu'à se défendre. Les deux partis protestoicnt plus que jamais qu'ils vouloient une république; mais les brissotins accusoient la faction-Marat d'être toujours orléaniste, et la faction-Marat ne sachant quel reproche faire aux brissotins, inventa des mots; elle les accusa de vouloir une république fédéra tive; de-là les Brissot, les Guadet, les Bu zot, les Louvet, les Gensonné furent appellés des fédéralistes.

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