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tems des affronts d'autant plus sanglans pour lui, qu'il étoit revêtu d'un caractère sacré, et que depuis l'enfance il étoit accoutumé au respect et à l'obéissance des autres hommes; sa patience fut à bout.

A l'impossibilité de souffrir les chagrins dont on l'abreuvoit, et dont il ne voyoit pas le terme, se joignit le désir si naturel de recouvrer sa liberté, et encore la considération de ce qu'il croyoit devoir à sa conscience. 11 · étoit après tout, par la place qu'il avoit héritée de ses ayeux, le roi, le protecteur, le père de ses sujets. Il voyoit la royauté détruite, tous les pouvoirs méconnus, tous les crimes impunis, la sûreté des personnes mises par-tout en danger, et l'anarchie établie audessus des loix; il lui étoit évident que tant qu'il resteroit à Paris, l'ombre d'autorité qu'on lui laissoit, seroit insuffisante pour réprimer aucun des maux du royaume. Il résolut donc de se rendre aux instances qui Jui étoient faites de s'éloigner de la capitale, Il vint ainsi tomber dans l'abîme où le traînoient les orléanistes, les constitutionnels et le parti de la Fayette..

Cette résolution arrêtée, le roi se proposa de se rendre d'abord à Montmédy place forte. Il pensoit qu'il seroit là en sûreté avec sa famille; il y trouvoit encore l'avantage qu'étant près de la frontière, il auroit pu s'opposer à toute espèce d'invasion dans la France si on avoit voulu en tenter une, et se porter lui-même par-tout où il y auroit

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eu quelque danger à prévenir. Le marquis de Bouillé se chargea de protéger le voyage jusqu'à Montmédy, et il fut convenu que Monsieur suivroit le roi dans sa retraite.

Quoiqu'on n'eût communiqué ce projet qu'au petit nombre de personnes qu'il étoit nécessaire de meitre dans la confidence, il arriva cependant qu'il fut su de ceux à qui il importoit le plus d'en dérober la connoissance. Parmi les femmes de la reine, il y en avoit deux dont l'une étoit vendue à Voidel, et l'autre à la Fayette. L'une et l'autre surent le jour et l'heure fixés pour le départ de la famille royale, ainsi que la route qu'elle tien droit. La Fayette ut si bien servi par celle des femmes qui lui rendoit compte de toutes les actions de la reine, qu'il eut un échantillon de la robe que la princesse devoit porter le jour de son départ. Il fit part de ce qui se passoit au château, à Bailly et à quelques officiers de sa garde nationale, entr'autres à Gouvion et au duc d'Aumont. Voidel en instruisit le comité des recherches de l'assemblée nationale et le duc d'Orléans. Celui-ci fut au comble de sa joie ; il ne douta plus qu'il alloit enfin être élevé tout au moins à la régence.

Quelques heures avant le départ du roi, la Fayette eut avec lui un entretien, où de part et d'autre l'on dissimula. Lorsqu'il se fut retiré ; la jeune princesse fille du roi, dit avec beaucoup d'émotion aux auteurs de ses jours: « Nous sommes trahis; la Fayette en

se retirant, a jetté sur nous un regard, et a souri d'une manière qui me persuade qu'il sait tout. » On négligea cet avis, mais un noir pressentiment flétrissoit le cœur de la reine. En descendant le château pour gagner la voiture, elle dit douloureusement à la marquise de Tourzel : « Ce voyage nous sera funeste; le roi n'est pas heureux. >>

La Fayette, Gouvion et le duc d'Aumont se trouvoient dans la cour des Tuileries, lorsque le roi y monta dans son carosse. Comme la nuit étoit fort avancée, aucune des personnes de la famille royale ne les apperçut. Le roi avoit avec lui dans le même carosse, son épouse, ses deux enfans, et la marquise de Tourzel. Monsieur partit avec son épouse, du Luxembourg où il logeoit. TI y avoit tant de sentinelles et dans l'inté rieur du château des Tuileries et au Luxem bourg que leur silence dans l'un et l'autre de ces palais tirent du prodige. On croit, et il est très-vraisemblable que les factionnaires avoient feint de se laisser gagner par la famille royale; mais que réellement ils avoient été gagnés d'avance par d'Orléans et la Fayette.

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Dès qu'on sut dans Paris que le roi étoit avec toute sa famille, la faction d'Orparti léans se livra à l'allégresse la plus effrénée et la Fayette montra une sécurité qui seroit inconcevable, s'il n'eût pas été au fait de toute cette machination. Les orléanistes arrachèrent les armoiries du roi, de tous lieux où

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elles se trouvoient, et effacèrent le mot roi de toutes les enseignes. Ils commencèrent aussi à parler de déclarer le roi déchu du trône. La Fayette se montrant impassible au milieu de ces mouvemens, parcouroit les rues sur son cheval blanc, sourioit au peuple, et lui promettoit que le roi ne tarderoit pas à revenir.

Le général ne faisoit pas une promesse vaine; il avoit fait partir des couriers et des aides-de-camp, non pas sur toutes les routes, mais seulement sur celle de Montmédy. Louis n'alla pas jusqu'à cette ville; Varennes fut le terme fatal de son voyage. On laissa passer Monsieur au-delà de la frontière; son émigration servoit d'Orléans; elle rapprochoit celui-ci du trône.

On a beaucoup blâmé Louis XVI de n'avoir pas suivi Monsieur, mais c'est qu'on n'a pas voulu considérer que la retraite de Monsieur étoit favorisée par les agens de d'Orléans, et que des obstacles insurmontables. s'opposoient à celle de Louis XVI. Voilà du moins ce que des témoins oculaires et dignes. de foi m'ont assuré. A peine le roi fut dans. Varennes que le tocsin sonna à dix lieues à la ronde; des légions de paysans armés de toutes les manières, accoururent et se trouvèrent là à point nommé. On dressa même, des batteries de canon sur tous les passages. On a prétendu depuis que ces canons n'étoient pas chargés, et qu'ils étoient même hors

d'état de tirer. Louis XVI ne pouvoit pas

deviner.

On a dit aussi qu'il auroit dû se faire jour le pistolet à la main, à travers les gens qui l'arrêtèrent. Charles XII lui-même n'eût pas entrepris cette folie, et quand Louis XVI l'eût faite, il n'en eût pas moins été arrêté, ou, ce qui est plus vraisemblable, les émissaires de d'Orléans qui se trouvoient là, l'eussent égorgé avec sa famille.

Il falloit bien qu'il y eût une impossibilité physique à ce que le roi s'évadât, puisque le marquis de Bouillé ni les troupes qu'il commandoit ne firent aucun mouvement pour protéger son évasion. Pour détruire la force de cette objection, on a prétendu que le roi avoit donné ordre de n'opposer aucune résistance à la violence qu'on lui faisoit. Mais dans une occasion semblable, on eût servi le roi malgré lui-même, s'il y eût eu réellement possibilité de l'arracher aux gens qui le retenoient. Le reproche dans ce cas devroit tomber plutôt, ce me semble, sur ceux qui s'étoient chargés de le mettre en sûreté, que sur lui-même.

On a dit enfin qu'il eût mieux valu cent fois pour Louis XVI, qu'il eût péri sur la place avec toute sa famille, que de perdre la vie sur un échafaud. Mais Louis XVI pouvoit-il, et devoit-il prévoir qu'on le livreroit un jour aux bourreaux ?

Ce furent un nommé Drouet maître de

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