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>> C'est après avoir opposé à tous les obstacles, à tous les piéges, le courageux et persévérant patriotisme d'une armée sacrifiée peut-être à des combinaisons contre son chef, que je puis aujourd'hui opposer à cette faction la correspondance d'un ministère digne produit de son club; cette correspondance dont tous les calculs sont faux, les promesses vaines, les renseignemens trompeurs ou frivoles, les conseils perfides ou contradictoires; où, après m'avoir pressé de m'avancer sans précautions, d'attaquer sans moyens, on commençait à me dire que la résistance allait devenir impossible, lorsque mon indignation a repoussé cette lâche assertion.

>> Quelle remarquable conformité de langage Messieurs, entre les factieux que l'aristocratie avoue, et ceux qui usurpent le nom de patriote! Tous veulent renverser nos lois, se réjouissent des désordres, s'élèvent contre les autorités que le peuple a conférées, détestent la garde nationale, prêchent à l'armée l'indiscipline, sèment tantôt la défiance et tantôt le découragement.

>> Quant à moi, Messieurs, qui épousai la cause américaine, au moment même où ses ambassadeurs me déclarèrent qu'elle était perdue; qui dès-lors me vouai à une persévérante défense de la liberté et de la souveraineté des peuples; qui, dès le 11 juillet 1789, en présentant à ma patrie une déclaration des droits, osai lui dire : «< Pour qu'une nation soit libre, >> il suffit qu'elle veuille l'être ; » je viens aujourd'hui, plein de confiance dans la justice de notre cause, de

mépris pour les làches qui la désertent, et d'indignation pour les traîtres qui voudraient la souiller, je viens déclarer que la nation française, si elle n'est pas la plus vile de l'univers, peut et doit résister à la conjuration des rois qu'on a coalisés contre elle. Ce n'est pas sans doute au milieu de ma brave armée que les sentimens timides sont permis: patriotisme, énergie, discipline, patience, confiance mutuelle, toutes les vertus civiques et militaires, je les trouve

ici.

» Ici, les principes de liberté et d'égalité sont chéris, les lois respectées, la propriété sacrée ; ici, l'on ne connaît ni les calomnies, ni les factions; et lorsque je songe que la France a plusieurs millions d'hommes qui peuvent devenir de pareils soldats, je me demande à quel degré d'avilissement serait donc réduit un peuple immense, plus fort encore par ses ressources naturelles que par les défenses de l'art, opposant à une confédération monstrueuse l'avantage de combinaisons uniques, pour que la làche idée de sacrifier sa souveraineté, de transiger sur sa liberté, et de mettre en négociation la déclaration des droits, ait pu paraître une des possibilités de l'avenir qui s'avance avec rapidité sur nous! Mais pour que nous, soldats de la liberté, combattions avec efficacité, ou mourions avec fruit pour elle, il faut que le nombre des défenseurs de la patrie soit promptement proportionné à celui de ses adversaires, que les approvisionnemens se multiplient et facilitent nos mouvemens, que le bien-être des troupes, leurs

fournitures, leur paiement, les soins relatifs à leur santé, ne soient plus soumis à de fatales lenteurs ou à de prétendues épargnes qui tournent en sens inverse de leur but.

» Il faut surtout que les citoyens, ralliés autour de la constitution, soient assurés que les droits qu'elle garantit seront respectés avec une fidélité religieuse qui fera le désespoir de ses ennemis cachés ou publics. Ne repoussez pas ce vou: c'est celui des amis sincères de votre autorité légitime. Assurés qu'aucune conséquence injuste ne peut découler d'un principe pur, qu'aucune mesure tyrannique ne peut servir une cause qui doit sa force et sa gloire aux bases sacrées de la liberté et de l'égalité, faites que la justice criminelle reprenne sa marche constitutionnelle, que l'égalité civile, l'égalité religieuse jouissent de l'entière application des vrais principes.

>> Que le pouvoir royal soit intact, car il est garanti par la constitution; qu'il soit indépendant, car cette indépendance est un des ressorts de notre liberté; que le roi soit révéré, car il est investi de la majesté nationale; qu'il puisse choisir un ministère qui ne porte les chaînes d'aucune faction, et que, s'il existe des conspirateurs, ils ne périssent que sous le glaive de la loi.

» Enfin, que le règne des clubs, anéanti par vous, fasse place au règne de la loi; leurs usurpations, à l'exercice ferme et indépendant des autorités constituées; leurs maximes désorganisatrices, aux vrais principes de la liberté ; leurs fureurs délirantes, au

courage calme et constant d'une nation qui connaît ses droits et les défend; enfin leurs combinaisons sectaires, aux véritables intérêts de la patrie qui, dans ce moment de danger, doit réunir tous ceux pour qui son asservissement et sa ruine ne sont pas les objets d'une atroce jouissance ou d'une infàme spéculation.

>> Telles sont, Messieurs, les représentations et les pétitions que soumet à l'assemblée nationale, comme il les a soumises au Roi, un citoyen à qui on ne disputera pas de bonne foi l'amour de la liberté ; que les diverses factions haïraient moins, s'il ne s'était élevé au-dessus d'elles par son désintéressement; auquel le silence eût mieux convenu, si, comme tant d'autres, il eût été indifférent à la gloire de l'assemblée nationale, à la confiance dont il importe qu'elle soit environnée, et qui, lui-même, enfin, ne pouvait mieux lui témoigner la sienne qu'en lui montrant la vérité sans déguisement.

>> Messieurs, j'ai obéi à ma conscience, à mes sermens; je le devais à la patrie, à vous, au Roi, et surtout à moi-même, à qui les chances de la guerre ne permettent pas d'ajourner les observations que je crois utiles, et qui aime à penser que l'assemblée nationale y trouvera un nouvel hommage de mon dévouement à son autorité constitutionnelle, de ma reconnaissance personnelle et de mon respect pour

elle.

» Signé, LAFAYETTE.» Cette lettre, accueillie par la majorité de l'assem-

blée, fut amèrement attaquée par les députés jacobins. Les clubs dénoncèrent à l'envi Lafayette; celui de Paris choisit pour son organe le trop fameux Collot-d'Herbois.

Pendant ce temps les intrigues se multiplièrent. On a donné le nom de républicains aux factieux de l'époque, comme on le donna ensuite aux hommes de la terreur; mais il n'était pas question de république au Champ-de-Mars; les aveux de madame Roland et de Brissot en font foi. Les noms du duc de Brunswick, du duc d'York, étaient prononcés dans les clubs, et l'on a vu ce que devinrent depuis la plupart des soi-disant républicains des temps d'anarchie et de violence.

Cependant soixante-quinze administrations départementales, composées des véritables élus du peuple, avaient adhéré formellement à la lettre de Lafayette, et l'assemblée nationale recevait tous les jours de nouvelles adhésions dont le cours ne fut interrompu que par la catastrophe du 10 août et les crimes de septembre. Le commandement de la frontière, partagé, depuis la démission de Rochambeau, entre Luckner et Lafayette, s'étendait, pour le maréchal, du Rhin à Longwy, et pour Lafayette, de Dunkerque à Montmédy. Les deux généraux prévirent aisément que principale attaque se ferait vers le point de jonction de leurs commandemens respectifs, et malgré les mouvemens simulés des Autrichiens, les cris des jacobins, les dénonciations des journaux, les représentations de ministres subjugués par les clubs, les

la

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