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défendit l'honneur de ses compatriotes à l'occasion de la retraite de l'escadre française à Boston, et combien aussi son influence servit à étouffer ces premiers germes de mésintelligence entre les deux nations. Revenu rapidement de Boston pour l'évacuation de l'Isle, il conduisit heureusement le réembarquement de l'arrière-garde : le congrès lui vota de nouveaux remercimens. Peu de temps après, les commissaires conciliateurs envoyés d'Angleterre mais repoussés par le congrès, s'étant servis d'expressions injurieuses pour la France, le jeune Lafayette envoya un cartel à leur président, lord Carlisle, qui ne l'accepta point. Il se rendit ensuite au congrès, et demanda un congé pour aller dans sa patrie. Les résolutions les plus honorables pour lui furent accompagnées d'instructions particulières, et d'un ordre exprès aux ambassadeurs en Europe de se concerter en tout avec Lafayette. Le congrès lui vota une épée, qui lui fut remise par Franklin; on y avait gravé plusieurs de ses actions d'éclat, et lui-même y était représenté blessant le lion britannique et recevant un laurier de l'Amérique délivrée de ses chaînes.

C'est ainsi que Lafayette, après avoir heureusement découvert et désarmé, près des côtes de France, une conspiration formée à bord de la frégate américaine par des prisonniers anglais, que son aversion pour la presse des matelots lui avait fait admettre dans l'équipage de la frégate, revit son pays après deux années d'absence et de combats : il avait alors vingt-deux ans. Lafayette fut accueilli avec enthou

siasme par le public et même par la cour. On retrouve les traces de cette double bienveillance pour le jeune soldat républicain, dans tous les Mémoires de l'époque (1). Cette faveur ne fut employée par lui qu'à servir la cause des Américains. Il avait combiné, de concert avec Paul Jones, une expédition tendant à faire contribuer les villes maritimes anglaises au profit des États-Unis : elle fut fondue dans le grand projet d'une descente en Angleterre. Employé à l'état-major du maréchal de Vaux, il ne cessait de solliciter des secours directs, et quoiqu'on lui eût dit à Philadelphie de ne pas demander des troupes pour l'intérieur des États-Unis, il outrepassa ses instructions, prévoyant qu'on serait bientôt dans le cas de lui en savoir gré. Enfin, après plusieurs conférences avec les ministres de Louis XVI, il fut décidé qu'une escadre serait envoyée à Rhode-Island, et qu'un corps commandé par Rochambeau, serait mis aux ordres de Washington. Franklin et Lafayette obtinrent aussi

(1) Voir les Mémoires de madame Campan, et les vers de Gaston et Bayard, copiés de la main de la Reine; le journal de son frère de lait Weber; voir aussi les relations contemporaines sur les hommages rendus par Voltaire au faîte de son triomphe, à la jeune madame de Lafayette; le poëme présenté par Cerutti à l'empereur Joseph lors de son voyage, où se trouve ce vers; Lafayette à vingt ans d'un monde était l'appui.

Les allusions aux spectacles; les témoignages d'enthousiasme dans les villes de commerce, à Bordeaux, à Marseille, et l'on ne sera pas étonné que le mouvement excité par son départ, contrastant avec le vif mécontentement et les démarches des deux gouvernemens de Londres et de Versailles, ait eu une grande influence sur l'opinion publique de cette époque.

un prêt de plusieurs millions. Enfin, il arriva sur une frégate française à Boston, où, malgré l'ignorance dans laquelle on était des mesures concertées avec lui et par ses soins, il fut reçu avec enthousiasme par la population dont il avait déjà obtenu cette affection et cette confiance qui lui ont été conservées pendant plus de cinquante-quatre années avec une si honorable constance.

