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données à la nation, et par-là même aux puissances étrangères, il avait répondu, qu'un tel appel, dans la crise où l'on était, ne lui permettait pas d'hésiter; mais qu'il y apportait un grand fonds d'incrédulité, qui compensait sa trop grande confiance de l'an 8.

Il blàma dans l'acte additionnel l'initiative prise par le pouvoir, et qui aurait dû être laissée à une représentation nationale; il refusa la pairie hérédi– taire comme étant une institution contraire à sa doctrine politique, et ne voulut point consentir à renouer ses rapports individuels avec l'Empereur, prévoyant, dit-il, que son incorrigibilité le mettrait tôt ou tard en opposition avec lui. Cependant il ne s'en montra pas moins déterminé à le servir de tout son pouvoir, et de l'influence que lui donnait sa qualité de député populaire, dans ses efforts pour repousser l'invasion et l'influence étrangères, ainsi que les princes qui se trouvaient dans les rangs des ennemis et sous la protection de leurs bayonnettes. Il fit à sa commune et dans le collége départemental de Seine-et-Marne, toutes réserves pour les droits de la nation en général et ceux de chaque citoyen, et n'en fut pas moins élu président et ensuite premier député. Lafayette ne se prêta pas au projet qu'on avait conçu de le nommer président de la chambre, mais il fut un des vice-présidens, et pressa la formation d'une nouvelle constitution. Dans la commission de l'adresse, il réclama une rédaction conforme à la dignité nationale. « L'em>> pereur Napoléon, dit M. Lafayette, descen»dant graduellement de sa magistrature nationale,

» pour s'asseoir sur un trône sans barrières, a semblé >> vouloir nous punir de l'abus des formes républi» caines, en nous faisant sentir tout le poids de la >> monarchie absolue. Il fondit ensemble les hommes » et les idées de deux régimes arbitraires, à l'ex>>clusion des principes de 89, et s'avança peu à peu >> vers le despotisme, à travers l'insouciance pu>> blique. >>

les

Le général Lafayette, en exprimant son désir que l'assemblée prêt une attitude capable d'inspirer de la confiance à la nation et à l'Europe, dit que sa conduite allait décider si elle serait appelée la représentation du peuple français, ou simplement le club Napoléon. Il s'occupait avec dévouement de tous moyens de résistance demandés par l'Empereur, et s'affligeait de sa répugnance à employer les masses nationales, nommément la grande levée que la Bretagne lui avait fait offrir; lorsque le désastre de Waterloo, l'arrivée de Napoléon, le projet instant, avéré, quoiqu'on l'ait nié depuis, de dissoudre la chambre des représentans, et les sinistres prévisions de ses serviteurs les plus dévoués, nécessitèrent d'au

tres mesures.

Dans ce moment de crise, le 21 juin, Lafayette, sans avoir eu le temps de prévenir ses collègues, monta à la tribune, et dit :

<< Lorsque, pour la première fois depuis bien des » années, j'élève une voix que les vieux amis de la >> liberté reconnaîtront encore, je me sens appelé, » Messieurs, à vous parler des dangers de la patrie,

>> que vous seuls à présent avez le pouvoir de sauver.

>> Des bruits sinistres s'étaient répandus; ils se >> sont malheureusement confirmés. Voici le moment » de nous rallier autour du vieux étendard tricolore, » celui de 89, celui de la liberté, de l'égalité et de » l'ordre public; c'est celui-là seul que nous avons à >> défendre contre les prétentions étrangères et >> contre les tentatives intérieures. Permettez, Mes» sieurs, à un vétéran de cette cause sacrée, qui fut » toujours étranger à l'esprit de faction, de vous >> soumettre quelques résolutions préalables dont » vous apprécierez, j'espère, la nécessité.

» ART. 1er. La chambre des représentans déclare >> que l'indépendance de la nation est menacée.

2. La chambre se déclare en permanence. >> Toute tentative pour la dissoudre est un crime de >> haute trahison; quiconque se rendrait coupable >> de cette tentative serait traître à la patrie, et sur-le>> champ jugé comme tel.

» 3. L'armée de ligne et les gardes nationales qui >> ont combattu et combattent encore pour défendre » la liberté, l'indépendance et le territoire de la » France, ont bien mérité de la patrie.

» 4. Le ministre de l'intérieur est invité à réunir » l'état-major général, les commandans et majors >> de légion de la garde nationale parisienne, afin » d'aviser aux moyens de lui donner des armes, et >> de porter au plus grand complet cette garde ci>>toyenne, dont le patriotisme et le zèle, éprouvés >> depuis vingt-six ans, offrent une sûre garantie à la

>> liberté, aux propriétés, à la tranquillité de la ca» pitale, et à l'inviolabilité des représentans de la

>> nation.

>> 5. Les ministres de la guerre, des relations >> extérieures, de l'intérieur et de la police, sont in>>vités à se rendre sur-le-champ dans le sein de l'as>> semblée. »>

L'assemblée adopta sur-le-champ ces résolutions, mais quelques hommes eurent l'adresse de faire ajourner l'article relatif à la garde nationale, qui eût mis sur-le-champ cinquante mille hommes sous la main de l'assemblée, pour sa propre défense et celle de la capitale. Néanmoins, plusieurs bataillons vinrent spontanément se ranger autour de la représentation nationale et de leur ancien général, ne prenant des ordres que des inspecteurs de la salle.

Dans le comité secret qui fut tenu le soir, Lucien Bonaparte, commissaire de l'Empereur, s'étant permis une allusion à la légèreté du peuple français, M. de Lafayette se leva, et prononça de sa place, avec un sang-froid imposant, les paroles suivantes : << C'est une assertion calomnieuse, que celle qu'on » vient de proférer. Comment a-t-on osé accuser la >> nation d'avoir été légère et peu persévérante à » l'égard de l'empereur Napoléon? Elle l'a suivi dans >> les sables d'Égypte et dans les déserts de Russie, » sur cinquante champs de bataille, dans ses désas>> tres comme dans ses victoires, et c'est pour l'avoir » suivi que nous avons à regretter le sang de trois >> millions de Français. » Ce peu de mots fit une

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profonde impression sur l'assemblée, et Lucien même s'inclina respectueusement devant le digne vétéran de la liberté.

Dès que Napoléon cut envoyé son abdication, on créa un gouvernement provisoire. Tout faisait croire que Lafayette en ferait partie, et il en eût alors été le président. Son intention connue était de faire un appel au peuple français, de soulever en armes toute la nation à l'appui d'une armée encore nombreuse, et il ne doutait pas que, mieux encore qu'en 92, ces gardes nationales, ces troupes de ligne expérimentées ne fussent en état de chasser les ennemis avec lesquels il n'aurait traité qu'en dehors des frontières, laissant la nation se donner à elle-même une constitution et des destinées de son choix. L'intrigue, l'ignorance, d'anciennes préventions et de nouveaux complots prévalurent. Lafayette venait de refuser les ouvertures des divers partis, voulant se conserver indépendant pour le plus grand bien de la liberté et du pays. La proposition du duc d'Otrante et de MM. Dupin et Regnault, à la séance du 22 juin, avait été de nommer cinq commissaires, trois choisis dans la chambre des représentans, et deux nommés dans celle des pairs. Le bruit public désignait dans celle des pairs, MM. Fouché et Carnot; parmi les députés, les généraux Lafayette et Grenier, et un troisième sur lequel on était encore indécis. Ces dispositions changèrent par une espèce de mystification dont furent dupes plusieurs personnes. On substitua, dans une seconde rédaction, la préposition par à la préposi

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