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de juillet, et dont il ne s'est jamais écarté depuis cette époque.

Dans les premiers jours d'août, étant de service au quartier-général de Lafayette, j'eus l'honneur d'introduire auprès de sa personne un des hommes les plus considérables de la diplomatie européenne. C'était M. de Humboldt, qui venait demander confidentiellement au général en chef quels étaient, dans les nouvelles circonstances où la France était placée, ses principes politiques à l'égard des autres puissances. Lafayette, ayant répondu que les affaires extérieures ne le regardaient point, et que c'était au ministre chargé de ce département qu'il fallait s'adresser, M. de Humboldt lui déclara franchement qu'il était chargé, non-seulement par son gouvernement, mais aussi par quelques autres cabinets prépondérans, de connaître ses intentions personnelles, et de leur en rendre compte. Témoin de cette importante conversation, je puis rapporter fidèlement la réponse de Lafayette, dont je me hâtai de consigner les expressions textuelles sur mes tablettes:

« Puisque vous le voulez, dit-il à M. de Humboldt, >> je vais penser tout haut avec vous. Nous avons fait >> une révolution populaire; nous avons choisi un trône » populaire; nous voulons qu'il soit entouré d'in»stitutions républicaines; nous ne permettrons pas » que qui que ce soit se mêle de nos affaires; nous, >> ne nous immiscerons pas non plus dans celles de >> nos voisins. Si vos peuples sont contens de leurs >> gouvernemens, tant mieux pour vous; s'il sur

pas

>> vient des discussions entre vos peuples et vous, » il ne nous appartient pas d'y intervenir; mais si >> d'autres peuples veulent imiter notre exemple et >> conquérir leur liberté, nous ne souffrirons » que des gouvernemens étrangers y envoient leurs >> gendarmeries contre- révolutionnaires, et nous >> ne regardons pas la Pologne et la Russie comme >> formant une seule et même nation. Vous sentez » que nous ne pouvons point laisser attaquer par >> des étrangers, chez d'autres peuples, le principe >> vital de notre existence, celui de la souveraineté >> nationale; qu'il nous est impossible de laisser >> écraser des nations qui deviendraient nos alliées, >> en cas de guerre avec les gouvernemens arbitrai>> res; que nous ne pouvons pas vous laisser faire, » par la paix, la première phrase d'un manifeste >> contre nous, et sanctionner des prétentions qui >> vous autoriseraient à nous faire une guerre ulté» rieure. Nous souhaitons rester en paix avec tous »> nos voisins; nous n'avons apporté dans notre » révolution aucune sorte d'ambition, quelques » réclamations que nous eussions à faire, quelque >> revanche que nous eussions à prendre. Mais si, >> malgré notre modération, vous formez encore une >> coalition contre nous; si vous renouvelez ce qui a » été fait à Pilnitz, et ce qui a été plus ou moins >> continué pendant quarante-deux ans, il nous » sera prouvé que notre liberté est incompatible >> avec l'existence de votre diplomatie arbitraire; si >> vous tentez d'entrer chez nous, ce ne pourra être

» qu'avec le projet de nous asservir, de nous parta»ger peut-être : alors il est de notre devoir et dans » notre droit, de vous combattre avec les armes de » la liberté, de soulever vos peuples contre vous, >> autant qu'il sera en notre pouvoir de le faire; et » si vos trônes ne pouvaient point se réconcilier » avec l'indépendance et la liberté de la France, il » serait de notre intérêt de ne poser les armes que » lorsque ces trônes auraient été brisés et anéan»tis. Si, au contraire, vous nous laissez tranquilles, » si vous n'allez pas étouffer la liberté chez des peuples voisins, ce qui constituerait une hostilité >> directe et flagrante contre notre existence sociale, » vous n'aurez à vous plaindre ni de la France, ni » de la révolution de juillet, »

