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aimable: il ne lui manque peut-être qu'une couronne, je ne dis pas pour être le plus grand roi de la terre, mais pour être le véritable restaurateur de l'Europe. S'il arrive à Paris, je gage que sa première démarche sera de venir aux jacobins, et d'y mettre le bonnet

rouge. »>

On voit par le langage que tenoient ces hypocrites républicains, ou que d'Orléans, perdoit un peu de son crédit dans son parti, ou qu'on avoit intérêt de le mettre en opposition avec des rivaux.

Les jacobins disoient aussi pour prouver la nécessité de la détention de la famille royale, qu'elle serviroit d'otage dans le cas où les ennemis voudroient s'emparer de Paris. Comme alors le roi de Prusse s'avançoit avec son amée dans les plaines de Champagne ce prétexte avoit quelque vraisemblance; mais l'événement a encore prouvé que ce n'étoit-là qu'un mensonge; car quand on craint les représailles, on garde ses otages, on ne les massacre pas.

D'Orléans comprenoit que pour qu'il se trouvât porté sur le trône sans effort, et sans qu'il fût obligé de se mettre en évidence ce qui étoit la chose qu'il craignoit le plus, il falloit que la convention qu'on avoit convoquée, fût composée en très-grande partie de ses plus zélés partisans. L'intrigue, l'argent, la violence, toutes les sortes de manœuvres furent employées à cet effet. Il importoit sur-tout de se rendre maître des as

semblées électorales. Les orléanistes avoient éprouvé plus d'une fois dans le cours de la révolution, qu'aucun succès ne devenoit im possible quand on parvenoit préalablement à comprimer les ames par une forte terreur. Ils eurent recours dans cette circonstance, à une ressource si monstrueusement atroce, que dans aucun siècle, les scélérats les plus habitués au crime, n'avoient rien conçu de semblable. Le cœur se brise, l'ame se déchire, on rougit, on s'indigne d'être homme au seul souvenir de cette épouvantable machination. Ces monstres imaginèrent d'envelopper dans un massacre général, pendant que les électeurs délibéreroient, tous les royalistes, tous les prêtres, tous les anti-orléanistes dont on pourroit s'assûrer.

Quel électeur seroit assez courageux pour refuser le suffrage qu'on lui demanderoit, quand on le menaceroit de le traîner parmi les victimes? C'est ainsi que raisonnoient les orléanistes. Comme d'ailleurs ils se proposoient d'obtenir un, arrêt de 12ort contre Louis XVI, ils trouvoient dans la sanglanie tragédie qu'ils alloient jouer, l'avantage de lui enlever un grand nombre de ses amis, et d'effrayer ceux d'entr'eux qui auroient échappé au massacre, de manière qu'ils n'osassent ni le défendre, ni ápitoyer le peuple sur

son sort.

Pétion et Manuel dont la postérité ne prononcera les noms qu'avec horreur, organisèrent cette boucherie, et ils cherchèrent

leurs bourreaux, non parmi les parisiens à qui il faut bien se garder d'imputer les crimes de la révolution ; ils en ont été, hélas! plutôt les victimes que les instrumens ; ils les cherchèrent parmi ces brigands que Montesquiou avoit poussés du Midi dans Paris.

L'assemblée législative donna en quelque sorte le signal du carnage; elle décréta qu'il seroit fait une visite domiciliaire. Elle se fit dans les ombres de la nuit. Dès les dix heures du soir chacun fut prisonnier dans sa maison. Tandis que des hommes arnés gardoient les barrières, toutes les avenues des quais et des rues, toutes les issues qui corduisent à la rivière, d'autres pénétroient dans le domicile des citoyens, et enlevoient ceux que la faction avoit désignés; les prisons furent engorgées.

Manuel jusqu'au terme marqué pour le massacre, ne manqua pas un seul jour de visiter toutes ces victimes, et de les compter sur ses doitgts, pour s'assurer qu'aucune ne manquoit. Si quelqu'un de ces malheureux prisonnie s écrivoit ou à cette bête féroce, ou au tigre Pétion pour demander soit la liberté soit un jugement, il recevoit cette réponse: Vous sortirez le 2 septembre.

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Le 2 septembre en effet les assassinats commencèrent. Il s'établit dans l'intérieur de chaque prison une sorte de tribunal qui livroit les victimes aux bourreaux. Hébert, Lallier étoient membres de celui de l'hôtel de la Force. Le nommé Maillard dont il a

déja été question dans cette histoire, présidoit celui de l'abbaye. Les noms des scélérats qui composoient ceux des autres prisons, ne me sont pas connus. Mais dans l'intérieur du palais de la justice, il y avoit un tribunal de sang qui influoit sur les exécutions ordonnées par ces tribunaux particuliers. Il étoit composé de huit juges, deux accusateurs publics, , sept jurés et sept suppléans de jurés. Voici leurs noms :

Juges Robespierre, Osselin, Mathieu, Pepin, Lavaux, Daubigny, Dubail, Coffinhal.

Accusateurs publics: Lullier, Réal. Jurés: Leroi, Blandin, Rolleaux, Lohier, Loiseau, Perdrix, Calliéres de l'Etang. Suppléans des jurés: Desfieux, BoucherRené, Jaillan, Dumouchel, Juric, Mulet, Andrieux.

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On avoit en outre, formé un comité auquel on recouroit dans tous les cas où on doutoit si un prisonnier étoit, ou n'étoit pas anti-orléaniste. Ce comité étoit présidé tourà-tour par Marat, Sergent et Panis beaufrère de Santerre.

Le poëte Chénier eut aussi quelque part à ces massacres. Il présidoit la section des Filles-Saint-Thomas. Les bourreaux de la Force lui amenèrent le nommé Webber' grenadier de cette section et frère de lait de la reine, qu'ils n'avoient pas jugé à propos d'égorger. Chénier insista pendant douze heures pour qu'ils le reconduisissent à la Force, et

qu'ils

qu'ils l'y tuassent, menaçant de donner sa démission si on lui faisoit grace. Webber fut sauvé par ses amis.

Danton futur premier ministre de d'Orléans envoya des émissaires à Lyon, à Meaux, à Rheims et dans quelques-autres villes, pour qu'ils y ordonnassent et y fissent exécuter un semblable carnage; de sorte que dans plusieurs villes le sang coula en aussi grande abondance et aux mêmes heures qu'à Paris. Les commissaires envoyés à Reims, furent Carra, Sillery et Prieur de la Marne.` Le 3 septembre ils déjeûnèrent chez le maire: le déjeûner fini, Prieur dit au maire << il nous faut des victimes; nous vous lais-> sons le choix. » Le lendemain le massacre commença dans les prisons de Rheims (1).

Il n'est pas de mon sujet de donner le récit des diverses horreurs qui accompagnèrent un niassacre dont la Frauce a eu le malheurde donner le premier exemple. Je renvoie ceux qui en voudront connoître les diverses particularités à deux écrits dont l'un est intitulé mon agonie de trente-six heures,eti l'autre Almanach des honnétes gens. Ce{ sont deux monumens bien précieux pour l'histoire de ces terribles journées; elle pourrai aussi recueillir quelques détails dans Al manach des gens de bien pour l'année 1795.

(1) Voyez Courier universel du lundi 15 juin 1795) ou 27 prairial.

Tome III.

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