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CHARLES IX, Tragédie;

Par M. de Chénier, repréfentée pour la première fois le 4 novembre, par les comédiens françois.

Il n'est pas un françois qui ne frém fle d'horreur au feul nom de la Saint Barthélémy, & qui ne connoiflè les horribles détails de cette exécrable fcene, M. de Chénier vient de la tranfporter fur un théâtre qu'on auroit pu, dès la premiere représentation de cetre piece, regarder comme national, li, dès ce jour, if eût été affranchi pour toujours de la fotte inquifition des gentilshommies de la chambre, & des abfurdes réglemens à la faveur defquels les comédiens françois vexent & le public & les gens de lettres.

Cette piece eft déja à fa treizieme représentation, & le public continue d'y courir avec une espece de fureur. Cette circonftance exige que nous motivions avec précision le jugement que nous allons porter.

PREMIER ACTE. L'Amiral Coligny & le chancelier de l'Hôpital, rappellés à la cour après une trêve entre les catholiques & les proteftans, s'entretiennent des moyens d'empêcher de nouveaux troubles. Henri de Bourbon (qui depuis fut Henri IV), mari de la fœur du roi, vient les interrompre & leur raconte un rêve effrayant qu'il a fait. Catherine de Médicis, fuivie du cardinal de Lorraine & de Guise fon neveu, invite Coligny & l'Hôpital à aller vers le roi Charles IX, pour lui donner des confeils. Les Guifes dévoilent le projet de s'emparer du trône & de maffacrer les proteftans, afin de faire périr Henti de Bourbon, prince prote tant, qui leur en ferme l'accès.

2o. ACTE. Médicis effaye de vaincre les incertitudes de Charles fur le maffacre des proteftans : le cardinal vient l'aider & commande le crime au nom de Dieu. Charles promet tout, même de tout promettre à Coligny, avec lequel il doit avoir un entretien. Coligny confeille au roi de faire la guerre aux Efpagnols, & le conjure d'accorder la liberté de confcience aux proteftans. Charles eft prefque ébranlé; mais fa mere No. XX.

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& le cardinal l'affermiflent dans fon horrible deffein. Il veut cependant, avant tout, propofer au confeil de renouveller les édits contre les proteftans.

3. ACTE. Avant le confeil, le cardinal a un entretien avec le chancelier: il lui rappelle qu'il lui doit fon élévation; qu'il n'a d'autre crédit que le fien. Il le follicite de fe prêter aux ders du roi: Hôpital fe refufe à fes ouvertures. Le confeil tient le roi propofe fon avis, il eft approuvé par fa niere & les Guifes. Le roi preffe le chancelier de dire fon avis: il fait un piaidoyer véhément contre Rome, & pathétique en faveur des proteftans. Le roi eft attendri; il fort avec le chanceJier, en lançant un regard de colere fur la mere & les Gifes. Celle-ci les raffure.

4. ACTE. Médicis rend compte au cardinal des moyens par lefquels elle a détruit l'effet des difcours de l'Hôpiral, elle lui apprend que pour hâter la perte des proteftans, elle vient de faire femer le bruit que Coligny veut attenter aux jours du roi. Allarmé par cette perfidie, Coligni vient pour s'en expliquer lui même avec le roi. Henri & l'Hôpital effayent de le raffurer; mais il ne lui faut pas moins que la parole du roi, qu'il ne le foupçonne pas de cet horrible deffein, & qu'il fera lui même en sûreté. Le roi lui donne cette parole. Coligni lache quelques traits contre les Guifes qui font préfens. Le jeune Guise répond avec hauteur, & fort pour aller hâter fa vengeance. Coligni fe retire avec Henri & l'Hôpital; alors arrive Guife avec les conjurés; Charles ne peut plus héliter; le Cardinal bénit les armes des conjurés & leur promet le ciel s'ils meurent dans l'expédition.

Le toctin fonne; ils partent en fe divifant en plufleurs bandes.

5°. ACTE. Henri de Bourbon, poursuivi par des images lugubres, paroît fur la fcène; il entend de toutes parts des cris dont il ignore la caufe. L'Hôpital arrive, lui raconte la mort de Coligny & le maffacre des proteftans; il lui apprend qu'il quitte la cour. Charles, Médicis, précédés de gens portant des flambeaux, & fuivis des Guifes & de la cour, fe préfentent à Henri de Bour

bon, qui les accable de reproches; ils font rentrer Charles IX en lui-même; il paffe des remords au délire, & du délire au repentir.

Il y a, comme on le voit, plus de difcours que d'action dans cette pièce. On a dit qu'elle est d'un genre nouveau, que c'est une tragédie hiftorique. Si on entend par-là que l'auteur n'a pas été le maitre de fuivre un autre marche pour adapter fon fujet à la fcène, puifqu'il a été guidé par l'hiftoire, nous répondrons qu'il n'a point fuivi l'histoire, l'Hôpital étoit retiré de la cour dès 1568, & le fentiment de tous les hiftoriens (1) eft que la Saint-Barthélemi n'eût point eu lieu fi l'Hôpital eût encore été dans le confeil.

Le jeune Guife n'étoit point à la cour ni au confeil, le roi l'avoit fait fortir de Paris la veille, comme foupçonné d'un attentat à la vie de Coligny. Ce ne fut qu'après que le confel eut arrêté le maffacre des proteftans que Charles le fit venir fecrétement, & le chargea de com mencer le carnage par Coligny.

