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gèrent dans les Champs Elysées cinq à six gardes-nationales, dont deux moururent sur Ia place. Ce fut là le premier exploit de ces Marseillois. Les blessés furent portés au châ teau, où la sœur et l'épouse de Louis les pansèrent de leurs propres mains. Cet acte d'humanité devint un délit de plus contre la famille royale.

Tels furent les deux principaux motifs qui obligèrent de remettre au 10 août la conjuration qui devoit éclater dès le premier du même mois. Dès le 7, Sillery étoit venu prendre un logement dans le fauxbourg SaintAntoine, et accompagné de Santerre, il n'avoit cessé d'agiter ce fauxbourg.

Depuis le 20 juin Louis XVI ne se couchoit plus; il se jettoit seulement sur son lit avec ses habits, se tenant toujours prêt à présenter son sein aux poignards. Aucun des martyrs que la religion honore, n'a ni plus cruellement ni plus longuement souffert que ce malheureux prince. Il passa sur pied toute la nuit du 9 au 10, entendant le sinistre et lugubre bruit du tocsin. Il avoit auprès de lui environ quatre cents personnes résolues de le défendre jusqu'à la dernière goutte de leur sang; elles étoient armées de pistolets et d'épées. Dans la cour du château on avoit placé une partie du régiment des suisses, l'autre partie étoit restée à Courbevoie. Il falloit qu'on ne comptât pas beaucoup sur la fidélité des soldats qui y étoient restés, sans quoi il seroit impossible d'expliquer pourquoi

dans une circonstance aussi grave, on n'avoit pas réuni autour de la famille royale, la totalité de ce régiment. Il n'y avoit au reste dans le château ni boulets, ni canons. Les suisses étoient au plus au nombre de neuf cents, y compris quarante-cinq officiers.

Voilà quels étoient les forces de Lonis XVI. Les plús remarquables d'entre les officiers généraux qui se trouvoient auprès de lui, étoient le maréchal de Mailly, Wittingoff et le comte de Wittgenstein. Il n'y avoit aucun fond à faire sur le second; c'étoit un avanturier sorti de la Livonie; on lui avoit toujours connu une conduite très-équivoque; dans la journée du 20 juin il s'étoit montré comme le plus lâche des hommes. Cette journée ne fut pour lui qu'un évanouissement continuel. Le comte de Wittgenstein secondoit de son mieux le maréchal de Mailly, dont l'âge avancé rendoit les mouvemens un peu lents. On m'a dit que lorsque Louis XVI vit arriver les premières phalanges des Marseillois, traînant plusieurs pièces de canon, saisit le bras du comte, et lui dit : général, je ne vous abandonne pas aujourd'hui, je mourrai avec vous.

il

On crut d'abord qu'il seroit possible de prévenir l'effusion du sang, et tous les malheurs qui signalèrent cette épouvantable journée; mais on ne tarda pas à se convaincre que ce n'étoit là qu'une illusion. Dès que les Marseillois suivis de toute la garde-nationale de Paris, furent en présence des Suisses, ils

chargèrent leurs armes, et manifestèrent clairement l'intention de mettre le château à feu et à sang.

Il falloit aux Marseillois un prétexte pour commencer le combat. On désiroit en conséquence que les Suisses fussent les aggresseurs. C'étoit sur cette aggression que les conjurés avoientcompté. Pétion avoit en conséquence donné par écrit à Mandat qui commandoit ce jour-là la garde-nationale, l'ordre de repous ser le peuple par la force. On espéroit beaucoup au château d'une partie de la garde na tionale, et principalement des grenadiers de la section des Filles-Saint-Thomas, aujour d'hui appellée le Pelletier. Les conjurés ne doutoient pas que cette portion de la garde nationale n'obéît à son chef, et n'engageât l'action au défaut des Suisses.

