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Brutus n'a-t-il pas fait mourir fes propres fils? Catilina n'étoit-il pas des premieres familles de Rome & Lentulus n'avoit-il pas été conful? N'a-t-on pas vu périr fous la hache des bourreaux, & pour des caufes moins graves, des Biron, des Montmorency? Et fans la mort de François II, un Condé, un prince du fang de nos rois, n'auroit-il pas porté fa tête fur un échafaud?

Cherchons donc tous, & de toutes nos forces, à découvrir quels font les confpirateurs & les conjurés; que le rang, la fortune, le nombre, rien ne nous en impofe ou ne nous féduife; & malheur à qui tiendroit quelque compte de fes dangers, quand il faut agir pour le falut de la patrie & de la li

berté.

On a trop fixé nos regards fur des hommes obfcurs & feuvent imaginaires qui marquoient les portes de crayes de trois couleurs: contens de voir au milieu de nous notre roi & fa famille, nous perdons de vue les circonftances qui ont précédé cette heureuse époque.

Une de ces circonftances, dont il nous faut développer le fens & l'objet, c'est la premiere réponse que le miniftre a fait faire par le roi fur le décret de l'affemblée nationale qui portoit que la déclaration des droits de l'homme & des premiers articles de la conftitution feroient préfentés à l'acceptation.

Cette réponse ne fut connue que le lundi 5, dans la féance du matin. Ainfi, elle ne contribua point au mouvement populaire qui fauva la patrie dans ce jour mémorable; & dans la fuite elle n'a point produit une grande impreflion fur les efprits, parce que la feconde réponse du roi, fa réponse perfonnelle, portoit acceptation: pure & fimple de la déclaration des droits de l'homme & des premiers articles de la conftitution.ios

Le miniftere faifoit dire au roi en propres termes, qu'il n'accordoit fon acceffion & non fon acceptation aux articles de la conftitution, qu'eu égard aux circonftances alarmantes & aux befoins de l'état, ce qui étoit équivalent à une réferve de retirer cette accef

fion quand les befoins de l'état feroient fatisfaits, & les circonstances plus favorables.

Auffi cette réponse paroiffoit-elle à M. RobertPierre, un attentat du pouvoir exécutif fur le pouvoir législatif»; à M. Prieur, une atteinte aux principes des articles déjà décrétés ; » à M. Duport," une preuve, que l'armée fe fût trouvée à Versailles, les miniftres n'euffent pas même donné leur acceffion fous le nom du roi"; à MM. Goupille, Grégoire, Pethion, Ulry, Chaffet, une furprife faite au roi, une entreprife contre fa gloire, la liberté nationale & la fplendeur de l'empire françois. »

Cette réponse n'étoit défendue que par des Maury, des Virieu, des vicomte de Mirabeau; & ce dernier foutenoit même que la forme de la réponse du roi n'étoit pas vicieufe, parce que l'affemblée avoit décrété qu'elle communiqueroit avec le roi fans intermédiaire.

"Par une pieufe fiction de la loi, s'écrioit le " comte de Mirabeau, le roi ne peut fe tromper; » mais il faut, au befoin, des victimes au peuple, & » les victimes font les ministres. «

La loi de la refponfabilité des miniftres eft déjà décrétée; & cependant obfervez, citoyens, que cette réponse obfcure qui paroiffoit à vos plus fages repré fentans un crime fi grave, eft oubliée tout-à-coup & fe perd dans l'excès de douleur & de joie auxquels nous fûmes livrés dans les journées du 5 & du 6.

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Ramenons, il le faut, toute notre attention fur cette réponse fi d'après l'opinion de la plus faine partie de l'affemblée nationale, elle conftitue un crime de leze-nation, il faut qu'il y ait un coupable; &, par une conféquence néceffaire, ce coupable, c'eft le miniftere.

Mais ce perfonnage moral eft divifé fur plufieurs têtes; & nous ne pouvons pas demander la punition de tous les miniftres, parce que ce feroit envelopper l'innocent avec le coupable, confondre le libérateur de la patrie avec le traître à la nation, & nous pri

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ver peut-être de nos plus fermes appuis, en voulant nous défaire de nos plus cruels ennemis.

Qui ofera défigner celui d'entre les miniftres qui eft coupable & d'avoir confeillé au roi cette réponse criminelle & de l'avoir compofée ? Qui connoît affez le fecret du cabinet pour ne pas craindre de fe méprendre & de s'expofer à l'indignation publique par une dénonciation calomnieuse?

Effayons toutefois de franchir cet écueil dangereux : ceux qui ont confeillé cette réponse ne peuvent être étrangers au projet de faire partir le roi pour la citadelle de Metz & à l'enrôlement des foldats de l'armée aristocratique : or, jugez quel danger court, à chaque inftant, la nation, fi un miniftre, complice de ces crimes, reftoit dans le confeil du roi, & fe trouvoit invité, par l'impunité, à ragréer un projet qui n'a reçu qu'up foible échec, par la bourafque populaire qui nous a valu des fubfiftances & la préfence du roi dans la capitale.

A défaut de preuves, nous ne pouvons nous ap→ puyer que fur des préfomptions; mais il eft des préfomptions qui, aux yeux de la loi, valent des preuves, jufqu'à ce qu'elles foient détruites par des faits contraires. C'est ce que les jurifconfultes appellent des préfomptions légales. C'eft, par exemple, une préfomption légale que le miniftre dans le département duquel un délit a été commis, eft coupable de ce délit.

