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place, et la chute de ses collègues suivit de près la sienne. On leur substitua un ministère que les jacobins et l'intendant de la liste civile formèrent d'un commun accord; Dumouriez en fut le chef. La guerre ne tarda pas à être déclarée.

Parmi les intrigues étrangères et intérieures qui eurent lieu alors, on en trama une dans le but de perdre Lafayette. Le 24 au soir, il reçut l'ordre de former un corps d'armée et un train d'artillerie pour être le 30 à Givet; il fut prêt en vingt-quatre heures, et fit en cinq jours cette marche imprévue de cinquante-six lieues, de manière que, tandis que les échecs de Lille et de Mons affligeaient les bons citoyens, on ne put que le remercier, lui, de ses efforts et de son zèle. Il porta sur le pays ennemi un corps qui combattit vaillamment près de Philippeville à Florennes; et ensuite, d'après le plan qui laissait l'offensive au maréchal Luckner, il vint occuper le camp retranché de Maubeuge. Il y eut en avant de cette ville une affaire partielle, dans laquelle le général Gouvion fut tué. Des contre-temps et des lenteurs trop ordinaires aux troupes nouvelles empêchèrent l'effet d'un mouvement sur le flanc de l'ennemi, et donnèrent à celui-ci le temps d'opérer sa retraite.

D'après le premier plan, concerté en présence du Roi, entre le ministre Narbonne et les trois généraux, Luckner devait manoeuvrer sur le Rhin, et Lafayette,. à la tête de quarante mille hommes, devait entrer dans les Pays-Bas, tandis que l'armée de Rochambeau se tiendrait prête à le soutenir. Mais ce plan

fut modifié par Dumouriez et les jacobins, ses amis d'alors. Rochambeau, abreuvé de dégoûts, donna sa démission; le maréchal Luckner, qui le remplaçait, et à qui était échue l'offensive des Pays-Bas par la Flandre maritime, jugea à propos de se retirer sur Valenciennes. Lafayette qui avait occupé Maubeuge, comme moyen de diversion, envoya Bureaux-Puzy pour l'engager à faire une attaque combinée contre les Autrichiens, à peu près au point où s'est donnée la bataille de Jemmapes. Lafayette répondait de ses troupes, et ne doutait pas du succès, car de tous les officiers qui avaient fait la guerre, il était celui et peut-être le seul qui, dès les premiers temps, eût constamment et publiquement prédit l'avantage que devaient avoir sur la vieille tactique et les anciennes armées, nos nouvelles institutions militaires et notre esprit patriotiLuckner refusa obstinément de se rendre aux que. instances de son collègue. Cette circonstance ne fut pas une petite mortification pour les ennemis de Lafayette, au dedans et au dehors de l'assemblée, lors qu'à force de répéter qu'il empêchait Luckner d'attaquer, qu'il lui proposait de marcher sur Paris, et Bureaux-Puzy ayant été mandé à la barre, ils rendirent eux-mêmes nécessaire la publicité de cette correspondance.

Lafayette s'était en même temps engagé dans une guerre plus périlleuse contre la puissance colossale et désorganisatrice des clubs jacobins. Il savait que les ennemis extérieurs et intérieurs de la liberté avaient formé le projet systématique de la détruire

par les excès et la licence; il voyait dans ce qu'il y avait parmi les jacobins de patriotes sincères, des instrumens involontaires de l'intrigue, de la fureur et de la contre-révolution. Il se décida à les braver, mais il les attaqua seul, et sa lettre du 16 juin à l'assemblée nationale dénonça franchement cette redoutable association; les jacobins y étaient nominativement désignés. Voici un extrait de ce document qui fait époque dans l'histoire du temps.

MESSIEURS,

« La chose publique est en péril; le sort de la France repose principalement sur ses représentans. La nation attend d'eux son salut, mais en se donnant une constitution, elle leur a prescrit l'unique route par laquelle ils peuvent la sauver.

>>

Persuadé, Messieurs, qu'ainsi que les droits de l'homme sont la loi de toute assemblée constituante, une constitution devient la loi des législateurs qu'elle a établis, c'est à vous-mêmes que je dois dénoncer les efforts trop puissans que l'on fait pour vous écarter de cette règle que vous avez promis de suivre.

» Rien ne m'empêchera d'exercer ce droit d'un homme libre, de remplir ce devoir d'un citoyen; ni les égaremens momentanés de l'opinion, car que sont des opinions qui s'écartent des principes? ni mon respect pour les représentans du peuple, car je respecte encore plus le peuple dont la constitution est la volonté suprême; ni la bienveillance que vous m'avez constamment témoignée, car je veux la con

server, comme je l'ai obtenue, par un inflexible amour de la liberté.

» Vos circonstances sont difficiles. La France est menacée au-dehors et agitée au-dedans. Tandis que des cours étrangères annoncent l'intolérable projet d'attenter à notre souveraineté nationale, et se déclarent les ennemies de la France, des ennemis intérieurs, ivres de fanatisme ou d'orgueil, entretiennent un chimérique espoir, et nous fatiguent encore de leur insolente malveillance.

» Vous devez, Messieurs, les réprimer, et vous n'en aurez la puissance qu'autant que vous serez constitutionnels et justes.

>> Vous le voulez, sans doute; mais portez vos regards sur ce qui se passe dans votre sein et autour de vous.

>> Pouvez-vous vous dissimuler qu'une faction, et pour éviter les dénonciations vagues, que la faction jacobine a causé tous les désordres? C'est elle que j'en accuse hautement. Organisée comme un empire à part dans sa métropole et dans ses affiliations, aveuglément dirigée par quelques chefs ambitieux, cette secte forme une corporation distincte au milieu du peuple français, dont elle usurpe les pouvoirs, en subjuguant ses représentans et ses mandataires.

>> C'est là que, dans des séances publiques, l'amour des lois se nomme aristocratie, et leur infraction, patriotisme: là, les assassins de Desilles trouvent des triomphes; les crimes de Jourdan trouvent des panégyristes; là, le récit de l'assassinat qui a souillé

la ville de Metz vient encore d'exciter d'infernales acclamations. Croira-t-on échapper à ces reproches, en se targuant d'un manifeste autrichien, où ces sectaires sont nommés? Sont-ils devenus sacrés, parce que Léopold a prononcé leurs noms? Et parce que nous devons combattre les étrangers qui s'immiscent dans nos querelles, sommes-nous dispensés de délivrer notre patrie d'une tyrannie domestique? Qu'importent à ce devoir et les projets des étrangers, et leur connivence avec des contre-révolutionnaires, et leur influence sur des amis tièdes de la liberté? C'est moi qui vous dénonce cette secte; moi, qui, sans parler de ma vie passée, puis répondre à ceux qui feindraient de me suspecter: « Approchez, dans ce mo»ment de crise, où le caractère de chacun va être >> connu, et voyons qui de nous, plus inflexible dans >> ses principes, plus opiniâtre dans sa résistance, >> bravera mieux ces obstacles et ces dangers, que » des traitres dissimulent à leur patrie, et que les >> vrais citoyens savent calculer et affronter pour elle.

» Et comment tarderais-je plus long-temps à remplir ce devoir, lorsque chaque jour affaiblit les autorités constituées, substitue l'esprit d'un parti à la volonté du peuple; lorsque l'audace des agitateurs impose silence aux citoyens paisibles, écarte les hommes utiles, et lorsque le dévouement sectaire tient lieu des vertus privées et publiques, qui, dans un pays libre, doivent être l'austère et unique moyen de parvenir aux premières fonctions du gou

vernement.

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