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CHAPITRE XII.

Suite du précédent. Notification de l'avénement de LouisPhilippe. Insolence de l'empereur Nicolas et du duc de Modène. Lafayette dans ses rapports avec la diplomatie, -Quelques cabinets lui envoient personnellement un agent diplomatique. Son entrevue avec cet agent. Son système de non-intervention développé,

Telle était, à la suite de la révolution de 1830, la disposition générale des esprits relativement à la question de paix et de guerre. Déjà la royauté des barricades flottait incertaine entre l'appétit d'un repos sans sécurité, sans gloire, et les appréhensions d'un conflit qui pouvait l'emporter, si elle laissait à ses ennemis l'initiative des combats. D'un côté, l'inaction et les stygmates des traités de Vienne et de Paris, mais, avec cela, l'espérance d'un bill d'indemnité et d'une adoption monarchique; de l'autre, le feu de l'insurrection à attiser sur tout le continent de l'Europe, la poussière des camps à essuyer, les hasards de la guerre à courir, mais, aussi, l'émancipation complète de la France, le rajeunissement de toutes ses gloires et l'affranchissement infaillible de l'Europe.

La royauté citoyenne ne voulut point comprendre qu'indépendamment de la nécessité de se faire des titres à la gratitude et à la considération des peuples, il en existait une autre à laquelle aucune dynastie nouvelle n'avait échappé; celle d'un baptême de

gloire et de sang. Née sous le canon populaire, cette royauté préféra essayer de s'affermir dans da servitude, que de rentrer franchement dans le système traditionel de ses anciennes alliances.

Cependant, laissant même de côté la question de principes et de propagande, la politique extérieure de ce gouvernement aussitôt abatardi que né, était excessivement simple. De quoi s'agissait-il à la rigueur ? d'une question de territoire. En effet, tandis que la France, après avoir porté ses armes dans toutes les capitales, s'était vue dépouillée même des possessions dont sa circonscription s'était accrue depuis 1648 jusqu'en 1789, et pour lesquelles, soit dit en passant, elle avait donné de surabondantes compensations, ses ennemis avaient démesurément étendu leurs territoires. L'Autriche, par exemple, s'était agrandie et établie en même temps en Allemagne, en Pologne, en Turquie et en Italie; elle avait acquis de riches moyens de navigation intérieure, des ports et un commerce maritime. La Prusse, état naguère du troisième ordre, s'était rapidement élevée au rang de puissance prépondérante par des enclaves conquis sur tous les états limitrophes, depuis le Niémen jusqu'à Thionville. La Russie, qui n'existait pas lorsque la France était la première puissance du Monde, s'était étendue sur tous les points de son immense circonférence, et, par une conséquence nécessaire de son système progressif d'envahissement, autant que par la politique de ses alliances de famille, cet empire avait réduit l'occident à n'être en guerre que par son impulsion, en

paix que par sa tolérance. Je ne parle point de l'Angleterre on sait assez de combien de riches domaines et d'importantes positions militaires, dans les mers d'Europe et d'Asie, elle fut dotée par le traité qui déshérita la France. Les îles Ioniennes, l'Ile-de France, le Cap de Bonne-Espérance, etc., etc., sont au nombre des acquisitions dont se contenta le désintéressement britannique.

Voilà quelle était la situation respective de la France et des puissances étrangères, au moment où la révolution de juillet vint déplacer tous les élemens du droit public européen. Or, en réduisant la question à l'intérêt isolé de la France, en mettant de côté toute communauté de principes, de besoins et de sympathies, restait toujours, pour un gouvernement national, l'impérieux devoir de revendiquer les frontières nécessaires à la défense du pays. Et qu'on ne nous parle plus des frayeurs qu'inspiraient encore les convulsions de la république et les jours de gloire de l'Empire. La république n'avait pu conquérir la paix pour elle qu'en conquérant la liberté pour les autres, et les traités témoignent assez de sa justice et de son imprudente générosité après ses victoires. Quant à l'Empire, faisant et défaisant des rois au gré d'un soldat heureux, ce n'était point la France, c'était l'armée de Bonaparte infidèle à la révolution, et rentrant à pleines voiles dans le système des vieilles monarchies; et, du reste, l'histoire attestera peut-être que, si l'Empire déborda sur l'Europe, c'est qu'il y fut appelé par les coalitions originaires de 89.

Propagande et libéralisme à part, il s'agissait donc, pour le gouvernement de juillet, de pourvoir à notre sécurité future, et de rétablir l'équilibre que la làcheté d'un pouvoir dégénéré avait laissé rompre. Sous ce rapport, la révolution de 1830 pouvait, même dans des mains inhabiles, devenir au moins la garantie de notre indépendance nationale. La royauté élue n'en a fait qu'une convulsion pareille à celles qui déshonorent les derniers siècles de l'empire romain.

Onn'a point voulu, dit-on, compromettre la paix de l'Europe. Vous avez prostitué la vie et la majesté de la révolution qui vous fit; votre indécision, votre pusillanimité, votre incapacité, ont épuisé le courage et l'obstination patriotique des peuples, éteint l'impulsion révolutionnaire en France, allumé contre vous la colère de tous les hommes libres : eh bien! pensezvous avoir pour cela conjuré l'orage? Pensez-vous que votre illégitimité en soit plus ou moins au bandes vieilles monarchies? Oui, pour quelques mois, quelques années, peut-être. Mais que sont ces mois, ces années ; qu'est-ce que vous, à côté de la vie de la France? Voyez la Pologne au néant; la barrière entre la barbarie et la civilisation brisée; la Russie prète à opérer le démembrement de la Prusse par la séparation de sa partie polonaise, et le Nord libre de se ruer sur le Midi: voyez ce résultat de votre génie, et osez mesurer ce qu'un jour il faudra de sang pour arracher l'Europe mutilée, des mains du despote qui salua votre avènement d'un soufflet.

Quoi qu'il en soit, la première mesure de politique

extérieure que prit le ministère de Louis-Philippe, fut la notification aux Cours étrangères de l'avènement de ce prince au trône de France. L'Angleterre fut la première à reconnaître le nouveau Roi; l'adhésion de l'Autriche, de la Prusse et des États secondaires de l'Allemagne suivit d'assez près celle du cabinet de Saint-James; l'Espagne ajournà sa réponse, et publia une circulaire aussi outrageante pour le nouveau monarque que pour la nation qui l'avait élu; le principule de Modène protesta insolemment contre l'usurpation; enfin, ce ne fut qu'après de longs délais et de vives sollicitations, que M. Athalin obtint, de l'empereur Nicolas, l'étrange réponse que l'autocrate daigna faire à la lettre, cependant fort humble, que lui avait adressée le Roi des Français. On se rappelle en quels termes était conçue cette ouverture, où, par un incroyable oubli de la dignité nationale, le cabinet du Palais-Royal appelait une catastrophe, les glorieux événemens qui venaient de placer la couronne sur la tête du duc d'Orléans. Cette humiliation reçut son châtiment dans la réponse du Czar, que je consigne ici comme le document historique le plus propre à donner la mesure des déboires dont la monarchie de juillet s'est laissé abreuver. Lettre du cabinet de S. M. l'Empereur de toutes les Russies à S. M. le Roi des Français, en date de Zarskoë-Sélo, le 18 septembre 1830.

<< J'ai reçu des mains du général Athalin la lettre » dont il a été porteur. Des événemens à jamais dé

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