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sûreté, ni même de décence pour moi, de rester à Paris. >>

La fermentation cependant s'accroissoit dans Paris : les orléanistes dans la société des Jacobins, et dans les diverses sections où ils se répandoient, crioient qu'il falloit se hâter de décréter la déchéance de Louis XVI. Au sein de l'Assemblée nationale, on ne prononça pas le mot de déchéance, mais celui de destitution qui revenoit absolument au même. Pétion, Robespierre, Buzot, Vadier, l'abbé Grégoire, Ræderer furent ceux qui appuyèrent avec le plus d'ardeur cette destitution.

La chose ne laissoit pas que de paroître délicate aux orléanistes même; ils ne savoient trop que répondre aux royalistes qui leur disoient: « Si vous obtenez le décret de déchéance, que mettrez-vous à la place du gouvernement du roi actuel ? N'est-il pas évique vous ne voulez destituer Louis XVI, que pour donner sa couronne à d'Orléans. » C'étoit bien à ce but qu'on prétendoit ar river, mais on ne vouloit pas en convenir. On n'osoit pas dire ouvertement : « Il faut que Louis XVI cède son trône à d'Orléans. >> Pour donner momentanément le change, et ne pas laisser croire qu'on eût la pensée d'élever un usurpateur, on commença pour la première fois à jetter dans le public l'idée d'une république, et de l'établissement de la loi agraire. Cette double nouveauté fut présentée avec ménagement, et de manière

qu'on pût toujours la désavouer. Brissot, Laclos, Marat, l'abbé Fauchet, Clootz Manuel, Gorsas, Carra, Hébert en furent les premiers apôtres. Syeyes la colportoit mystérieusement.

Cette rus trompa les royalistes; ils crurent de bonne foi qu'il s'élevoit une faction qui vouloit convertir la France en une république. Cette erreur n'est pas encore tombée, c'est l'opinion de bien des gens que les novateurs dont je viens de parler, vouloient dès-lors le gouvernement républicain. Ils ne le vouloient pas ; ils n'avoient en vue que l'élévation de d'Orléans dont ils espéroient être les favoris. On leur demandoit: « Que mettrez vous à la place de l'autorité de Louis XVI? » Il falloit bien qu'ils fissent une réponse à cette question. Ils répondoient : Nous établirons une république.» Et que tout le peuple fût à eux, ils ajoutoient: «Nous ferons un partage égal de toutes les propriétés foncières. »

pour

Ces prétendus républicains obtinrent un premier succès dans l'Assemblée nationale; ils en arrachèrent un décret qui auroit mis en leur pouvoir la personne du jeune dauphin. Ce décret portoit que ce prince seroit ôté aux auteurs fe ses jours, et que l'Assemblée elle-mê lui nommeroit un gouverneur. On imprima la liste indicative des personnes parmi lesquelles les députés choisiroient ce gouverneur. On inscrivit sur cette liste l'avocat Agier, président d'un des nou

veaux tribunaux, le médecin Broussonnet, Cérutti, Condorcet, l'abbé Noël, rédacteur du journal intitulé la Chronique de Paris, François de Neufchâteau, Garan de Coulon, Hérault de Séchelles, l'avocat Hom qui avoit signé une des apologies de d'Orléans, Kersaint, Necker, Valence un des plus soumis serviteurs de d'Orléans.

Plus le parti du prince s'agitoit, plus les royalistes faisoient effort pour raffermir l'au torité de Louis XVI. Persuadés que la France étoit déchirée par deux factions, dont l'une vouloit placer d'Orléans sur le trône, et l'autre prétendoit substituer la république à la monarchie, ils dénoncèrent par tous les moyens qui étoient en leur pouvoir, ces deux factions. Les écrits qui furent publiés pour prouver leur existence, placèrent Syeyes à la tête des républicains. Ces écrits étoient si forts en raisonnemens et en probabilités, que les factions elles-mêmes s'allarmèrent, et qu'il fallut que. leurs chefs s'expliquassent. D'Orléans et Syeyes publièrent une profession de foi qui pût tromper le peuple sur leurs véritables vues, au moins jusqu'au jour où ils en obtiendroient l'accomplissement. Le prince adressa à tous les journalistes la lettre suivante:

MONSIEUR,

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<< Ayant lu dans votre journal, N.o 689, votre opinion sur les mesures à prendre d'après le retour du roi, et tout ce que vous a

dicté sur mon compte, votre justice et votre impartialité, je dois vous répéter ce que j'ai déclaré publiquement, dès le 21 et le 22 de ce mois, à plusieurs membres de l'Assemblée nationale; que je suis prêt à servir ma patrie sur terre, sur mer, dans la carrière diplomatique, en un mot, dans tous les postes qui n'exigeront que du zèle et un dévoue ment sans bornes au bien public; mais que s'il est question de régence, je renonce dans ce moment, et pour toujours, aux droits que la constitution m'y donne. J'oserai dire qu'après avoir fait tant de sacrifices à l'intérêt du peuple et à la cause de la liberté, il ne m'est plus permis de sortir de la classe de simple citoyen, où je ne me suis placé qu'avec la ferme résolution d'y rester tou-. jours, et que l'ambition seroit en moi une inconséquence inexcusable. Ce n'est point pour imposer silence à mes détracteurs, que je fais cette déclaration; je sais trop que mon zèle pour la liberté nationale, pour l'égalité qui en est le fondement, alimentera toujours leur haine contre moi ; je dédaigne leurs calomnies; ma conduite en prouvera constamment la noirceur et l'absurdité; mais j'ai dû déclarer dans cette occasion mes sentimens et mes résolutions irrévocables, afin que l'opinion publique ne s'appuie pas sur une fausse base dans ses calculs et ses combinaisons relativement aux nouvelles mesures que l'on pourroit être forcé de prendre. Signe, Louis-PHILIPPE D'ORLEANS. »

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Les royalistes bien loin d'ajouter aucune foi à cette hypocrite déclaration de d'Orléans, en conclurent qu'il se tenoit assuré qu'on alloit bientôt proclamer un régent du royaume, et à qui cette place éminente seroit-elle accordée, sinon à lui-même.

Quant au prêtre Sieyes qu'on accusoit de vouloir fonder une république en France, et qui dans la notice sur sa vie publiée depuis. la mort de Robespierre, a prétendu avoir toujours été républicain, même avant la révolution; voici comment il s'expliqua sur cette accusation dans une lettre qu'il publia également par la voie des journaux. (1) Sous tous les points-de-vue rien n'est plus curieux que cette lettre.

» J'ai cru que je pourrois passer ma vie sans répondre jamais aux injures ni aux inculpations sans preuves. Quant aux injures, je ne sens pas encore le besoin d'y faire attention, quelque riche que fût ma moisson en ce genre, si je m'amusois à la recueillir. Il peut en être autrement des inculpations; il y a des circonstances où il est utile de les repousser. Par exemple, on répéte fort

(1) On la trouve notamment dans le moniteur; n'ayant pas actuellement sous les yeux ce journal, je ne me rappelle pas précisément à quelle date, mais c'est dans un des premiers Numéros du mois de juillet 1791.

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