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D'Orléans fit d'une telle aggrégation une véritable société de jacobins; elle se mit en correspondance avec le comité des recherches de notre commune, avec celui de nos jacobins, et enfin avec celui de l'assemblée nationale. Elle adressa même à cette assemblée une lettre ostensible où l'on lisoit ce qui suit :

«La société félicite l'assemblée nationale. de France, de la révolution qui s'effectue dans ce pays-là; elle ne peut que souhaiter avec ardeur l'heureuse conclusion d'une révolution si importante, et exprimer en même tems la satisfaction extrême qu'elle sent à réfléchir sur l'exemple glorieux que donne la France.

« Elle arrête unanimement d'inviter tout

le peuple anglois d'établir des sociétés dans tout le royaume, pour appuyer les principes de la révolution; de former des correspondances entr'elles, et d'établir par-là une grande union concertée de tous les véritables amis de la liberté.

Cet arrêté fut exécuté; il s'établit des sociétés de jacobins dans plusieurs villes de l'Angleterre, de l'Ecosse, de l'Irlande.

D'Orléans sut également intéresser à ses vues presque tout ce parti qu'en Angleterre on appelle le parti de l'opposition. Fox, un des oracles de ce parti, fut constamment attaché à d'Orléans; il l'est encore aujourd'hui à sa famille; il est le protecteur déclaré de

tous les François qui ont appartenu à la faetion de ce Prince.

D'Orléans eut même, du moins dès le commencement de la révolution, et longtems encore après, des complices dans le propre cabinet de Saint-James. Le duc de Dorset, ambassadeur extraordinaire du roi d'Angleterre en France, en 1789, eut parmi ces instructions, celle de favoriser et de consolider de tout son pouvoir l'insurrection du 14 juillet. Le duc de Dorset homme de plaisir, aussi peu prévoyant que tous ceux qui préfèrent de vains amusemens à une gloire solide, fut l'instrument aveugle de ceux qui le dirigeoient; il poussa les choses plus loin qu'ils n'auroient voulu; les regrets et le désir de la réparation sont venus trop

tard.

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Les pratiques du duc de Dorset ne furent pas toutes couvertes du voile du mystère; il y en eut une qui décela sensiblement la part que tel homme du cabinet de Saint James avoit à nos troubles et à leur continuation. Ces troubles ayant commencé par une irruption, si je puis parler ainsi, du tiers-état contre la noblesse, l'ambassadeur anglois s'attacha à donner à cette irruption, la plus grande force, et il n'y réussit que trop bien. Voici le récit de cette manoeuvre dans toute sa vérité.

Au moment même où d'un bout de la France à l'autre le tiers-état s'agitoit avec fureur contre la noblesse, le duc de Dorset

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demande une entrevue au comte de Montmorin; il lui raconte verbalement qu'il s'est formé un complot affreux contre le port de Brest, et que ceux qui en sont les auteurs, demandent quelques secours pour T'expédition, et un asyle en Angleterre. Voilà une dénonciation grave et point équivoque. M. l'ambassadeur ajoute qu'il ne peut donner aucune indication relative aux auteurs de ce projet, et qu'ils lui sont absolument inconnus. Rien certainement n'est plus extraordinaire. Il est impossible de concevoir que le duc de Dorset ignorât quels étoient les auteurs du complot affreux qu'il dénonçoit, puisque ces auteurs demandoient quelques secours et un asyle. Pour former cette demande, il avoit fallu qu'ils se fissent connoître, qu'ils se nommassent. Comment ne connoissoit-on pas des gens qui s'étoient faits connoître ? Au surplus une telle révélation n'étoit pas descendue du ciel. Il falloit donc au moins nommer ceux qui l'avoient donnée. Quel cas et quel usage pouvoit faire le comte de Montmorin d'une confidence aussi vague et aussi extraordinaire ? Il se tut; mais le duc de Dorset n'imita pas son silence. Cette confidence qui n'étoit d'abord, et qui ne devoit être que pour le comte de Montmorin, fut bientôt pour le public. Il se répandit que l'ambassadeur d'Angleterre avoit découvert que des gentilshommes Bretons vouloient incendier le port de Brest, et qu'il avoit fait part de cette découverte à notre

gouvernement. Aussi-tôt un eri épouvantable s'éleva contre l'ordre entier de la noblesse; elle fut consternée, et ne pouvant concevoir que le duc de Dorset l'eût accusée d'un semblable forfait, elle publia de son côté, et que que ce complot contre Brest la déconverte qui en avoit été faite par l'ambassadeur d'Angleterre, étoient encore des fables imaginées pour nourrir la haine du tiers-état contre le second ordre.

Comme on ne produisoit aucune preuve ni du prétendu complot, ni de la révélation qui en avoit été faite par le duc de Dorset, il y avoit beaucoup de vraisemblance dans la conjecture que la noblesse présentoit au public pour toute apologie. Nul de ses ennemis ne pouvoit lui dire qu'elle conjecturoit mal, puisque personne ne se présentoit pour prouver l'imputation qui lui étoit faite. Le duc de Dorset pour ôter à la noblesse, cette dernière ressource, rompit le silence. Il écrivit au comte de Monimorin, une lettre ostensible dans laquelle on lisoit :

<< Votre excellence se rappellera plusieurs conversations que j'eus avec vous au commencement de juin dernier, le complot affreux qui avoit été proposé relativement au port de Brest, l'empressement que j'ai eu à mettre le roi et ses ministres sur leurs gardes, la réponse de ma cour qui correspondoit si fort avec mes sentimens, et qui repoussoit avec horreur la proposition qu'on lui faisoit, enfin les assurances d'attaches

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ment qu'elle répétoit au roi et à la nation. Vous me fites part alors de la sensibilité de sa majesté à cette occasion. . . Je vous prie, Monsieur, de donner connoissance de cette lettre sans aucun délai, à M. le président de l'assemblée nationale.

que

On ne voit pas quel intérêt M. le président de l'assemblée nationale avec qui les ministres étrangers ne correspondoient point, avoit à lire la lettre de M. de Dorset; on ne voit pas qu'il importât beaucoup qu'il la lût sans aucun délai; on ne voit pas non plus le roi et ses ministres se fussent mis sur leurs gardes; on savoit au contraire qu'ils n'avoient donné aucune sorte de suite à la dénonciation du duc de Dorset. Mais ce que l'on voit évidemment, c'est que M. l'ambassadeur vouloit que son caractère donnât de la vérité et de la force à l'accusation qui pesoit sur la noblesse ; on voit encore qu'il desiroit que cette accusation eût la plus grande publicité. Il eût été du moins de sa délicatesse et de sa loyauté de déclarer dans cette lettre, qu'en dénonçant un complot affreux contre le port de Brest, il n'avoit nullement dit que la noblesse fût coupable de ce complot..

Cette nouvelle menée de M. de Dorset eut le succes le plus déplorable; on répandit sa lettre avec la plus grande profusion; on l'envoya aux électeurs, aux sections de Paris à tous ceux qui régncient dans les diverses provinces; on l'inséra dans toutes les feuilles

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