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IMPRIMERIE DE Mme Ve CAMILLE MELLINET,
Imprimeur de la Société Académique.

1853.

Dunning

Tyl.

3-14 33 26766

LA

CHANSON AU XVI SIÈCLE,

PAR M. ÉVARISTE COLOMBEL.

La France est le pays des paradoxes, ce qui signifie peut-être que c'est la patrie des grandes vérités. Le paradoxe ne serait-il pas une vérité qui n'est pas encore née, ou bien encore une vérité défunte? Ce qui a été la vérité peut devenir un mensonge, de même que le sophisme n'est qu'un fruit cueilli avant d'être venu. Laissez mûrir le sophisme, il ne sera plus une déception. Mais quittons cette logomachie, et revenons à nos paradoxes.

Mon paradoxe est celui-ci : c'est qu'on pourrait, en faisant l'histoire de la chanson, faire l'histoire de France. Chaque époque a eu son cachet, féodalité, royauté, irréligion, raillerie, philosophie, liberté, révolution, gloires de l'Empire, souvenirs de Sainte-Hélène, lutte du drapeau blanc et du drapeau tricolore. Arrêtons-nous là. Incedo per ignes. Arrêtons-nous à Béranger; de peur de socialisme, ne parlons pas de Pierre Dupont,

et,

Béranger! ce nom nous le dit assez. Si chaque époque a eu son cachet, elle a eu son chantre, non pas son chantre à la façon d'Homère, pas même à la façon des bardes d'Albion, mais son chantre chansonnier. Laissons aux autres peuples la gloire d'avoir des poèmes épiques. La France peut s'en consoler, elle a ses chansons. Que ne savions-nous ces choses, quand, jeunes encore, échappés des bancs de la seconde, fiers d'être sur ceux de la rhétorique, nous déplorions avec toute l'Université cette déchéance intellectuelle de notre pays: « La France n'a pas de poème épique! Non, la France n'en a pas, malgré les efforts de M. de Voltaire; et, ce qui pis est, c'est que nos éternels ennemis d'outre-Manche ont Millon et le Paradis Perdu... » Voilà ce que nous avons tous dit!... En vérité, l'Université est bien coupable de ne nous avoir pas fait connaître la compensation des refrains nationaux.

A une époque déjà éloignée, lorsque je n'avais pas l'honneur de faire partie de cette assemblée, un journal de Nantes m'ouvrait le rez-de-chaussée de ses bienveillantes colonnes. Un jour, j'y entrepris de parler de la poésie du XVIe siècle. Mais, je l'avoue à ma honte, j'oubliai la chanson, cette forme si vive, si gaie, si précise, si française pour tout dire de ce qu'on est convenu d'appeler la poésie. Comment y aurais-je songé à cette fleur si fraîchement épanouie, empêché que j'étais dans les lourdes versifications latines des austères jurisconsultes de cette époque? Je veux réparer mon oubli et vous dire ce qu'en des temps de loisir, j'ai recueilli çà et là sur notre couplet de table ou d'amour, dont vous connaissez l'ambitieuse devise: Mulcet, Movet, Monet. Thalie

disait bien Castigat ridendo mores.

--

Nous vous ferons grâce des origines de la chanson. Il y aurait là matière à savante et bénédictine dissertation. Vous voyez donc bien qu'il n'est pas dans notre intention d'en parler. Nous vous rappellerons seulement que l'amour a, de tous temps, été

le tendre ou joyeux inspirateur du chantre. C'est un privilége qu'il partage avec un autre des dieux de l'Olympe, celui qu'on nous représente pressant entre ses doigts les noirs raisins de l'Attique. Les ontologies grecques renferment évidemment des chansons; celle-ci, par exemple :

« Sont-ce les roses de ta corbeille ou celles de ton teint, » fille aimable, que tu veux vendre? Est-ce le rosier avec toutes » les roses? >>

La chanson française peut dire : Me voilà! c'est bien elle, en effet; un Athénien seul pouvait avoir cette gracieuse et charmante idée. Anacréon n'a pas mieux trouvé, il n'a pas mieux dit.

Et vous, joyeux chansonniers de la décadence romaine, Horace, Catulle, Tibulle, Properce, Martial, vous êtes aussi nos maîtres et nos précurseurs! C'est en parcourant vos vers qu'il arrive souvent de répéter :

Ce sont des enfants de la lyre,

Il faut les chanter, non les lire.

C'étaient là de dernières lueurs. Soudain, la nuit tombe sur la civilisation. Les barbares ont tout envahi. Les muses ont imité les dieux; elles les ont suivis. Neuf siècles s'écoulent jusqu'au renouvellement des lettres. Il y eut bien du génie, mais il est sans art; de l'esprit, mais il est sans goût; du savoir, mais il est sans discernement. Adieu, chanson! à des temps meilleurs... Passons, passons! voici saint Bernard, qui, dans sa jeunesse, faisait des chansons badines sur des airs du temps. Passons! voici Abélard, qui, probablement, n'employa pas que la philosophie pour gagner les bonnes grâces d'Héloïse... Passons!... Non, arrêtons-nous! voici une lettre d'Héloïse au docteur breton :

« Deux choses vous gagnaient tous les cœurs : une heureuse » facilité à faire les plus jolis vers du monde, et une grâce incom

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