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beau, à Sillery, à ses plus intimes confidens ces paroles: Nous ne ferons rien tant que nous n'aurons pas l'armée.

Ce fut en conséquence de ce principe que d'Orléans corrompit les Gardes-Françoises, la plupart des corps mandés pour protéger la capitale dans le mois de juillet, et ensuite le régiment de Flandres. La séductiondes Gardes-Françoises lui coûta personnellement plus de quatre cent mille livres, et celle du régiment de Flandres plus de cent mille.

Comme je place ici tout ce qui est relatif aux manoeuvres que les jacobins mirent en jeu pour séduire les troupes, je devance l'époque où le duc d'Orléans revint d'Angleterre, et je raconte de suite la part qu'il eut à ces manoeuvres, lorsqu'il fut de retour parmi nous. On pense bien que sa première démarche, comme le vouloit son intérêt, fut de se faire aggréger à cette société qu'avoient fondée, et que conduisoient ses meilleurs amis. Il n'eut pas de peine à la convaincre de la maxime, qu'on ne feroit rien tant qu'on n'auroit pas l'armée.

Il fit ensuite comprendre aux jacobins que pour parvenir à débaucher les troupes, il falloit commencer par éloigner les officiers qui n'étoient accessibles qu'à l'honneur, et les remplacer par des hommes à qui il pouroit commander à volonté, tous les genres de forfaits. Le club en conséquence envoya avec le plus grand secret dans chaque régi

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ne pas voir que l'établissement de ces clubs pouvoit seul balancer, et peut-être détruire un jour, la puissance des jacobins ; ils excitèrent et poussèrent la populace et même la garde nationale contre les royalistes et contre les impartiaux, de sorte que lorsque les uns et les autres vouloient se réunir, ils étoient obligés pour entrer dans leur salle et pour en sortir, de soutenir chaque fois un combat au pistolet avec les assassins qu'on ameutoit contr'eux. Comme ils n'avoient de leur côté ni le nombre ni la force, ce leur fut une nécessité de renoncer absolument à se réunir.

Quand la société fut suffisamment, affermie, il s'y fit une sorte d'épuration; on y mit en œuvre des moyens qui donnèrent à comprendre à Bailly et à la Fayette qu'ils n'y étoient pas vus de bon œil; ils se retirèrent entraînant avec eux tous ceux qui vouloient bien ure révolution, mais non passer de la domination d'un roi légitime á celle d'un usurpateur. Tous ceux qui de temps à autre furent ainsi éconduits, furent en même temps proscrits, c'est-à-dire, qu'on mit leur tête à prix, de sorte que l'expulsion des jacobins étoit un véritable arrêt de mort.

Je passe aux grands services que la société rendit à la faction d'Orléans. Dès les premiers troubles qui suivirent la seconde assemblée des notables, ce prince n'avoit cessé de dire à Laclos, à Sieyes, à Mira

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séduits, aveuglés, ne s'arrachoient des tavernes et des bras des prostituées, que pour se livrer à tous les excès de la rébellion. Ils méconnurent, ils insultèrent, ils frapperent même ceux de leurs chefs qui vouloient arrêter un désordre dont ils ne prévoyoient que trop les suites funestes.

La présence de ces chefs qu'on pouvoit appeller l'honneur et la gloire des drapeaux françois, importunoit et nuisoit; leurs places étoient promises; il fallut s'en défaire ; les officiers jacobins les environnèrent de tant d'assassins, que pour mettre leur vie en sû reté, ils furent contraints de fuir une patrie qui pour prix du sang qu'ils avoient versé pour elle, ne leur offroit plus que l'opprobre ou la mort.

Les orléanistes ne manquèrent pas de prétextes pour justifier aux yeux du public, les horribles persécutions qu'on suscitoit aux ofciers fidèles. Tantôt ils avoient rejetté avec indignation, le nouveau serment décrété pour les troupes; tantôt ils avoient refusé aux soldats le partage des masses; tantôt ils s'étoient opposés à ce que ceux-ci fussent admis dans les sociétés des jacobins. Ces diverses imputations furent présentées avec l'art le plus perfide, et de manière à persuader ceux qui ne vouloient ou ne savoient rien approfondir, que toute la loyauté, tout le patriotisme étoient du côté des officiers Orléanistes.

Insensiblement cette contagion de révolte

gagna toutes les garnisons, et par-tout les largesses précédèrent l'insurrection. Laclos et les deux Lameth répandirent à Metz plus de trois cent mille livres. Le baron Davigneau distribua à Nancy plus de cent mille livres. Ce Davigneau étoit capitaine au régiment de Mestre-de-Camp. D'Orléans lui avoit promis la place de commandant de ce corps, qu'il obtint en effet. Cet officier, jacobin fanatique souleva les soldats de son régiment, ceux du régiment du Roi et de Château-Vieux. Les Carabiniers eurent leur tour; on tenta aussi leur fidélité. Le baron de Malseigne, officier plein de bravoure et d'énergie, les retint long-tems dans le devoir. On promit cent louis à celui d'entr'eux qui couperoit la tête à Malseigne. Celui-ci fut tour-à-tour attaqué par une partie d'entr'eux, et défendu par l'autre. Il courut les plus grands dangers, fit des actions vraiment héroïques, et parvint en se faisant jour l'épée à la main à travers une foule d'assassins, mettre sa vie en sûreté.

A Nantes, d'Hervilly fut frappé par ses soldats; ceux du régiment de Provence menacèrent de pendre tous leurs officiers; ceux de Touraine tournèrent leurs bayonnettes contre le vicomte de Mirabeau leur colonel; il se défendit avec une intrépidité dont il y a peu d'exemples; il leur échappa, et malgré eux, emporta les cravates des drapeaux, dans la crainte qu'ils ne les profanassent.

A Perpignan, de Saillan fut assiégé par

trois mille cavaliers ou fantassins qui ne pu rent parvenir à se rendre maîtres de sa per

sonne.

Ceux des corps qui au milieu de cette fré nésie, restèrent purs, furent en France` comme en pays ennemi. Les officiers orléanistes les menaçoient journellement de les faire charger par leurs soldats. Il y eut de ces corps intacts qui passèrent souvent les nuits entières sous les armes. Le régiment suisse Ernest fut cerné, désarmé, et contraint de gagner la Suisse, sans armes ni munitions de guerre. Les trieze cantons virent cette violation scandaleuse du droit des gens et des traités qui nous lioient avec eux, sans en demander aucune sorte de satisfaction. Les orléanistes jugèrent dès-lors qu'il seroit possible de leur faire impunément toutes les sortes d'affronts.

L'armée navale ne fut pas plus exempte que celle de terre, des intrigues de la faction. A Toulon, le comte d'Albert de Rioms chef d'escadre et un des meilleurs officiers de mer de ce siécle, fut sur le point d'être jetté à la mer par les matelots de son bord.

Obligé de me borner, je ne présente ees déplorables événemens qu'en masse. Les détails appartiennent à l'histoire générale de notre révolution; c'est à elle à présenter dans toutes ses parties le tableau du soulèvement de nos deux armées de ferre et de mer. En contemplant ce triste effet des manoeuvres de d'Orléans, tout militaire, officier

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