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chimère constitutionnelle, c'étoit pour le mieux servir; mais la prudence vouloit qu'il se tînt en garde contre les conseils qu'ils lui donnoient, parce qu'il n'avoit d'autre garant de leur sincérité que leur parole. S'il s'en rapportoit à leur conduite, il devoit les tenir pour suspects, puisque leurs actions les rangeoient parmi ses ennemis.

L'histoire de la révolution mettra cette vérité dans un plus grand jour. Pour moi je me bornerai ici à l'appuyer d'un seul exemple. Lecomtede Montmorin juroit et au roi et aux amis avec lesqueis il pouvoit s'ouvrir sans se compromettre, que nul homme au monde n'étoit plus dévoué que lui à la famille royale, et j'ai la preuve que le comte de Montmorin en parlant ainsi, disoit la vérité. Cependant ce même gentilhomme faisoit en apparence si bien cause commune avec les constitutionnels, ou pour mieux dire, avec les persécuteurs de Louis XVI, qu'il avoua lui-même un jour, qu'il méritoit de perdre la vie en place de Grêves, si le roi reprenoit un jour son autorité, et s'il vouloit être juste. Je cer tifie que cet aveu est sorti de la bouche du comte de Montmorin, en présence de personnes avec lesquelles il n'avoit aucun intérêt de dissimuler.

Louis XVI ne pouvoit donc qu'être ex1raordinairement réservé avec des personnes qui prétendoient à la vérité, lui être attachées; mais qui convenoient en même tems qu'elles agissoient criminellement; chacun

de

de ces royalistes qui ont survécu aux proscriptions, tient aujourd'hui ce langage: « Si Louis XVI avoit suivi les conseils que, je lui donnois, il seroit encore notre roi. » D'abord cela est tout au moins douteux; ensuite dans les circonstances difficiles où se trouvoit Louis XVI, il falloit plus agir que conseiller; enfin ce prince n'étoit pas Dieu; il ne pouvoit pas lire au fond des consciences; les actions qu'il voyoit, devoient le porter sinon à condamner, au moins à suspendre son jugement.

Convaincu que la forte majorité de la nouvelle assemblée désiroit réellement la constitution, ce fut d'abord à cette majorité que Louis XVI résolut de se tenir fortement attaché : il ne voulut plus que des ministres constitutionnels; il apprit la constitution par cœur, et ordonna que dans son conseil elle servit de base et de règle à toutes les délibérations. D'un autre côté, opiniâtrément résolu à tenir la parole qu'il avoit donnée de neplus abandonner la capitale, il reponssa constamment toutes les mesures, tous les avis qui (endoient à l'en éloigner.

Les orléanistes disoient bien aussi qu'ils demandoient la constitution ou la mort; mais comme ce n'étoit pas là ce qu'ils désiroient, comme ils n'avoient d'autre vue que d'égorger la famille royale, il arrivoit que le roi en ne s'environnant que de ministres constitutionnels, ne rendoit pas ses affaires meilleures. On crioit que ces ministres n'étoient Tome III.

L

que

rien moins que ce qu'ils paroissoient être et dans le fond de leur ame, ils se promettoient de rétablir l'ancien ordre de choses. Louis XVI pour faire tomber ces cris de sédition, changeoit sans cesse de ministres ; il remplaçoit ceux contre lesquels on élevoit des soupçons, par d'autres qu'il alloit chercher jusques dans l'antre des jarobins; mais si les derniers venus ne se prononçoient pas fortement contre la famille royale, ils étoient à leur tour dénoncés et décriés. Ainsi on amena le monarque à prendre des ministres même parmi les crléanistes.

Les manèges qui se faisoient à l'égard des ministres, se pratiquoient également à l'égard des généraux. Ces généraux avoient beau invoquer la constitution; s'ils n'étoient pas ardens orléanistes, il falloit qu'ils abandonnassent le commandement qui leur étoit confié. Je ne citerai à ce sujet, qu'un trait que l'histoire écrira en lettres de sang. Le midi s'étoit rempli de troubles. Les côtes d'Afrique et d Italie avoient vomi à Marseille des milliers de scélérats; de-là ils s'étoient répandus dans toute la Provence. Partont où ils passoient, le sacrilège, le viol, le brigandage, l'assassinat étoient commis impunément.

İls entrèrent dans Avignon, ayant à leur tête un moastre qu'on appelloit Jourdan, qu'on surnomma depuis Coupe-tele, et qui se glorifioit de ce surnom. Cette bête féroce indigne du nom d'homme, donna à ses gens le

signal du carnage. Plusieurs habitans sans distinction d'âge ni de sexe, furent massacrés avec des rafinemens de cruauté dont l'histoire d'aucun peuple n'offre d'exemple. On força les prisons, on v égorgea froidement; on y mutila, on y déchira les malheureux qui y étoient détenus. Le sang coula à si grands flots que les eaux de la Sorgues qui arrose l'intérieur de la ville, s'en teignirent les carrières furent encombrées, en; gorgées de cadavres, ou plutôt de membres, de masses informes de chair. Ces Antropophages après avoir égorgé leurs victimes, les dépeçoient, et s'en disputoient les lambeaux; ils réalisoient à l'envi avec une féroce émulation, ce que la fable nous raconte de l'horrible festin offert par Atrée à son frère Thyeste. Jamais forfaits plus monstrueux n'avoient souillé ce globe.

L'Europe entière frémit d'indignation en apprenant de tels excès; un cri général s'éleva, et en demanda justice à l'assemblée lé→ gislative. Il est horrible de dire que bien loin de l'accorder, elle prononça une amnistie en faveur de ces Cannibales. Les intrigues des orléanistes lui arrachèrent ce honteux décret qui la couvre d'une tache ineffaçable auprès de toutes les générations. Ces mêmes Cannibales furent appellés dans la société des Jacobins, et jusques dans le sein de l'assemblée législative, de braves brigands, des héros, Ces honneurs, cette protection leur étoient dus. D'Orléans qui les avoit

recrutés, se proposoit de les attirer à Paris; si le nombre d'assassins qu'il soldoit dans cette capitale, ne suffisoit pas pour répandre le sang de Louis XVI.

Cependant dans l'intervalle que la faction mit à demander et à obtenir l'amnistie, une partie de gardes nationales du Midi et de soldats restés fidèles au roi occupa Avignon. Les monstres qui avoient ensanglanté cette ville, se dispersèrent. On se saisit de quelques-uns de leurs chefs au nombre desquels furent Jourdan, Duprat, Mainvielle, Barbaroux, et on les jetta dans ces mêmes cachots où ils avoient égorgé tant de victimes. Leur détention remplit de nouveau toute la province de troubles et d'allarmes. Leurs complices ramassèrent une armée assez considérable pour faire craindre que les prisonniers ne fussent élargis, et que les massacres ne recommençassent.

Il étoit instant de prévenir cette nouvelle calamité. Louis XVI se hâta d'envoyer dans le Midi le comte de Wittgenstein, lieutenant général. Cet officier étoit agréable aux orléanistes; ils le croyoient à eux; ils se trompoient. La vérité est qu'il paroissoit être un partisan ardent du systême constitutionnel. Cet attachement sinon réel, du moins apparent pour la constitution, et qui lui valoit une grande renommée de popularité parmi ceux qu'on appelloit patriotes, détermina Louis XVI à lui confier le commandement des troupes réunies dans le Midi. Il n'y avoit

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