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gage bien différent; il eût dit sans doute : Le plus triste rêve que puisse faire le der nier des hommes, c'est de réver qu'il est roi de France. L'infortuné qui détrempe de sa sueur le pain qui le nourrit, l'esclave sous la domination d'un maître dur, l'accusé qui erre sous les voûtes d'une prison, sont mille fois moins malheureux que ne l'étoit Louis XVI sous le règne de notre seconde assemblée nationale.

Cependant quoiqu'environné de calamités, quoiqu'abreuvé nuit et jour, d'affronts et de chagrins, Louis XVI continuoit à repous ser les instances que ne cessoient de lui faire Pétion et Manuel de s'échapper de cet enfer. La constitution lui avoit donné une garde: on fit jouer tant d'intrigues, on excita tant de séditions qu'il fût obligé de la licencier. On crut alors que se voyant seul en présence des innombrables et implacables ennemis qu'on avoit déchaînés contre lui, il prendroit le parti de les fuir. Cet espoir fut encore trompé; Louis dévora cette nouvelle insulte, et attendit patiemment les derniers coups qu'on vouloit lui porter.

La première assemblée nationale avoit créé un tribunal suprême appellé la haute Cour nationale. Ce tribunal qui siégeoit à Orléans, étoit chargé de prononcer en dernier ressort sur les décrets d'accusation qui émaneroient du corps législatif. On fit de cette institution l'abus le plus cruel contre Louis XVI: on remplit les prisons du tribu

nal de tous ceux qu'on croyoit qu'il chérissoit le plus. De ce nombre fut le duc de Brissac commandant de la garde licenciée. A chaque décret d'accusation, l'ame de Louis XVI étoit déchirée; mais il n'en persista pas moins à vouloir rester parmi ses ennemis.

Pour qu'il ne comptât pas sur le secours de la garde nationale, Pétion leva sous ses yeux une armée de tous les bandits, de tous les malfaiteurs que d'Orléans soldoit dans Paris. On fit fabriquer plus de trente mille piques pour armer cette populace. Ce fut avec l'argent de la Commune, et avec celui du prince qu'on paya ces armes. Je vis un soir en quittant le Palais-Royal entre onze heures et minuit, au bas du grand escalier, plusieurs caisses remplies de ces piques. Delà elles allèrent dans les fauxbourgs. Il y en avoit dont la structure supposoit bien de l'atrocité dans les ouvriers qui les avoient fabriquées, et dans les scélérats qui les avoient commandées; le fer en étoit découpé de manière que celui qui en auroit été percé, auroit reçu plusieurs blessures à-la-fois, et en toutes sortes de sens.

eurent

Ceux qu'on armia de ces piques pour coëffure un bonnet de laine rouge; un méchant gilet en lambeaux, une chemise grossière et noire composoit leur uniforme. Et comme on les appelloit sans-culottes, on voulut qu'ils fussent dignes de ce nom. Ainsi ils n'avoient pour cette partie du vêtement que la pudeur rend indispensable,

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qu'un méchant haillon qui sembloit avoir été ramassé dans les immondices des égoûts. Leur physionomie répondoit à leur accoûtrement. Pour la rendre plus difforme, ils se balafroient le visage; ils l'enduisoient de fange. Voilà l'armée que Pétion avoit levée pour le service de d'Orléans. Voilà une des inventions de ce maire de Paris que toute cette canaille appelloit le vertueux Pétion.

L'effroi que ces monstres inspiroient est à peine croyable. Je n'oublierai de ma vie, que passant un matin vers les sept heures dans la rue des Noyers, j'en vis deux qui venoient de la place Maubert; ils étoient coeffés du bonnet rouge et armés de la pique. Le plus âgé avoit à peine dix-huit ans. A mesure que ces deux enfans avançoient dans la rue, les bourgeois rentroient dans leurs maisons; les portes se fermoient; les boutiques se barricadoient. Telie étoit la peur qu'ils occasionnoient, qu'en quelques minutes il n'y eût plus qu'eux et moi dans la rue.

Une estampe qui à cette époque, fụt exposée sur tous les quais, prouva à qui appartenoient ces hideux soldats. Cette estampe représentoit d'Orléans jouant au piquet avec Louis XVI. D'Orléans étoit couvert du bonnet rouge; Louis XVI cherchoit à retenir sa couronne qui glissoit de sa tête, et s'écrioit: J'ai écarté les cœurs, il a pour lui les PIQUES; j'ai perdu la partie. On ne pouvoit prophétiser avec plus de vérité;

la partie étoit absolument perdue pour

Louis XVI.

Sous le prétexte de pétitions à présenter à l'assemblée législative, on attiroit souvent autour du château les gens à piques; on imaginoit que la vue de ces forcenés qui sembloient avoir été vomis par les enfers, effrayeroit Louis XVI, et le détermineroit enfin à fuir; mais il fut inébranlable dans sa résolution d'être fidèle à la parole qu'il avoit donnée aux membres de la première,

assemblée.

Pétion et Manuel étoient ceux qui pressoient avec plus d'importunité le roi de sortir de la capitale; ils lui représentoient que sa mort étoit certaine s'il y restoit, et ils ne manquoient pas de lui faire observer que par l'autorité qu'ils avoient dans Paris, rien ne leur étoit plus facile que de favoriser sa retraite, et de la protéger jusqu'à l'asyle dont il auroit fait choix. Plus ces hommes insistoient, et plus le monarque qui connoissoit toute leur perfidie, repoussoit cette propo

sition.

Les Orléanistes voyant qu'il leur étoit impossible d'attirer le roi dans ce nouveau piège, se déterminèrent enfin à renouveller les attentats des 5 et 6 octobre, et à si bien conduire cette fois-ci les poignards des assassins, que le roi ne pût leur échapper. D'Orléans pour se ménager une excuse dans le cas où cette nouvelle conspiration n'iroit pas à son gré, sortit de Paris, et alla se mettre

ou plutôt se cacher sous l'uniforme de gardemarine à la suite de l'armée de Flandres. Il pensoit qu'il lui suffiroit de justifier de son absence, pour prouver qu'il n'avoit eu aucune part au nouvel événement. C'étoit là la ruse d'un hypocrite, et non la conduite d'un conspirateur. C'est sur-tout lorsque les conjurés vont tenter la dernière entreprise, qu'il faut que leur chef soit à son poste, pour les animer par sa présence, et les diriger par ses ordres.

Poussant la prévoyance aussi loin qu'elle pouvoit aller, d'Orléans ne se contenta pas de s'absenter, il ordonna à l'anglois Farrer son écuyer, de lui tenir sur la côte, une corvette prête à le transporter en Angleterre dans le cas où le roi vaincroit ses ennemis.

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Le prince étant parti, tous les conjurés se mirent en mouvement. Ils prêchèrent dans la société des jacobins avec plus d'ardeur qu'ils ne l'avoient encore fait, la loi agraire, et Brissot pour la première fois y parla d'une convention nationale. La conjuration-devoit éclatter le 20 juin (1). Dès le 17 Laclos et Sauvigny se jettèreni dans les fauxbourgs. Carra, Gorsas, Brissot et Condorcet préparèrent par des écrits incendiaires, le peuple à l'insurrection. Gorsas la veille de l'exécution du complot, parcouroit les groupes, échauffoit les esprits, et crioit: Amis, il nous

(1) 1792.

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