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étoit à peine que le combat s'engagea dans la cour du château. Les Marseillois voyant que les Suisses persistoient à rester immobiles, perdirent toute retenue; ils tirèrent à eux à l'aide de longs bâtons armés de crochets, cinq factionnaires suisses qui étoient en avant; ils les désarmèrent, les dépouillèrent de leurs vêtemens, et les massacrèrent froidement. Les camarades de ceux-ci outrés de cet excès de férocité, se formèrent en bataillon quarré, et avançant toujours, ils firent un feu soutenu et meurtrier; ils arriverent ainsi jusques sur la place du Carousel; ils furent trois fois maîtres de cette place ainsi que des cours du château; ils s'emparèrent même de deux pièces de canon, mais faute de gargousses et de munitions elles leur devinrent inutiles.

Un nouvel ordre du roi leur étant arrivé de battre en retraite, et l'officier-général qui le leur portoit les ayant obligés d'y obéir, ils furent bientôt enveloppés d'un feu terrible de mousqueterie et d'artillerie; ils restèrent presque tous, sur le carreau; deux ou trois cents seulement se sauvèrent. On en traîna quatre-vingts sur la place de Grève, où on les massacra de sang-froid, en leur faisant endurer de longues et cruelles tortures. On exerça sur les corps de ceux qui périrent dans les cours du château, tous les genres de cruauté. Une infernale lubricité se mêla aux rafinemens de la barbarie. Des hommes, des femmes attachèrent, ceux-là à leur chapeau,

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celles-ci à leur coëffe, les sanglans objets qui avoient servi de jouet à leur impudicité. On ne rencontroit dans les rues que des têtes, que des membres portés au haut des piques. Les ruisseaux ne rouloient que du sang et des

masses de chair.

On vit des antropophages de l'un et de l'autre sexe allumer de grands feux, en approcher les corps nuds et encore palpitans de ces malheureux suisses, et les dévorer ensuite à moitié brûlés. On remarqua une jeune fille âgée au plus de 18 ans, tenant à la main un sabre nud, se promenant parmi les corps dont le pavé étoit jonché, et plongeant son sabre dans chacun d'eux.

Le château fut mis au pillage; on y passa au fil de l'épée presque toutes les personnes qui s'y trouvoient; les valets employés au service des cuisines, éprouvèrent le même sort; leurs têtes tombèrent dans les casseroles où ils apprêtoient les viandes, et servirent de jouet à leurs assassins; on n'épargna pas même les animaux. La rage des vainqueurs s'étendit sur tout ce qui tomba sous leurs mains; les papiers, les meubles, les bijoux, les vêtemens de la famille royale devinrent leur proie. Des mégères toutes dégoutantes de sang et de fange, troquèrent leurs haillons contre les robes, contre les dentelles de la reine. Louis réduit ainsi que sa famille à ce qu'il avoit sur sa personne, se trouva dans un tel dénuement, qu'il fut obligé d'emprunter quelques louis au maire

de Paris, c'est-à-dire au plus féroce de ses persécuteurs.

Ce perfide maire aussi lâche qu'il étoit cruel, s'étoit prudemment tenu caché pendant l'action; il avoit feint que le peuple le retenoit malgré lui prisonnier dans le palais de la mairie. Quand il sut que la faction l'emportoit, il parut ; sa première action fut de faire égorger Mandat, et de tirer luimême des poches du mort l'ordre de faire feu sur le peuple. Après cet épouvantable assassinat, Pétion se montra à tous les conjurés; il harangua la horde des assassins qui n'ayant plus rien à mutiler dans le château, s'amusoient pour passe-tems à incendier les écuries; il se jetta ensuite dans l'assemblée pour en arracher les décrets qui devoient donner le suprême pouvoir à d'Orléans (1).

Jamais la faction du prince ne s'étoit vue si près de recueillir les fruits de ses innombrables forfaits; elle tenoit le roi prisonnier; elle avoit cassé la municipalité, et lui en avoit substitué une entièrement, à sa dévo

(1) Il ne faut point regarder ce que je viens de racouter de la journée du 10 août, comme une histoire complette de cette journée. J'ai choisi parmi les événemens qui la remplirent, ceux-là seulement que mon sujet ne me permettoit pas de passer sous silence. L'histoire entière de cette journée se trouve dans un autre écrit que j'aurois déja donné au public, sans les crages qui se renouvellent sans cesse, et qui 'ont pas encore permis de dire toutes les vérités.

tion; elle avoit même nommé Santerre commandant en chef de la force de Paris; lamajorité de l'assemblée environnée de canons, d'assassins, de cadavres et de sang, étoit frappée de terreur, et ne pouvoit plus rien refuser. Les nommés Mathieu, Cellier , Piogé, Dubesc, Varin, Jacob, Gérard, Dumesne, Jobbé et Gandri se disant à eux dix la section entière des Thermes de Julien, viennent demander audacieusement à l'assem blée, qu'elle prononce à l'instant même la déchéance de Louis. Tout annonçoit donc que ce changement de dynastie qui depuis trois ans, étoit l'objet des voeux de la faction orléaniste, et la cause de tant de crimes, alloit enfin s'effectuer.

Il faut encore ici rendre hommage à cette providence qui au milieu des plus terribles orages que puissent exciter les passions humaines, reste im muable ainsi que le rocher au milieu des flots courroucés de la mer. Comme c'est elle qui arrache le sceptre à celui qui le portoit; elle seule aussi peut le remettre aux mains de l'ambitieux qui a servi d'instrument à ses impénétrables desseins. Dans cette trop mémorable journée du 10 août, d'Orléans pouvoit tout, et il obtint en effet tout excepté la couronne. On nomma des ministres qui lui étoient dévoués, et parmi eux se trouva ce farouche Danton qui comptoit être son premier visir: il vit Louis et sa famille traînés et ensevelis dans la four du Temple; il put se dire que ses complices

étoient les maîtres absolus des destinées de la France; mais il ne put obtenir la déchéance. Dans l'étrange confusion où l'on avoit amené toutes choses, cet article étoit le plus aisé à conquérir, et on ne conçoit pas comment une assemblée que la faction dominoit si impérieusement, ne l'accorda point. Elle se contenta de décréter la suspension provisoire du roi. Le même décret portoit qu'il seroit appellé une convention nationale qui prononceroit sur les mesures qu'elle croiroit devoir adopter pour assúrer la souveraineté du peuple, et le règne de la liberté et de légalité. Ce furent les termes du décret.

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Drléans ne songea plus alors qu'à consacrer le reste de sa fortune à composer cette convention nationale de ses créatures et de es complices, de manière que leur premier travail fût de le placer enfin sur le trône. En attendant la formation de cette assemblée, la première de ce genre qu'eût vue la France, on s'étudia à établir l'opinion qu'en vertu du décret qui la convoquoit, sa principale, son unique mission étoit de juger le roi, c'est-à-dire de le détrôner, et de le mettre à mort. Quoiqu'il ne fût pas dit un mot de ce jugement dans le décret qu'on invoquoit, il n'en passa pas moins pour constant que c'étoit-là en effet ce qui devoit occuper la convention nationale.

Me voici donc arrivé aux derniers efforts de l'ambition et de la vengeance de d'Or

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