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« La commune de Paris, pénétrée des fentimens de la fræternité la plus intime pour toutes les communes du royaume voit avec plaifir qu'elles doivent être liées à jamais par un intérêt commun ». Voilà la phrafe la plus fraternelle & la plus claire de tout le difcours. On aura peine à croire que ce foit l'œuvre d'une ville qui renferme tant de talens, & de Jumieres.

I fembloit qu'après avoir promis une foumiffion entiere à l'affemblée nationale, après en avoir pris l'engagement (olemnel envers les provinces, la municipalité devoit, au moins pendant ce jour, s'abftenir d'enfreindre les décrets du corps légiflatif; mais au même moment, le pouvoir militaire fe jouoit, par toute la ville, de la liberté de la preffe d'une maniere fi révoltante, qu'il eft impoflible de ne pas, voir que la municipalité a entrepris de rendre nul dans le fait l'art. XX de la déclaration des Droits de l'homme, quoi, qu'il foit accepté & promulgué par le monarque.

Nous le difons avec la certitude de le démontrer jufqu'à l'évidence il existe une conjuration contre la liberté de la preffe; & de l'anéantiflement de la liberté de la presse, à celui de la liberté civile & publique, il n'y a qu'un pas.

Neft-il pas notoire qu'on a arrêté, fans aucune forme de procès, des écrivains qui n'avoient commis d'autre crime que d'avoir manifefté leurs opinions, & que des districts le font vus forcés de les prendre fous leur protection ?

N'avons-nous pas démontré deux fois, que les colporteurs avoient le droit de crier ou proclamer leur marchandise, sauf à punir ceux qui en abufent? Et ne feroit-ce pas un entêtement puéril, s'il n'étoit criminel, de perfifter dans cette abfurde défenfe de crier les imprimés ?

N'a-t-on pas aftreint les auteurs à une cenfure mille fois plus gênante que celle de l'ancienne police, en les forçant à fe munir de la fignature d'un imprimeur ou d'un libraire, pour faire circuler leurs opinions?

Voilà des faits antérieurs à la promulgation de l'article 20 de la déclaration des droits de l'homme: voici ceux qui ont fuivis.

On a fait paroître au bureau de comité de police, les dames Lefevre, Doyen, Franc, Petitpas, Bouju, vendeufes de poition ou de bouquets, non pas, comme on pourroit le croire, en qualité de députées des dames de la halle, mais en leur privé nom; & là, elles ont débité, felon le placard du comité

de police, « qu'elles avoient lu un autre placard, dans lequel quelques dames des halles rendent publics leurs fentimens de refpect & de vénération pour le roi & fon augufte famille; qu'elles font pénétrées des mêmes fentimens », puifelles ajoutent, felon le placard du comité de police, ac qu'el» les ne peuvent imputer le fcandale auquel quelques parti» culiers le font livrés, qu'aux motions indifcretes, qu'aux » LIBELLISTES, IMPRIMEURS & LIBRAIRES qui fe chargent

de les imprimer ou de les vendre; que ce qui rend con» damnables les uns & les autres, c'eft qu'il ne cherchent qu'à » gagner de l'argent; qu'elles defirent qu'ils foient punis felon la rigueur des lo., & qu'elles requierent acte de leurs » fentimens & déclarations ».

MM. du comité de police, après avoir écouté gravement cette diatribe grivoife, qui a été depuis retournée en françois, le décident gravement à en faire la matiere d'un arrêté, En conféquence, ils exhortent ces dames « à employer leurs » efforts patriotiques, pour contenir dans leur devoir ceux » ou celles qui pourroient être entraînés dans l'erreur, par » les libelles & motions fcandaleuses, auffi contraires à la te»ligion qu'à l'ordre public ». De plus, ils ordonnent que la motion de ces dames & leur arrêté, feront rendus publics par la voie de l'impreffion & de l'affiche.

C'étoit déja un très grand mal, que de préfenter la puilfance publique, comme forcée de s'étayer de l'opinion de quatre à cinq marchandes de poiffon : mais c'en a été un plus grave encore, de faire pofer ce placard hétéroclite précilément entre deux autres placards, dont l'un, à raifon d'une erreur de fait, dans laquelle eft tombé l'auteur du journal Versailles & Paris, relativement à l'offre prétendue de 40,000 fufils, faite par la province de Forez, à la ville de Paris, porte, qu'il ne faut pas légérement ajouter foi aux imprimés qui fe diftribuent ; & l'autre déclare nettement, que les auteurs des révolutions de Paris font des diffamateurs.

