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tion qu'il avoit perdu pour toujours les bonnes graces du prince, qu'il se livra entièrement à la faction de Brissot.

Au moyen de ces combinaisons, d'Orléans eut contre lui la faction brissotine, et se trouva réduit à n'avoir pour lui que celle où dominoit Marat. Encore son crédit dans ce dernier parti devint-il de jour en jour plus équivoque, et cette diminution de crédit data dès les massacres du mois de septembre. Ceux qui menoient ce parti, voyant que rien ne leur résistoit, que les innovations les plus extraordinaires en apparence, leur devenoient non-seulement possibles, mais faciles, imaginèrent qu'ils pourroient bien faire pour eux-mêmes, ce qu'ils avoient eu d'abord intention de faire pour d'Orléans. Aussi commença-t-on alors à jetter dans le public, des idées de protectorat, de triumvirat, de dictature; et dans tout ce qu'on imprimoit, dans tout ce qu'on affichoit à ce sujet, on ne manquoit jamais de désigner Marat, Danton, Robespierre comme les candidats qu'il falloit revêtir du suprême pouvoir.

D'Orléans s'appercevoit bien que les chefs maratistes avoient des vues particulières d'ambition qui se trouvoient en opposition avec ses propres desseins; mais comme ces vues n'étoient pas absolument bien prononcées, il croyoit qu'il parviendroit à force d'intrigues, de caresses, d'orgies et d'or, à

les engager à ne porter que lui à la toutepuissance.

Les maratistes de leur côté, résolurent de temporiser, et d'attendre que de nouveaux événemens les déterminassent à prendre un parti définitif. Ils dissimulerent en conséquence avec le prince; ils feignirent de donner dans son sens, et lui jurèrent un dévouement à toute épreuve. Au moyen de ce ma nège, ils se servirent de la fortune de d'Or léans pour continuer à remuer, et se mettre en état de chasser de la convention', et même de frapper d'un hors de la loi, tous les brissotins.

-D'Orléans qui vouloit faire des maratistes les instrumens de son élévation, dissimula comme eux; il feignit de croire à leurs profestations de fidélité. Mais dans cette réciprocité de fourberie, tout le désavantage fut de son côté, parce que les maratistes ne lui donnoient que des promesses incertaines, tandis que lui, pour s'en faire un parti, et pour qu'ils ne conçussent aucun ombrage, étoit obligé de leur distribuer les restes de sa fortune.

Depuis donc les massacres de septembre, d'Orléans qui avoit cru que ce carnage avanceroit beaucoup ses affaires, perdit au contraire beaucoup de ses forces par la défection de tous les brissotins, et par le peu de fonds qu'il pouvoit faire sur les maratistes. Sa faction n'en étoit pas moins encore trèspuissante; Dumouriez, Valence, Biron,

Montesquiou, de Menou, Sillery, Sieyes la baronne de Staël, Laclos, Chabroud, Voidel lui restoient, et cherchoient à lui faire journellement de nouveaux partisans. Il se croyoit au moyen de Dumouriez, de Valence, de Biron, de Menou, et de son propre fils, maître de presque toute l'armée. Il se promettoit d'exciter dans Paris à l'aide des maratistes, un mouvement, qui serviroit de prétexte à Dumouriez pour marcher sur Paris avec toutes les troupes qu'il pourroit rassembler. Dumouriez alors pour mettre un grand nombre de François de son côté, auroit feint de ressusciter la constitution de la première assemblée, et d'Orléans auroit été le roi constitutionnel.

Le point capital pour le prince étoit d'obtenir la mort de Louis XVI. Le jeune Dauphin l'inquiétoit peu; un second régicide lui devenoit infiniment moins difficile que le premier. Il ne craignoit rien des frères et des neveux du roi; il se flattoit que les géné raux Dumouriez, Valence et Biron tiendroient en échec les puissances coalisées, et que des négociations heureuses détermineroient les potentats de l'Europe à souscrire au changement de dynastie.

A peine donc la convention nationale eut commencé ses travaux, que d'Orléans engagea les maratistes à demander que le roi fût mis en jugement. Tous les journalistes. tous les orateurs ambulans du parti, tous les brigands du Midi restés à Paris, appuyèrent ce

vou. Les brissotins y souscrivirent, les uns par lâcheté, les autres par de fausses combinaisons, d'autres aussi par la crainte que d'Orléans, s'il venoit à l'emporter, neles immolât, et tous pour repousser l'accusation dont les frappoient les maratistes, de n'être pas franchement républicains. Je ne dois pas non plus omettre de faire remarquer que ces brissotins avoient parmi eux de faux frères qui contribuoient à les égarer. Pétion par exemple et Condorcet en apparence de leur bord, restoient intérieurement attachés à d'Orléans, et conservoient avec lui des relations.

Louis XVI parut une première fois dans le sein de la convention, pour répondre aux questions qu'on avoit à lui faire, et qui toutes étoient pour lui imprévues. Il fut conduit par Santerre un des généraux de d'Orléans. Le prince s'étoit placé vis-à-vis le fauteuil que Louis devoit occuper, il se montroit le plus impatient à juger son roi. Le second de ses fils, le duc de Montpensier, âgé de 17 ans, étoit dans les tribunes, et attendoit avec une impatience égale à celle de son père, que le combat s'engageât.

Louis répondit à toutes les explications qui lui furent demandées, avec beaucoup de présence d'esprit et de dignité. Sa défense fut moins une justification qu'un comple loyal de toute sa conduite depuis qu'il étoit monté sur le trône. Ainsi quoiqu'en posture d'accusé, il ne flétrit point l'honneur du dia

dême, et les rois de la terre n'auront point à reprocher à sa mémoire d'avoir compromis la majesté royale. Ses traits altérés par le malheur, le désordre de sa chevelure, la longueur même de sa barbe, la douceur que répandoit sur sa physionomie, la sérénité de son ame, tout présentoit une image qui toutà-la-fois commandoit le respect, et inspiroit l'intérêt le plus tendre..

Tous les visages pâlirent, et d'Orléans fut prêt à s'évanouir, lorsque Barère qui présidoit, ayant dit à Louis qu'il étoit accusé d'avoir fait couler le sang dans la matinée du 10 août, en reçut cette réponse: Non monsieur, non, ce n'est pas moi qui ai fait couler le sang. Le ton avec lequel ces paroles furent prononcées, les fit entrer bien avant dans toutes Fes ames, réveilla le remord dans plus d'une conscience, et répandit tout-à-coup une telle lumière dans toute l'assemblée, que chacun vit avec évidence, que les assassins des 2 et 3 septembre, étoient ceux-là mêmes qui avcient fait couler le sang dans la matinée du 10 août.

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Tous les coeurs également se 'sentirent émus, lorsque Barère ayant eu la maladresse de reprocher à Louis ses propres bienfaits, l'auguste accusé lui répondit avec émotion: Ah! monsieur, je n'ai jamais goûté de plaisir plus doux que de donner à ceux qui avoient besoin. En proférant ces mots qui partirent de son cœur comme un trait, yeux se remplirent de larmes. Une femme du

ses

peuple

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