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bune, se leva, et d'une voix qui n'étoit nullement altérée par son malheur, il déclara que sa conscience ne lui reprochoit rien, que ses défenseurs n'avoient dit que la vérité. En faisant ses derniers adieux aux membres de la convention, qu'il savoit bien qu'il ne verroit plus, il s'attendrit, et laissa couler quelques larmes. D'Orléans dans cette nouvelle circonstance eut encore les yeux continuellement attachés sur sa victime.

A peine Louis eut quitté l'assemblée, que les orléanistes demandèrent à grands cris que son arrêt de mort fut prononcé sans désemparer. Tout ce que put faire le parti contraire, fut d'obtenir que toute affaire cessante, on s'occuperoit de son jugement.

Dans le court intervalle qui s'écoula entre le premier interrogatoire de Louis et le jour où l'on procéda à son jugement, une foule de gens de lettres bravant les vengeances de d'Orléans, jeita dans le public des écrits lumineux en faveur de l accusé. J'osai me mêler à ces athlètes courageux; je tirai le rideau de la faction d'Orléans; je dévoilai les vues du prince; je fis voir l'usurpatenr prêt à s'asseoir sur le trône qui venoit d'être renversé. Je prédis à Saint-Fargeau, à Gorsas, à Condorcet, à Carrier, à Robespierre, à Couthon, à Bourbotte, à Soubrany, à Marat, à Héraut-de-Séchelles, à Pétion, à Danton, à Lacroix, la terrible mort qu'ils ont faite depuis; je prédis à tous, les épouvantables fléaux qu'ils alloient faire descendre sur la France

et sur leur propre tête. Hélas! c'étoit la voix de Cassandre; on ne m'écouta pas.

Ces écrits ne laissèrent pas de répandre de grandes lumières, et je puis dire que la masse du peuple françois, si l'on veut bien ne pas honorer de ce nom les brigands de d'Orléans, désapprouva, détesta le sacrifice qui alloit se consommer. On a demandé depuis pourquoi donc le peuple de Paris notamment, ne l'avoit pas empêché. La réponse est courte : il étoit enchaîné. Il paroîtra fort singulier à la postérité qu'on reproche à un peuple sans force de n'avoir point fait ce que toutes les puissances de l'Europe qui avoient alors sur pied des armées formidables, n'ont pu

faire. Les orléanistes comprenoient bien que le peuple n'étoit pas pour eux; ils tinrent le glaive sans cesse levé sur la tête des votans; ils les environnèrent d'assassins; ils contraignirent des prêtres, des ministres d'une religion qui abhorre le sang, à voter pour la mort; on proposa dans une section d'établir un jury pour juger les députés qui ne prononceroient pas la mort; le président des jacobins crioit dans leur société je suis en insurrection moi, j'assassine le premier rolandiste, brissotin, feuillant et girondin que je rencontre ! Ce qui vouloit dire en d'autres termes : j'assassine le premier député qui ne votera pas pour la mort de Louis XVI.

Dumouriez dans ces orageuses circonstances étoit venu à Paris sans y être appellé par au

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cun prétexte plausible; il y avoit fait entrer furtivement des officiers et des soldats, dont il ne porte le nombre que de trois à quatre milie; mais que des personnes plus instruites portent jusqu'à vingt mille. Il a prétendu depuis qu'il avoit fait entrer clandestinement ces forces dans Paris pour sauver Louis XVI. La vérité est qu'il ne vit pas un seul ami du monarque, et qu'il vit chaque nuit d'Orléans et les principaux conjurés orléanistes. Il est hors de doute que trois mille hommes bien armés auxquels se seroient certainement réunis plusieurs royalistes, lui eussent suffi pour arracher le prisonnier des mains de Santerre. L'histoire prouvera que Dumouriez n'étoit venu à Paris, et ne s'y étoit environné d'une 'force considérable que pour protéger momentanément les juges de Louis, et que son intention étoit lorsqué te monarque seroit mort, de dissoudre la convention nationale, et de faire proclamer Philippe roi.

Ce fut le 14 janvier qu'on commença à poser les questions qui devoient conduire à prononcer irrévocablement sur le sort de Louis. La veille il y eut un grand repas au Palais-Royal, où furent invités tous les maratistes, et plusieurs députés qu'on croyoit incertains. Le Pelletier de Saint-Fargeau fut de ce nombre. Saint-Fargeau étoit fils d'un père qui dans ses fonctions de juge se montra constamment très-sévère; mais quoiqu'on en ait dit, le fils n'avoit point la sévérité du père. Ses mœurs étoient douces; on pouvoit lui

tout dire, lui tout reprocher; il écoutoit avec docilité et avec confusion, mais aussi il ne se corrigeoit pas. On ne pouvoit même pas à la rigueur l'accuser d'ambition, car il ne désircit autre chose que d'être toujours ce qu'il étoit. Héritier par la mort de son père d'une fortune immense tant en meubles qu'en immeubles, il sacrifia sa conscience pour la conserver; ce fut là son crime. Il se jetta dès l'ouverture des états-généraux dans le parti de d'Orléans, parce qu'il crut que ce prince l'emporteroit sur Louis XVI, et qu'il n'y auroit sûreté que pour les seuls propriétaires qui se seroient rangés de son bord.

Saint-Fargeau étant président à mortier au parlement de Paris, avoit fait le serment de ne jamais condamner personne à mort. Il voulut dans la conjoncture qu'avoit amenée la faction d'Orléans, rester fidèle à son'serment. Il fit plus; il engagea vingt-cinq de ses co-députés, sur lesquels il avoit beaucoup de crádií, à ne pas voter la mort de Louis XVI. D'Orléans instruit de cette particularité, tira Saint-Fargeau à part après l'orgie dont je viens de parler, et lui dit : SaintFargeau que faites-vous? vous n'y pensez pas, vous vous perdez; votez la mort; engagez vos amis à émettre le même væu; prometiez le moi, et moi de mon cóté je vous promets une alliance avec ma famille. Saint-Fargeau foible, et croyant toujours que d'Orléans régneroit, se laissa prendre à cet appât. Il changea d'opinion, et

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en fit changer à ses vingt-cinq amis, ainsi ces seuls mots conquirent vingt-six voix pour l'arrêt de mort.

L'ordre dans lequel on établit les trois questions qui devoit décider du sort de Louis XVI, fut tout-à-fait insidieux : voici de quelle manière elles furent posées.

1o. Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté, et d'attentat contre la sû-, reté générale de l'état ?

2°. Le jugement qui sera rendu sur Louis sera-t-il soumis à la ratification du peuple réuni dans ses assemblées primaires?

3°. Quelle peine le ci-devant roi des françois a-t-il encourue?

En demandant d'abord si Louis étoit coupable, c'étoit dans le cas où l'on auroit une réponse affirmative, l'avoir par le fait condamné, car la condamnation est une conséquence nécessaire du jugement qui déclar qu'un accusé est coupable. Or les orléanistes savoient bien que les Fauchet, les Manuel, les Pétion, les Guadet et toute la race brissotine, ne pourroient s'empêcher de déclarer que Louis étoit coupable. Ils l'avoient en effet tant de fois déclaré dans leurs placards, dans leurs diatribes, dans tout le cours de la guerre qu'ils avoient faite à Louis XVI avec. tant d'acharnement depuis le commencement de la révolution, qu'il n'étoit pas possible qu'ils voulussent maintenant tomber dans une contradiction qui feroit dire qu'ils n'avoient été que des hypocrites, et qu'ils étoient dans

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