La rédaction de la réponse du roi fur la demande de l'affemblée étoit du département du garde des fceaux.

M. le garde des fceaux eft donc préfumé coupable de l'attentat à la liberté nationale commis dans la premiere réponse du roi: il doit paffer pour tel aux yeux de tous les citoyens, jufqu'à ce qu'il ait legalement déclaré & établi qu'il n'a ni confeillé ni rédigé cette fatale réponse.

Remarquez-bien que nous ne difons pas qu'en effet M. le garde des fceaux foit le coupable, nous difons feulement que par la nature de fes fonctions, il eft préfumé l'être; ce qui lui impofe le devoir de nommer celus qui, dans ce moment, les avoit ufurpées; ou du moins de fe juftifier.

Heureux le miniftre que fa vie entiere défend des préfomptions que les circonftances élevent contre lui! M. le garde des fceaux eft dans une néceffité d'autant plus preffante de fe juftifier fur cette réponse, qu'il eft conftant qu'il a pris ( en 1788) tous les moyens poffibles pour faire établir à Bordeaux les grands bailliages & adopter la cour pléniere. Celui qui a hautement fervi le defpotifme ne peut que trop être foupçonné de favorifer l'ariftocratie.

Quant aux autres miniftres, il n'existe pas contre eux la même préfomption, relativement à la premiere réponse du roi fur la déclaration des droits de l'homme; mais le projet de conduire le roi à Metz, a-t-il, ou n'a-t-il pas exifté ? S'il a exifté, les préparatifs doivent avoir été faits par les ordres du ministre de lą maifon du roi.

Plufieurs témoins nous ont attefté que la milice nationale de Versailles avoit arrêté des bagages que l'on faifoit fortir dans la nuit du 5 au 6 de ce mois, par la grille de l'orangerie.

La voix publique nous attefte également que M. Neker & M. de Montmorin ont dit, en combattant le projet de faire partir le roi pour Metz, qu'il faudroit leur faire paffer fur le corps la voiture qui emmeneroit fa majesté.

Il faut donc vérifier d'abord jufqu'à quel point cette horrible entreprise eft vraie; & le corps du délit étant établi, le miniftre de la maifon du roi fera néceffairement présumé un des coupables.

Nous n'avons pas diffimulé, dans le tems que la lettre de M. de St. Prieft à M. de la Fayette, relativement à la bénédiction des drapeaux (1) de la garde nationale, nous paroiffoit deftinée à aveugler nos troupes citoyennes fur les intérêts de la nation & à les gagner, en faveur de l'ariftocratie. Depuis cette époque, le miniftre a fait deux actes de patriotisme, qu'il feroit fouverainement injufte de paffer fous Glence, puifqu'ils peuvent fervir à fixer l'opinion de la nation fur fon compte.

(1) Voyez nuémro XII, page; & fuivantes.

Le mardi 6 feptembre l'affemblée nationale reçut, à la féance du foir, le don que M. de St. Priest faifoit à la nation d'une penfion de 30,000 livres. Beaucoup de citoyens ont penfé que ce généreux facrifice eût eu plus de prix, s'il eût été fait avant l'expédition de nos françoifes à Verfailles, avant que la garde nationale eút arrêté les voitures chargées qui fortoient par la cour de l'orangerie. Mais Dieu feul connoît les intentions & juge les motifs, dans le doute, 'il faut attribuer ce facrifice d'une penfion confidérable, plutôt au patriotifme du miniftre qu'au deffein de dévoyer la curiofité publique fur la part qu'il pouvoit avoir eu au projet qui a failli nous coûter tant de fang & de larmes.

Cette offrande patriotique n'a point empêché que M. le comte de Mirabeau ne crût que ce miniftre eût dir aux femmes parifiennes : Quand vous n'aviez qu'un roi, vous aviez du pain; maintenant que vous en avez douze cens allez leur en demander; & il a dénoncé le miniftre à l'affemblée nationale, à raifon de ce propos.

M. le comte de Saint-Prieft a rendu publique par la voie de l'impreffion, une lettre juftificative qu'il a adreffée au comité des recherches après avoir nié de la maniere la plus précife l'inculpation qui lui étoit faite par M. de Mirabeau; le miniftre reconnoît que tout citoyen doit compte de fa conduite au tribunal de l'opinion publique, & il ajoute que derniérement il s'eft juftifié à fon diftrict de Saint-Philippe du Roule, fur de faulles interprétations que l'on avoit faites d'une de fes lettres.

Qui, cette marche ouverte & franche eft celle de l'innocence, & fi le comte de Saint-Prieft n'eft pas le plus vertueux des citoyens, il eft le fourbe le plus adroit & le plus dangereux des hypocrites.

Attendons que M. de Mirabeau ait inftruit fon accufation, & que l'affemblée nationale ait prononcé, pour affigner à l'accufé la place qu'il mérite.

Quant à nous, cette fcumiffion d'un miniftre aux loix qui lient les autres citoyens, cet empreffement à comparoître devant le public, cet ufage unique de la preffe contre les dangers que lui faifoit courir la voie de la preffe, nous paroîtroient des motifs fuffifans pour

proclamer

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