Durant la campagne de 1780, Lafayette commanda l'infanterie légère, division d'élite qui se regardait comme spécialement associée à sa fortune, ainsi que les dragons qui formaient l'avant-garde américaine; il accompagna Washington à son entrevue avec les généraux français, et pensa devenir avec lui victimę de la trahison d'Arnold. L'hiver suivant, il marcha sur Portsmouth, en Virginie, pour y coopérer à une attaque concertée avec les Français, et qui échuoa par l'issue malheureuse du combat naval de M. Destouche. Lafayette reçut, en retournant vers le nord, un courrier de Washington qui lui annonçait que les ennemis allaient porter leur force en Virginie, et lui demandait de défendre, le plus longtemps qu'il le pourrait, cet État d'où dépendait le sort de toute la partie méridionale des États-Unis. Le faible corps qu'il commandait manquait de tout; il emprunta en son nom; les dames travaillèrent pour les troupes, qui se passèrent de solde; il arrêta la désertion en s'adressant à l'honneur et à l'affection des soldats, et en faisant de leur renvoi un moyen de punition.

Son premier soin fut de gagner à marches forcées Richmond, capitale de l'État, où étaient tous les magasins, et qu'il eut le bonheur de sauver en arrivant quelques heures avant les ennemis. C'est alors, que lord Cornwallis, très-supérieur en nombre et maître de la navigation intérieure, écrivit à Londres que « l'enfant ne pouvait lui échapper. »

Nous ne suivrons pas les historiens américains dans le détail de cette campagne de cinq mois. Les grands mouvemens de la dernière guerre ont diminué l'intérêt de ces succès importans sans doute, mais obtenus avec de faibles moyens. Nous dirons seulement que le résultat produit fut d'éviter une bataille, d'assurer des jonctions d'une haute importance, de garantir les magasins, et puis, après une suite de manœuvres et quelques engagemens, d'enfermer lord Cornwallis et toute son armée dans une position assignée d'avance, comme la plus convenable pour que le comte de Grasse, à son arrivée des Antilles, pût la bloquer par mer, tandis que le corps de Lafayette, renforcé par trois mille Français débarqués sous les ordres du marquis de Saint-Simon, prenait à Williamsbourg une position que lord Cornwallis crut inattaquable. Grasse et Saint-Simon, pressèrent Lafayette d'attaquer l'ennemi; mais, celui-ci sûr que son adversaire ne pouvait échapper, voulut épargner le sang, et attendit Washington qui amenait le corps de Rochambeau et la division de Lincoln. Cette jonction opérée, Lafayette enleva à la baïonnette, avec l'infanterie légère américaine, une redoute ennemie ; les grenadiers

français, commandés par le baron de Viomesnil, en prirent une autre. La capitulation de Yorktown décida le sort de cette guerre. Ces événemens se passaient en octobre 1781.

Revenu en France à bord d'une frégate américaine, Lafayette fut associé à la grande expédition de Cadix, où il conduisit de Brest huit mille hommes. Le comte d'Estaing, commandant les troupes et la marine de France et d'Espagne, devait attaquer la Jamaïque avec soixante-six vaisseaux et vingt-quatre mille hommes. Lafayette fut nommé chef de l'état-major des armées combinées. Le but ultérieur de l'expédition était de se porter devant New-York. Alors Lafayette, avec six mille hommes, aurait entrepris, par le fleuve Saint-Laurent, la révolution du Canada. Le départ de cette expédition fut arrêté par la paix de 1783, dont il envoya les premières nouvelles au congrès, étant appelé lui-même, par le chargé d'affaires américain, à Madrid où l'établissement des relations politiques, trop long-temps différé, fut réclamé avec fermeté et réglé en huit jours (1).

Lafayette fit, peu de temps après, une visite aux

(1) Les négociations diplomatiques des États-Unis, dans les premières années de leur indépendance, tirées des archives du congrès, ont dernièrement été publiées en Amérique. Celles de Lafayette tiennent un tiers de volume; on reconnaît dans la manière franche mais hautaine dont il parle avec succès, au nom de cet État naissant, aux cours de Madrid et de Vienne, le ton qu'il avait voulu imprimer à notre diplomatie dans les premiers temps de la révolution de 1830.

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