Un peuple innombrable ne cessant de se pousser contre le château, et les Marseillois continuant à vomir mille menaces contre la famille royale, et mille injures contre les Suisses, les officiers-municipaux et Roederer, procureur-syndic du département, ordonnèrent à la garde nationale et au régiment des Suisses de faire feu sur les Marseillois. C'étoit ou un piége ou une folie, car quelque valeureuse, quelque disciplinée que soit une troupe, elle ne peut rien contre les coups formidables de plusieurs pièces d'artillerie.

Ces officiers municipaux et Roederer voyant qu'on ne leur obéissoit pas, lurent jusqu'à trois fois l'article de l'acte constitutionnel, qui

ordonnoit

ordonnoit de repousser la force par
la force,
lorsqu'une autorité constituée seroit attaquée.
Pendant cette triple lecture, la portion de la
garde nationale sur laquelle le château comp
toit, se fut, l'autre manifesta contre la famille
royale le même acharnement que les Mar-
seillois. Quant aux Suisses, ils parurent éga-
lement ne tenir aucun compte de cette triple
invitation; ce fait est de toute vérité; et vé-
ritablement quelque braves qu'ils fussent, la
conscience qu'ils avoient de l'infériorité de
leur nombre et de leur force,, ne leur permet.
toit pas de commencer. Quelle apparence en
effet qu'une aussi petite troupe pût tenir tête
à des ennemis qui sembloient comme ceux de
Cadmus, sortir des entrailles de la terre, et
que plus de trente bouches à feu rendoient
invincibles?

Dans un tel état de choses, Louis XVI fut vivement pressé par Roederer, par les officiers municipaux, par ses ministrės, et par plusieurs députés qui étoient venus le joindre, de se retirer avec sa famille dans le sein de l'assemblée nationale, pour ôter lui dirent-ils; tout prétexte aux Marseillois, et de dire qu'il avoit été l'aggresseur, et de faire aucune insulte au château.

1

Louis XVI se rendit à ces instances, et donna un ordre positif aux Suisses, ainsi qu'à toutes les personnes qui étoient dans le châ-teau, de ne point tirer, et de n'opposer auTome III.

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eune sorte de résistance aux Marseillois, quoi qu'ils entreprissent. (1)

L'assemblée nationale envoya une députation de vingt-quatre membres au-devant du roi. Il se plaça d'abord à côté du président, laissant sa famille à la barre. Bientôt après on le relégua avec son épouse, sa sœur et ses enfans dans la loge du Logographe. 11 y

(1) Que n'a-t-on pas dit de cette retraite et que ne diroient pas ceux-là mêmes qui la blâment, si Louis fút resté au château, et se fût décidé à se batire seul avec quatre cents gentilshommes malarmés, et une poignée de suisses saus canons, contre plus de cent mille hommes, ayant une nombreuse artillerie bien, servie? Ils lui imputeroient tous les malheurs de cette journée. Ils ne manqueroient pas de raisonner ainsi :

Quoi il se voit sans force, et il refuse de se rendre à invitation que lui font le département, les officiers municipaux, les ministres, les députés, de se retirer dans l'assemblee, nationale! Croyoit-il mieux voir que toutes ces personnes? Ne voyoit-il pas au contraire qu'en suivant ce conseil, il otoit tout prétexte aux, Marseillois d'attaquer ? Pouvoit-il se dissimuler que c'étoit sa seule présence qui les irriteit? Craignoit-il que l'assemblée le laissâi égorger dans son sein? N'avoit-il pas au contraire éprouvé qu'en faisant cette démarche auprès de la première assemblée nationale, il avoit déjoué ses ennemis ? Que ne teutoit-il encore ce même moyen dans cette nouvelle occasion! S'il n'eut pas réussi, sa mémoire seroit du moins sans reproche, puisqu'il auroit fait tout ce qu'il étoit en sen pouvoir de faire pour éviter l'effusion de tant de sang.» Ce raisonnement qui pour tout esprit impartial a beaucoup de foree, prouve qu'il faut être lent à juger les hommes qui se sont trouvés dans des circonstances uniques.

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