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aussi vain que les deux autres; moins encore parce que la Restauration déniait à la France la liberté de fait dont jouissait la Grande-Bretagne, que parce que l'esprit de la France exigeait un système très-supérieur à celui qui fut imposé, par la conquête, à un peuple isolé de tous les autres, et qui n'est guère, en réalité, qu'une habile modification du système théologique et féodal, ayant pour but de faire dominer la royauté par l'aristocratie. Or, cela était contraire aux précédens de la civilisation française, contraire à l'essor qu'avait pris, depuis quarante ans, l'intelligence politique du peuple, et au sentiment d'égalité qui domine et tend incessamment à diminuer, nonseulement les pouvoirs virtuels de toute aristocratie, mais aussi les priviléges de toutes les dénominations.

On le voit: depuis l'origine de la monarchie jusqu'à la révolution de juillet, nous avons ébauché toutes les formes connues de gouvernement, sans pouvoir nous arrêter à aucune d'elles, parce que toutes ont été, pour nous, des faits exotiques, des imitations sans analogie de mœurs, de besoins ni d'époque.

Tout-à-coup les ordonnances de Charles X produisent une émeute; l'émeute produit une révolte; la révolte, une révolution; et de cette révolution naît un nouveau principe, celui de la monarchie

populaire environnée d'institutions républicaines. Et l'on dit au peuple: Voilà la meilleure des républiques.

Et le peuple, qui avait eu le courage de combattre et l'habileté de vaincre, eut la générosité de céder la victoire à qui n'avait pas combattu; il crut à la meilleure des républiques.

La meilleure des républiques!... Cela n'était point vrai. Il eût été plus juste de dire: La combinaison la plus compatible, d'un côté, avec l'esprit d'égalité qui envahit le monde; de l'autre, avec les préventions qu'a laissées en France, la fausse république; en d'autres termes, la combinaison la plus propre à remplir l'intervalle des temps, sans brusquer la marche natu→ relle des événemens.

La monarchie à formes et à institutions républicaines, était donc, en réalité, le système le mieux approprié aux diverses nuances d'opinions qui avaient fait la révolution de juillet, je dirai même aux conditions politiques actuelles de l'Europe; car, si la dissolution des vieilles monarchies se manifeste partout, ou par leur faiblesse ou par leurs excès; si la démocratie fermente de tous côtés, ce serait cependant abuser de la généralisation que de prétendre que les tendances républicaines ont causé seules la chute de tous les trônes qui se sont écroulés depuis deux ans.

Sans doute l'esprit démocratique a largement contribué à ces révolutions, mais il est évident qu'elles ont été déterminées par des fautes patentes et des conflits mal habiles. Charles X, Guillaume, Don Pedro, le Césarewitch et le duc de Brunsvick auraient pu écarter l'ouragan qui les enleva; et la facilité avec laquelle leurs peuples ont adopté de nouveau les formes monarchiques semble prouver, au moins, que l'incompatibilité entre les deux principes n'est point encore à son dernier terme.

La France se rangea donc sous la monarchie populaire entourée d'institutions républicaines; et ceuxla même qni n'avaient rien à perdre, saluèrent avec enthousiasme une combinaison éminemment propre à tout conserver. Ce phénomène fut l'effroi des hommes du privilége; ils y virent un degré de civilisation qui attestait que la démocratie pouvait creuser son lit de manière à couler un jour sans obstacle et sans malheurs. Alors ils essayèrent d'attacher l'anathème aux institutions républicaines. Ces mots, dirent-ils, ne signifient plus que jacquerie, jacobinisme, faubouriens, canaille, guerres et échafauds. Ainsi la plus noble des conceptions humaines, la république, devint, dans les mains des ennemis de la révolution de juillet, un épouvantail toujours mobile, à l'aide duquel ils parvinrent à faire redouter à la nouvelle dy

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nastie et à une partie de la nation, qui une fois encore sé méprenaient sur l'esprit de l'époque, le jeu nécessaire du mécanisme représentatif. Ils parcouru→ rent toutes les phases de la première révolution; moins la pensée de 89; ils montrèrent 93 caché sous les institutions républicaines, et prêt à dévorer une se→ conde fois la monarchie. Enfin tous les intérêts fondés sur l'erreur, tous les vieux préjugés se réunirent pour arrêter les progrès de la révolution de juillet ; et, dès ce moment, ce ne fut plus qu'un long anathè et contre la république et contre les républicains qui veulent une fois encore passer leu rniveau sur toutes les inégalités sociales.

me,

C'est pour rendre ces mots à leur signification véritable, que je vais écrire la vie politique du seul homme qui ait participé aux trois révolutions de 1776, 1789 et 1830. J'ai choisi Lafayette comme la plus haute personnification du système de 89 enté sur les doctrines américaines qu'il ne faut point confondre avec l'action grecque ou romaine travestie et perpétuée dans la Convention ces choses ne sont point solidaires.

Qu'exprime donc la pensée de Francklin et de Washington, traduite dans les institutions républicaines, dont Lafayette a voulu entourer la monarchie

citoyenne? Rien autre chose que le progrès du temps et le triomphe de la liberté humaine. Ce système ne veut, au fond, et n'a produit, en résultat, que des choses honnêtes. Là, religion, philosophie, politique, tout se tient; tout annonce la même raison et le même bon sens : c'est la tendance réalisée de tout un peuple vers la liberté et le développement de tous ses moyens; c'est, en d'autres termes, l'égale répartition des impôts, l'égale admissibilité des citoyens à tous les emplois, la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté individuelle, la représentation nationale, le jury, la responsabilité des dépositaires du pouvoir, mis en action et garantis.

Voilà ce que veut le général Lafayette, sans s'astreindre ni aux formes extérieures du système américain, ni au mécanisme gouvernemental des Etats-Unis. Voilà les institutions républicaines qu'il a voulu grouper autour de la monarchie citoyenne, de ce privilége unique qui, consenti par tous, n'était plus un privilége.

Dira-t-on encore que cette fusion à l'amiable était impossible? Il se peut qu'elle le soit aujourd'hui; elle ne l'était pas alors.

Que demandait le programme de l'Hôtel-de-Ville, qui soit subversif du principe monarchique?

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