Un moment avant que cette horrible, barbarie s'exécutât, Charles, agité, s'étoit couché pour prendre du repos; il fe leva, faifi d'effroi. Médicis, craignant qu'un moment de repentir ne détruisît le fruit de tant d'intrigues & de diffimulations, fe rendit à minuit dans fa chambre, accompagnée des ducs d'Anjou, de Nevers, de Tavannes, & du comte de Re:z. « Remarquez bien, dit-elle à Charles, que l'heure où nous tenons ce confeil eft la derniere de votre regne & de votre vie ». : Charles devint furieux. Eh bien! s'écria-t-il, qu'on tue l'amiral, 'qu'on tue les huguenots, & qu'il n'en refte pas un feul pour me le reprocher. La reine mere, pour ne pas lui laiffer le tems de fe reconnoître, fit fonner le tocfin à Saint-Germain l'Auxerrois une heure plutôt qu'il ne l'avoit ordonné (2)

(1) Peut-être autoit-il (Charles IX) écouté la voix fainte de l'humanité, s'il eût encore eu auprès de lui un Michel de l'Hôpital; mais une furie étoit artachée à fes pas. Hiftoire de la maison de Bourbon, tom. IV. liv. 4.

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(1) Histoire de la maijon de Bourbon.

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M. de Chenier, en s'écartant de l'hiftoire, a donc diminué l'horreur que doit caufer Médicis, il attribue une partie de fes crimes au cardinal de Lorraine & ay jeune Guife. Dans la piece, c'eft celui-ci qui avance le fignal du carnage. On ne fauroit rendre trop odieufe Médicis & celles qui lui reffemblent.

L'auteur a également éludé la fcene qui fe paffe dans la chambre du roi, & ces mots fi frappans: Qu'il n'en refte pas un feul pour me le reprocher,

Coligni eût eu bien plus de motifs pour venir forcer Charles IX à lui donner fa parole qu'il ne feroit rien entrepris contre lui, s'il eût appris tout-à-coup que ce Guife, éloigné de la cour la veille, venoit d'y être rappelé, ou s'il l'y eût vu reparoître.

Guife & fon oncle euffent été plus animés à la perte de Coligny & des proteftans, par l'humiliation de la veille. Le caractere irréfolu de Charles eût été plus faillant. Médicis, plus occupée de la conduite de l'affreuse intrigue. En fuivant l'hiftoire de plus près, M. de Chenier eût donc mis dans fa piece plus d'action, de mouvement & de chaleur.

L'expofition entre Coligni & le chancelier eft longue & froide; combien n'eût elle pas été an mée fi elle eût été faite par le cardinal, fe plaignant de l'éloignement humiliant de fon neveu, & Médicis lui en faifant fentir la néceflité pour exciter la confiance des proteftans, afin de mieux les furprendre par là; l'auteur eût évité la répétition du projet de faire la guerre aux efpagnols pour occuper les françois & faire diverfion aux affaires de la religion, projet qui fe trouve expofé dans la pre miere fcene & dans l'entretien de Coligni avec le roi a fecond acte.

Dans la scene où les Guifes dévoilent leurs deffeins ambitieux, le cardinal montre un caractere fouples adroit; on s'attend, dans la fcene qui ouvre le troifieme acte, qu'il employera, pour ébranler l'Hôpital, le ton de l'autorité; le fouvenir de fes fervices, les ménaces, l'adreffe, les promeffes, enfin toute la logique des courtifans. Au lieu de cela il fe homme à appeller à l'Hôpital qu'il l'a tiré d'une claffe obfcure

pour le placer dans les hautes magiftratures, il débite quelques maximes defpotiques auffi décriées que faciles à réfuter; auffi cette fcene entte le cardinal & le chancelier, c'est-à-dire entre le plus fourbe & le plus vertueux des hommes, forcés, par leur pofition, à s'attaquer fur leurs fentimens, paroît-elle effacer, par l'intérêt & les détails, la grande fcene de Mahomet & de Zopire? Mais le cardinal n'a nulle reffource, nul détour, c'est un homme à terre que le chancelier bat tout à fon aife. Les prophéties de l'Hôpital, relatives aux grands évenemens dont nous avons été les témoins ou les acteurs, font fort applaudies. Mais c'eft moins les difcours de l'Hôpital que le fpectateur applaudit, que fon propre ouvrage, & le perfonnage eft moins fur la fcene que l'auteur.

Le funge de Henri de Bourbon, foible & fervile imitation du fonge d'Athalie, a été généralement im prouvé; Henri a l'efprit ferme, le caractere décidé, la confcience pure; une éducation févere l'a garanti des préjugés & des vifions. Quelle apparence qu'il foit effrayé par un fonge, fur tout qu'il vienne en entretenir deux hommes auffi graves que le chancelier & l'amiral,

Ce moyen, puifque l'auteur vouloit le mettre en ufage, s'adaptoit de lui même au caractere foible, irréfolu, fanatique de Charles IX; il auroit fervi à aiguillonner fa confcience, & à lui faire abandonner pour un moment fes cruelles réfolutions. La leçon que Coligni adreffe à Bourbon eût été bien placée dans la bouche du cardinal, interprête d'une religion qui défend de croire aux fonges.

Médicis, qui n'est pas affez odieufe dans toute la piece, eft trop méprifable dans une fcene, c'est celle

elle raconte au cardinal qu'elle a verfé quelques larmes devant fon fils, pour détruire l'effet du difcours du chancelier; cette fcene pouvoit & devoit être mife en action. A la vérité elle auroit été infiniment plus difficile, mais le talent de M. de Chenier peut lutter contre les plus grandes difficultés dramatiques, & les attaquer de front. Médicis ramenant peu-à-peu fon fils

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