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peuple venue dans les tribunes comme tant d'autres pour maudire, ne put retenir ses sanglots; elle s'écria, douloureusement et à haute voix: ah! mon Dieu,comme il me fait pleurer !

Le seul d'Orléans que le sang unissoit à Louis, n'étoit pas attendri. L'œil constamment collé sur sa lorgnette, il plongeoit sur la victime, et sembloit se plaindre de ne pas y démêler un seul signe de douleur, un seul signe de foiblesse. Son jeune fils, confondu avec la populace des tribunes, montroit la même insensibilité, le même regret. De quel limon sont donc péris les cœurs dans cette famille? Quel pre voudroit avoir un tel fils? Quel fils voudroit avoir un tel père?

On présenta à Louis XVI une foule de papiers dont on prétendoit se servir pour appuyer les accusations portées contre lui. Cette manière de procéder lui parut suspecte; il demanda à examiner ces papiers à loisir. Le député Valazé lui en met un sous les yeux, et lui dit voici un mémoire de Toulon apostillé de la main de Louis. Louis prend le papier, le parcourt, et le rejette en disant: je ne connois pas cela. Reconnoissezvous l apostille, lui demande Barère? J ai dit, monsieur, répond Louis, que je ne connoissois pas cèla. Valazé lui présente une autre pièce en lui disant : ceci est l'écri ture de vos frères. Louis prend la pièce, et après y avoir jetté un coup-d'œil, il répond: cela ressemble à l'écriture de mes frères, Tome III.

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mais on peut la contrefaire. Il persista à exiger qu'on lui laissât examiner tous ces papiers à loisir, et il fallut se rendre à son désir.

La sagesse de cette conduite déplyt au jeune Montpensier; il s'écria avec une malicieuse naïveté, et de manière à être entendu de toute l'assemblée : eh! mais il nie tout! Malheureux enfant ! quel mot il prononça là! Si jeune n'avoir aucun respect pour le malheur! Si jeune avoir aussi soif du sang! Le monarque qu'il avoit sous les yeux ne l'avertissoit-il pas que les plus grands revers enveloppent souvent l'homme qui devoit le moins les attendre? Le jeune Montpensier avoit-il parole du ciel que son tour ne viendroit pas ? ? Il viendra, et alors le mot qu'il prononça ce jour-là, retombera sur sa tête; il lui ôfera tout droit à la pitié de ses semblables; personne ne le plaindra.

Je n'écris point l'histoire ni du procès, ni des derniers malheurs de Louis XVI. (1) Je ne parle de cette sanglante et inouie tragédie qu'autant qu'il est nécessaire pour montrer le rôle qu'y a joué d'Orléans. Il ne cessa pendant toute cette déplorable scène d'avoir les yeux collés sur son parent. Il étoit con

(1) On s'est beaucoup trop pressé d'écrire sur les derniers momens de ce roi, il faut donner à la vé. rité le tems de se montrer toute entière. J'ai lu un écrit composé outre-iner par un des amis de Louis XVI. Tout n'est que confusion et inexactitude sur la ca

venu avec les maratistes que tout seroit terminé dans la journée même. On devoit après l'interrogatoire de Louis, le juger définitivement sans désemparer. Les ordres étoient donnés pour qu'il ne retournât point au Temple, pour qu'il reçût le lendemain même la mort sur la place du Carousel. On lui avoit en conséquence préparé un lit dans une des salles contigues à l'assemblée.

La fermeté de Louis à demander l'examen réfléchi des pièces qu'on lui avoit montrées, et la faculté de prendre des défenseurs, changea quelque chose à ces sinistres dispositions. Son interrogatoire fini, il se retira dans la salle qu'on appelloit des députations. Il n'avoit rien pris depuis vingt-quatre heures. Il sentit en entrant dans cette salle, que cette longue abstinence avoit épuisé ses forces. Il demanda si on voudroit lui accorder un morceau de pain.... Le fils de tant de rois solliciter de la commisération de ses sujets un morceau de pain!... Quelle image!... Quels yeux ne se mouilleroient pas de pleurs en la contemplant!... Ce malheureux morceau de pain qui lui parut bien amer, fut trempé de ses larmes.....

Comme Louis se retiroit, d'Orléans pressentant que la double demande qu'il avoit

tastrophe qui a terminé la vie de ce prince; un jour tout se saura; il ne faut pas prévenir ce jour; il faut attendre que les témoius oculaires parlent.

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faite entraîneroit un délai, fit circuler parmi les maratistes qu'il ne falloit lui accorder que deux ou trois jours. Barèré en conséquence qui présidoit, l'ajourna à deux jours pour produire ses moyens de défense; mais lorsqu'il eut quitté l'assemblée, les brissotins engagèrent habilement la discussion sur la question de savoir s'il falloit accorder un conseil. Ils tenoient pour l'affirmative, et les orléanistes pour la négative. On s'échauffa, on perdit un tems considérable à s'injurier, et la question ne put être décidée dans cette journée. Ce fut alors une nécessité d'ordonner au farouche Santerre de remener le prisonnier dans la tour du Temple.

Louis dans une autre séance eut la permission de choisir un défenseur'; il demanda l'avocat Target, à son défaut l'avocat Tronchet, ou tous les deux ensemble; le premier refusa; le second accepta avec joie. Plusieurs autres personnes se dévouèrent à la défense de Louis. On lui envoya leur nom; il reconnut parmi eux celui de Malesherbes, qui avoit été deux feis son ministre, et toujours son ami. Il se trouva heureux dans son infortune de pouvoir verser ses dernières pensées dans le sein de l'amitié. Il accepta avec empressement les services de ce respectable

vieillard.

Louis avoit été interrogé le 11 décembre. Malesherbes et Tronchet ne purent être introduits auprès de leur auguste et malheureux client que le 14. Les orléanistes pres

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soient avec importunité son jugement. Tls ar rachèrent de l'assemblée un décret qui ordonnoit que l'accusé seroit entendu pour la dernière fois le 26 du mois où l'on se trouvoit. Les deux défenseurs se virent obligés de vérifier et de discuter des milliers de pièces. Ils n'avoient pu commencer leur travail que le 15; il leur devenoit impossible de remplir en onze jours la tâche qui leur étoit imposée. Elle étoit en effet au-dessus des forces de tout homme, et à plus forte raison de deux vicillards, l'un plus que sexagénaire, l'autre presqu'octogénaire; ils s'adjoignirent Deseze jeune orateur estimé dans notre ancien barreau. Deseze ne balança pas à se vouer aussi à la défense de Louis, et en devenant ainsi le collègue de Malesherbes et de Tronchet, il s'associa à leur immortalité.

Dès le 24, Deseze par une espèce de prodige, se trouva en état de lire à son client une apologie dont les faits et la discussion qui les développe, sont un chef-d'œuvre d'éloquence, mais où d'ailleurs les principes laissent beaucoup à désirer.

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Le 26, conformément au décret, Louis parut pour la dernière fois devant la convention, entre Malesherbes et Tronchet. Deseze prononça à la tribune son éloquent plaidoyer, et la confusion couvrit bien des visages, lorsqu'il fit entendre ces paroles : Je cherche parmi vous des juges, et je ne trouve que des accusateurs.

Louis, lorsque Deseze eut quitté la tri

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