Notre défenfe fera complette, nous le promettons: mais el'e eft moins preffée que celle des droits de l'homme & de la propriété des malheureux colporteurs, qu'on a plus indigncment vezés, que ne l'ont jamais fait le fameux Henry & tous les fuppôts de l'ancienne police.

Après avoir prévenu ou cru prévenir le peuple contre les auteurs, libraires & imprimeurs, on a donné des ordres pour faire arrêter tous les papiers, foit que les colporteurs criaffent eu ne criaffent point.

Cet attentat à la liberté individuelle, à la propriété, nous a paru tellement incroyable, que nous avons voulu le vérifier par nous-mêmes, & nous avons vu dans les journées des 20, 21 & 22, la garde nationale arrêter indiftinctement les colporteurs qui crioient ou qui ne crioient pas, & leur prendre leur, marchandise.

Nous nous fommes procuré les procès-verbaux des officiers arrêteurs, parce qu'ils établiffent fans réplique, que ce n'est pas pour avoir contrevenu à la défenfe de crier leur marchandife, que les colporteurs étoient artêtés.

Diftrict Saint-Leu. J'ai, officier de garde, certifie à tous qu'il appartiendra, avoir arrêté au nommé Sallio, D'APRÈS LES ORDRES REÇUS DE M. LE COMMANDANT-GÉNÉRAL, en date d'hier, 12 exemplaires de 1 affamblée nationale, imprimerie de Valleyre,..... exemplaires des Révolutions de Paris, no. 16, imprimerie de Laporte, &c. En foi de quoi j'ai délivré, &c. Au corps-de-garde de la Juffienne, rue Montmartre, ce 20 octobre 1789. Signé, BELLIN DU COTEAU.

Je déclare qu'il a été faifi à madame Bergere, maîtresse épingliere (1), huit exemplaires du Courier François, no. 109, COMME N'ÉTANT PAS AUTORISÉ NI APPROUVÉ DU COMITÉ DE POLICE, Paris, ce 22 octobre 1789. Signé, DUPLESSIS, commandant au pofte de la rue Dufour Saint-Germain.

Il me femble qu'on ne fauroit prouver d'une maniere plus precife, que le pouvoir civil & militaire de Paris anéantir la liberté de la preffe décreté par l'aflemblée nationale & promul guée par le roi,

Voici maintenant quelles font, relativement aux colporseurs, les fuites de cette infraction.

Ils épuilent ordinairement tous les matins leurs facultés pécuniaires pour le pourvoir de papiers fur lequels ils gagnent dequoi fubfifter & faire fubfifter avec eux, ou des enfans, ou un pere accablé d'années, ou une époufe malade. En leur prenant leurs marchandifes, vous leur enlevez, non-feulement le bénéfice qui les nourrit, mais encore le capital avec lequel ils auroient recommencé le lendemain à gagner leur vie. Que leur

(1) Il y a une foule d'honnêtes ouvriers, dont le métier ne va pas, & qui gagnent leur vie à colporter. Nous pouvons démontrer que notre ouvrage feul fait fubfifter plus de soo perfonnes.

-refte

refte-t-il alors le dé'efpoir. Eh! que voulez-vous que deviennent des hommes à qui vous ôtez le feul moyen honnête qu'ils aient de fubfifter? ne les forcez-vous pas à le joindre malgré eux aux brigands que nos ennemis foudoyent pour troubler l'ordre public. Ah! il n'eft que trop vrai! les crimes du peuple ne font pretque toujours que le crime de ceux qui gouvernent.

L'affemblée générale du diftrict des Petits-Auguftins, vivement touchée de la pofition affreufe où la défenfe de crier les imprimés réduit les perfonnes qui fubfiftent de ce commerce, a airêté: « Que la ville feroit invitée d'interpréter fon arrêté du 18 de ce mois, en permettant de crier dans les rues purement & fimplement les intitulés des imprimés dès qu'ils fe trouveront avoués par la fignature ou des auteurs, ou des éditeurs, ou des imprimeurs, fous la réferve de dénoncer les imprimés, & d'en faire poutfuivre les auteurs lorfqu'ils profaneront la religion, outrageront les mœurs, & troubleront l'ordre public. »

La municipalité ne fauroit trop fe hâter de rétracter les ordres qu'elle a donnés contre les colporteurs, & le réglement attentatoire à la liberté qu'elle a fait fans en avoir le droit, fi elle veut que l'on croye à la fincérité de fes longues & fréquentes proteftations de foumiffion aux décrets de l'affemblée

nationale.

