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que je profite en ce moment de notre position pour tourner au républicanisme. On dit que je cherche à faire des partisans à ce systême. Jusqu'à présent on ne s'étoit pas avisé de m'accuser de trop de flexibilité dans mes principes, ni de changer facilement d'opinion au gré du tems. Pour les hommes de bonne foi, les seuls à qui je puisse m'adres-. ser, il n'y a que trois moyens de juger des sentimens de quelqu'un. Ses actions, ses parolės et ses écrits. F'offre ces trois sortes de preuves; elles ne sont point cachées; elles datent d'avant la révolution, et je suis sûr de ne m'être jamais démenti. Mais si l'on préfère de s'en rapporter aux allégations de la calomnie, il ne reste qu'à se taire. Ce n'est ni pour caresser d'anciennes habitudes, ni par aucun sentiment superstitieux de royalisme que je préfère la monarchie. Je la préfère parce qu'il m'est démontré qu'il y a plus de liberté pour le ciloven dans la monarchie que dans la république. Tout autre motif de détermination me paroît puéril. Le meilleur régime social est à mon avis, celui où, non pas un, non pas quelques-uns seulement, mais où tous jouissent tranquillement de la plus grande latitude de liberté possible. Si j'apperçois ce caractère dans l'état monarchique, il est clair que je dois le vouloir par-dessus tout autre. Voilà tout le secret de mes principes et ma profession de foi bien faite. J'entrerai en lice avec les ré

publicains de bonne foi. Je ne crierai point contr'eux à l'impiété, à l'anathême; je në leur dirai point d'injures. J'en connois plusieurs que j'honore et que j'aime de tout mon cœur, mais je leur donnerai des raisons, et j'espère prouver, non que la monarchie est préférable dans telle ou telle position, mais que dans toutes les hypothèses on y est plus libre que dans la république.. Actuellement je me hâte d'ajouter pour qu'on ne s'y trompe pas, que mes idées à cet égard ne sont pas tout-à-fait celles que se forment de la monarchie les amis de la liste civile. Par exemple, je ne pense pas que la faculté de corrompre et de conspirer, soit un élément nécessaire de la véritable royauté. Je crois au contraire que rien n'est plus propre à la gâter et à la perdre. Un traitement public de trente millions est très-contraire à la liberté, et dans mon sens, très-anti-monarchique.

» Qu'il me soit permis de saisir cette occasion pour faire remarquer à ceux qui ne s'en doutent pas, que les hommes qui me traitent de républicain forcené, sont les mêmes qui tout à côté, tentent de me faire passer pour monarchien contre-révolutionnaire. Ils savent toujours à propos le langage qu'il faut tenir aux différens partis; on seut bien que ce qu'ils veulent n'est pas de dire ce qu'ils pensent, mais de dire ce qui peut nuire. Cet esprit est tellement perfectionné, que j'ai vu des aristocrates accu

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ser très-à-propos d'aristocratie un patriote qu'ils n'aimoient pas, et tel républicain ne -pas leur céder dans le même genre d'habileté. Si ces hommes-là savoient nuire à leur ennemi en l'accusant d'être honnête homme, ils l'en accuseroient.

Signé, EMMANUEL SIEYES.

On voit que Sieyes en voulant persuader dans cette lettre, qu'il existoit un parti qui désiroit avec sincérité la république, confesse cependant qu'il ne tenoit en aucune manière à ce parti. A quel parti tenoit-il donc ? A l'en croire, il étoit royaliste; il pensoit que dans toutes les hypothèses, la monarchie étoit préférable à la république. Ce n'étoit pas Louis XVI qu'il vouloit pour roi, puisqu'il étoit du nombre de ceux qui demandoient sa destitution. Qui vouloit-il. donc pour roi? d'Orléans. Il me semble que ce n'est pas là interprêter sa réponse, puisqu'on ne voit pas qu'il pût en faire uncautre. Tel est pourtant l'homme qui nous assure dans la notice de sa vie qu'il n'a pas été plus Orléaniste que Robespierriste. Il est aussi peu croyable dans ceite assertion que lors-. qu'il assure aujourd'hui avoir été toute sa vie républicain. Dira-t-il qu'il mentoit en 1791, lorsqu'il se disoit royaliste? Eh! qui nous répondra qu'il ne ment pas aujourd'hui ? La vérité est que cet homme a toujours été et sera toujours du parti du plus fort. Il étoit royaliste, grand vicaire et chanoine quand

il y avoit un roi et un ministre de la feuille des bénéfices. Il tournoit au calvinisme quand il croyoit que d'Orléans régneroit. Il a été. athée quand Gobet, Anacharsis Clootz et Hébert ont proclamé l'athéisme. Il s'est dit déiste sous Robespierre. Cette infâme versatilité est une preuve de plus que dans le cœur d'un apostat, il n'y a que lâcheté, hypocrisie et fourberie.

Jamais cependant comme je l'ai dit, d'Orléans ne s'étoit vu plus près du trône. Les choses en étoient venues à un point qu'aucun moyen humain ne pouvoit l'empêcher d'y monter. Il devenoit impossible que la majorité de l'assemblée nationale ne décrétât pas la destitution, et cette destitution prononcée, il falloit bien ou un autre roi, ou un régent. Les royalistes opprimés, sans pouvoir sur l'opinion, n'avoient ni crédit ni force pour empêcher cette révolution. Mais il étoit écrit dans les décrets de cette providence dont les hommes ne peuvent changer l'immuable volonté, que jamais d'Orléans ne toucheroit au but où son ambition le poussoit. A l'instant même où tout lui scurioit, où il croyoft ses voeux accomplis, il se fit dans son propre parti la plus étrange diversion. Ceux qui dans sa faction, avoient été jusques-là les idoles du peuple, se tournèrent tout-à-coup contre le prince, et devinrent pour lui des ennemis aussi ardens que l'étoient les royalistes et les impartiaux.

Les méchans, dit Fénélon

craignent

Y

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les méchans, s'en défient, et ne souhaitent point de les voir en crédit. C'est peut-être là la seule manière d'expliquer un changement qui tenoit véritablement du miracle. Cechangement fut d'abord si secret que d'Orléans et les siens qui ne l'avoient pas prévu, ne le surent que lorsqu'il leur fut impossible d'en empêcher l'effet. Ce fut une véritable conjuration contre d'Orléans.

Barnave se mit à la tête des conjurés, et comme il jouissoit d'un grand crédit parmi les jacobins, il entraîna une nombreuse portion du côté gauche de l'assemblée nationale. On dit que dans le long trajet de Varennes à Paris, ayant sans cesse sous les yeux le spectacle de l'infortune de la famille royale, il en avoit été attendri et changé, et que dèslors il avoit résolu d'adoucir le sort de Louis XVI. Ce fait qui a beaucoup de vraisemblance, prouveroit que le cœur de ce malheureux jeune homme n'étoit pas fermé à tout sentiment de générosité.

Barnave fit entrer dans ses vues Lechapelier, Bouche, Salles, Antoine, les Lameth, le vicomte de Noailles, Muguet de Nantou, d'André, de Liancourt, Prugnon, Duport, Goupil, et en général comme je viens de le dire, les membres du côté gauche les plus considérables par leur popularité. Ce nouveau parti se réunit à celui de la Fayette et de Bailly pour faire avec ces deux honimes cause commune.

On convint d'abord de se rapprocher du

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