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La reine n'avoit pu suivre son époux lorsqu'il étoit allé au devant des assassins. D'Haussonville, Choiseul Stainville, Montmorin, Lévi, Rougeville, Obier, d'Hervilly, Bougainville, Monteil, St. Pardoux, Vergennes l'avoient environnée, et l'arrêtoient malgré elle. En vain elle crioit: Ma place est auprès du roi, et ma sœur ne doit pas étre seule à lui servir de rempart! On lui répondoit: votre place est auprès de vos enfans. Cependant elle avoit vaincu la résistance qu'on lui opposoit; elle étoit déja parvenue dans la chambre du conseil. Le général Wittenghoff, gentilhomme Livonien et la Jarre ministre de la guerre se trou voient là. Celui-ci arrête la reine malgré elle; il fait ranger en travers la table du conseil; il la contraint de rester derrière ce retranchement avec ses femmes. Elle demande alors ses enfans. La baronne de Makau et la comtesse de Soucy les avoient déposés chez Brunyer médecin du roi. On les porte à la reine, et ils sont placés sur la table. Elle s'assied alors environnée des princesses de Lamballe, de Chimay, de Tarente, de la duchesse de Duras, des marquises de la Roche-Ayınon, dę Tourzel de Ginestous, et de la comtesse de Maillé. Une double haie de gardes nationales se place devant la table, et une autre haie sur quatre de hauteur défend les issues des deux extrémités.

Pendant qu'on fait ces dispositions pour

protéger les jours de la reine et de ses enfans, les scènes qui se passent autour du roi, trompent toutes les espérances des conjurés. Ce n'est pas que quelques-uns d'entr'eux ne mis sent tout en œuvre pour que le peuple se portât à tous les excès qu'on en attendoit.. Goupilleau et Lasource lui adressoient les harangues les plus séditieuses. Un jeune homme de vingt-deux ans ne cessoit de crier qu'il falloit égorger toute la famille royale. Ce jeune homme avoit l'extérieur le plus agréable; il étoit blond, bien fait et d'une physionomie aimable: mais ce malheureux s'appelloit Clément. Un autre jeune monstre appelloit à grands cris la mort sur le roi et sa famille; celui-ci se nommoit Bourgoin. Clément et Bourgoin! Quels noms! Quels souvenirs ils rappelloient ! Et dans quelle circonstance! enfin un autre scélérat figuroit dans cette scene d'horreur; mais celui-ci étoit d'une figure extrêmement hideuse. Il se taisoit, et se contentoit de fixer le roi, en faisant des contorsions effroyables. Il portoit sur sa tête un long bonnet de carton sur lequel étoit écrit, la

mort.

Rien de tout cela ne pouvoit émouvoir la foule. Partagée entre le roi et sa sœur, elle restoit immobile. On lisoit dans tous les yeux où l'étonnement, ou la stupidité, ou l'inquiétude.

Tandis que les choses se passoient ainsi dans l'intérieur du château, les bandits qui

étoient restés dans les cours ou dans le jar din, ceux qui étoient montés aux fenêtres des étages élevés, ceux enfin qu'on voyoit jusques sur les toîts, ne cessoient de crier: Quand donc nous enverrez-vous la tête du roi et celle de la reine?

Personne n'osant toucher à ces têtes augustes, le boucher Legendre perd patience; il monte au château, suivi d'une troupe de scé éra's déterminés à tout. L'un d'eux présente au roi un bonnet rouge; un des quatre grenadiers. l'écarte, et est blessé d'un coup de pique. Un autre de ces scélérats crie: Où est-il? que je le tue ! En même tems il s'avance vers le roi, en brandissant un bâion armé d'un long dard. Un garde nationale appellé Canole, détourne le coup, saisit le misérable au collet, le force de tomber aux genoux du monarque, et de crier vive le roi. Un troisiéme présente à Louis XVI une bouteille, et lui demande de boire à la santé de la nation. On veut chercher un verre; Louis dit qu'il n'est pas nécessaire, et aussi confiant que le fut Alexandre dans une circonstance bien moins périlleuse, il applique ses lèvres au vase qu'on lui présente. Un des camarades de Legendre profite de ce moment pour enfoncer avec violence sur la tête du roi un bon et rouge.

Legendre de son côté crie que le peuple a des demandes à faire. Louis répond avec fermeté, que si on a des demandes à lui faire, ce

n'est ni le moment de proposer, ni celui d'accorder.

Un député nominé Lesueur, qui se tenoit à côté du roi, ne pouvant supporter le spectacle des dangers que couroit le monarque, s'évanouit. La sœur de Louis vole à son secours, lui fait respirer des eaux spiritueuses, et lui rend la vie. Le tendre empressement de la princesse sembla amollir tous ces tigres. Merlin lui-même, autre député qui se trouvoit là, donna des marques d'une véritable sensibilité.

Ainsi Legendre ne fut pas plus heureux que ceux qui l'avoient précédé. Santerre resté dans les cours, s'indignant de ce que le sang ne couloit pas, crut que sa présence détermineroit le carnage. Il monte suivi d'une troupe de frénétiques. Aussi-tôt tout l'intérieur du château retentit des cris: vive Santerre, vive le fauxbourg Saint-Antoine! vivent les sans-culottes! Santerre persuadé qu il lui seroit plus aisé d'obtenir la mort de la reine, que celle du roi, passe dans la salle où étoit cette princesse. La foule s'y précipite avec lui. Une femme vomissant les propos les plus impurs, jette sur la table un bonnet rouge et des rubans aux trois couleurs; elle exige que le jeune dauphin en soit affubié on lui obéit.

Santerre cependant à la vue de la reine paroît interdit; on suffoquoit dans la salle; on le prie de la faire dégorger de tout ce peuple. Il s'appuie alors sur la table, fixe la.

reine, et lui adresse ces mots : Eh! madame, ne craignez rien; je ne veux pas vous faire du mal, je vous défendrai plutot; mais song'z qu'on vous abuse, et qu'il est dangereux de tromper le peuple.

Après cette courte harangue, Santerre donne à sa troupe l'ordre de la retraite; il la pousse brutalement devant lui, il la gour minde; il la menace; elle tremble à sa voix; elle défile, et s'enfuit.

Tous les principaux conjurés s'étoient montrés; Pétion seul n'avoit poiat encore paru; on le vit enfin, mais lorsqu'il fut bien` démontré à la faction, que la journée étoit perdue pour elle. Pétion monta sur un fabouret, et dit au roi : Sire, vous n'avez rien à craindre. Rien à craindre, répondit Louis avec émotion ! L'homme de bien qui a la conscience pure, ne tremble jamais ; il n'y a que ceux qui ont quelque chose à se reprocher, qui doivent avoir peur. Tiens, ajouta-t-il en prenant la main d'un des grenadiers qui étoit à côté de lui, donne moi ta main, mets - la sur mon cœur, et dis à cet homme s'il bat plus vite qu'à l'or dinaire.

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Pétion confus ne répliqua rien, il se tourna vers le peuple, et lui adressa cette courte et très étonnante harangue : citoyens et citoyennes, vous ayez commencé la journée avec DIGNITÉ ET SAGESSE; vous avez prouvé que vous étiez libres; finissez de même avec DIGNITÉ, et faites comme

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