Revenons maintenant au placard dans lequel le comité de police nous a déclaré diffamateurs, & qu'on a fi ingénieufement accollé à celui qui contient le recit de cette conférence fi intéreffante qui a eu lieu entre les quatre dames marchandes de poiffon, & MM. les officiers de police, au fujet des libelliftes & écrits fcandaleux. Nous ofons dire que ce que nous avons éprouvé n'eft pas la plus foible preuve du projet d'anéantir dans le fait, la liberté de la prefle.

Nous avons rendu compte, dans notre n°. It, pages 15 & 16, d'une miffion donnée par le diflrict des Cordeliers, aux fieurs Graffin, huillier, & Margin, architecte, & de la maniere dont ils l'ont exécutée. Ces MM. font venus nous porter leurs réclamations; nous les avons priés de nous fournir la preuve qu'ils s'étoient tranfportés à la ferme de la Martiniere, objet de leur million, ce que nous avions avancé qu'ils n'avoient pas fait, & nous leur avons dit que nous ne ferions aucune difficulté de rétracter l'erreur dont ils nous accufoient. Au lieu de fuivre cette voie très-fimple, MM. Graffin & Mangin fe font adreflés à leur diftrict pour le prier de prendre en confidération les inculpations que nous avions faites contre'eux. No. XV.

B

Le diftrict, après avoir lu les pieces justificatives de leur mission, & les articles de notre ouvrage qui les concernent, a déclaré, non pas que notre recit étoit faux, mais feulement que ces meffieurs avoient rempli leur mission à la fatisfaction du difcri&, & qu'il réitéroit le témoignage fincere qu'il leur a donné le jour de leur retour fur le rapport verbal qu'ils ont fait.

Cette délibération n'étoit certainement qu'un acte d'indulgence de la part du diftrict, qui ne s'y feroit pas laiffé alles s'il eût prévu l'ufage que les deux membres en vouloient faire. Ils l'ont préfenté au comité de police qui, après en avoir pris lecture, croyant devoir donner à la juftification de deux citoyens injuftement diffamés la publicité capable de réparer l'injure qui leur avoit été faite, a ordonné que la délibération du diftrict feroit imprimée & affichée au nombre de 600 exemplaires.

Nous ne nous plaignons pas de la décifion du diftri& des Cordeliers, elle n'attaque point notre recit. Le diftrict a déclaré que les fieurs Graffin & Mangin avoient rempli entierement leur miffion avec zele & à fa fatisfaction; dès que le diftrict a bien voulu fe contenter de ce que les fieurs Graffin & Mangin ont dit avoir exécuté dans le rapport verbal qu'ils ont fait le jour de leur arrivée, & dont ils n'ont dreffé procèsverbal que trois jours après, il a pu leur délivrer l'attestation. qu'ils nous oppofent. Nous nous ferions abftenus de toutes réflexions ultérieures fur cette affaire, par refpe&t pour un diltrict qui s'eft finguliérement fignalé par la fageffe de fes arrêts & la douceur de fon régime; mais le comité de police n'ayant fous les yeux d'autres pieces que cette atteftation du diftrict, a prononcé que nous avions diffamé les fieurs Graffin & Mangin; tandis que cette atteftation, base unique de leur jugement, laisse subsister entiérement les faits que nous avons avancés.

Nous pouvons dire que nous avons été jugés fans être entendus; car nous n'avons comparu au comité de police que pour déclarer que nous ne demandions, pour nous rétracter, que le rapport de quelques pieces qui puffent détruire des faits dont nous avions une connoiffance certaine; fur quoi le comité n'ayant pu s'occuper plus long-tems de cette affaire, nous renvoya à un autre jour.

Le comité de police n'eft pas un tribunal fouverain. Nous déclarons donc appel de ce jugement, qui nous condamne comme diffamateurs, pardevers le tribunal à qui la connoil

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