Lafayette a reproduit cette déclaration de principes dans tous les discours qu'il a prononcés à la tribune. C'est ainsi que, le 28 janvier 1831, il y faisait entendre cette profession de foi remarquable:

<< Messieurs, disait-il, la diplomatie, jadis occulte >> et compliquée, deviendra tous les jours plus simple >> et plus populaire; la presse divulgue ses mystères, >> la tribune les juge, l'opinion publique les modifie; >> les calculs de famille et les traditions de cabinet le >> céderont aux intérêts et aux volontés des nations. >> En venant aujourd'hui me mêler aux conversations » politiques de ces deux séances, je ne ferai de >> plaidoyer ni pour la guerre, ni pour la paix ;

» ce n'est pas la question: personne ne réclame la >> guerre; tout le monde préférerait la paix ; mais je

>> viens établir quelques faits dont nous devons sou» tenir la vérité et subir les conséquences, car ils » sont identifiés à l'honneur français et à notre exis»tence sociale.

» J'ai dit autrefois à cette tribune que je ne voyais » dans le monde que deux catégories, les oppres»seurs et les opprimés ; je dirai aujourd'hui que deux >> principes se partagent l'Europe, le droit souverain » des peuples, et le droit divin des rois; d'une part: » liberté, égalité; de l'autre : despotisme et privilége. » J'ignore si ces deux principes peuvent vivre en >> bons voisins; mais je sais que le notre est en pro»gression constante, assurée, inévitable; que nous >> devons lui être fidèles en tout et partout, et que » toute hostilité contre nous accélérera son triomphe.

» Une autre vérité non moins évidente, malgré » ce qui a été dit sur le respect dû aux traités existans, >> c'est que, de même que notre dernière révolution » de juillet a, de droit, annulé certains articles de » la Charte octroyée, de même aussi, elle a néces>> sairement annulé certains de ces traités, de ces >> articles des congrès de Vienne et de 1815; ceux, » par exemple, qui assuraient le trône de France à >> Louis XVIII et à sa famille, et unissaient la Bel»gique à la Hollande. M. le ministre des affaires » étrangères vient de nous dire: A la condition de » rompre les traités existans, voudriez-vous la » guerre? — Oui, répondrais-je, pour les traités que >> je viens de citer; c'est ce que la France a répondu, » c'est ce qu'il a répondu lui-même.

>> Je pourrais parler d'autres articles de ces traités, >> incompatibles avec notre liberté et notre indépen» dance, tels que les conventions d'extradition du » sol de la France; et observons en passant que ces » traités n'ont pas été faits entre nous et nos enne>> mis, mais par eux-mêmes ; par eux, qui ont placé » un des leurs aux Tuileries, pour trafiquer de notre >> honneur et de nos libertés.

>> Un troisième point, non moins évident, a été >> constaté par moi l'autre jour à cette tribune, en pré>> sence et avec l'assentiment de tous messieurs les >> ministres du roi,et nommément du ministre des af>>faires étrangères.Je suis bien sûr qu'aucun d'eux ne >> démentira aujourd'hui la définition que j'ai don>> née, savoir que toutes les fois qu'un peuple, un » pays de l'Europe, où qu'il soit placé, réclamera ses >> droits, voudra exercer sa souveraineté, toute inter>>vention des gouvernemens étrangers pour s'y op» poser équivaudra à une déclaration directe et for>> melle de guerre contre la France, contre la France, non-seulement >> par nos devoirs envers la cause de l'humanité, mais >> parce que c'est une attaque directe contre le prin>>cipe de notre existence, une restauration des

principes de Pilnitz et de la sainte-Alliance, la jus>>tification d'une invasion future contre nous, un >> projet évident d'écraser nos alliés naturels, pour >> venir ensuite détruire le germe de la liberté dans »notre sein, chez nous qui nous sommes placés à » la tête de la civilisation européenne.

>> Si la conséquence de ces faits, de ces principes,

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