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noms associés à de tristes souvenirs, on conviendra que la direction imprimée aux affaires, par le premier ministère de Louis-Philippe, n'offrait d'abord rien d'alarmant pour la révolution, au moins en ce que la politique de ce cabinet avait, alors, d'avoué et d'ostensible.

La faction qui s'érigea bientôt en arbitre de nos destinées n'avait pas encore tenté de refaire la Restauration ; elle ne paraissait en travail que pour trouver à la France une assiette convenable, un point d'appui sur le nouveau terrain où les événemens de juillet l'avaient jetée.

La révolution de 1830 avait, elle aussi, froissé une foule d'intérêts, déplacé de nombreuses existences, blessé beaucoup de vanités; la situation était semée d'écueils, et le pouvoir chancelant demandait force et appui à tous venans. De leur côté, les patriotes expérimentés se rappelaient que notre précédente révolution avait commis des fautes; que la lutte où elle s'était vue engagée l'avait rendue violente; qu'elle avait effrayé beaucoup de monde, dépassé son but, entraîné souvent le bien avec le mal, et fini par ramener le despotisme à travers l'anarchie.

Cette pensée dominante commandait des ménagemens, et exigeait au moins qu'avant d'attaquer le nouveau gouvernement, on attendît qu'il fût assis, et qu'il eût mis son système à découvert. Tous les organes de l'opinion libérale, quelle que fut d'ailleurs la nuance de leurs doctrines, se rallièrent avec franchise à l'autorité sortie des barricades, et

ce n'est point une des moindres preuves du véritable progrès que la raison politique avait fait parmi nous, que ce concours presque unanimement prêté aux dépositaires du pouvoir, pendant les six premiers mois de leur administration. Alors beaucoup d'hommes de juillet, et on peut dire le plus grand nombre de ceux qui avaient fait la révolution, soutenaient le ministère, tout en gémissant sur la tendance dangereuse à laquelle il s'était abandonné. De rares exceptions ne détruiraient point cette observation.

Depuis ce temps ces hommes ont beaucoup appris ; ils ont été trompés, et l'expérience les a condamnés à la condition d'opposans prononcés ; mais alors seulement qu'ils ont vu le système de la Restauration, se développant sans crainte, faire beaucoup de mal et en méditer encore davantage. Voilà aussi pourquoi Lafayette s'abstint d'abord de faire à la politique intérieure du gouvernement de juillet une guerre qui, de sa part, eût pu devenir le signal de nouvelles résistances, et susciter de graves obstacles.

Toutefois, au milieu des travaux dont l'accablait la réorganisation de la garde nationale, il ne perdit point de vue quelques points importans sur lesquels il était nécessaire que le gouvernement s'expliquât

sans délai. De ce nombre étaient la fixation et la reconnaissance définitives des droits des hommes de couleur libres, dans nos colonies; question importante et que tous les efforts de l'opposition n'avaient pu faire résoudre sous le gouvernement précédent. Interpellé par Lafayette, le ministre de la marine

répondit, à la tribune, que la nouvelle royauté considérait tous les citoyens de nos colonies, comme parfaitement égaux, et qu'elle repoussait toute espèce d'infériorité ou de supériorité fondée sur la différence de couleur. C'était beaucoup pour la cause de l'humanité, beaucoup aussi pour le patriote qui, le premier en France, avait tenté l'affranchissement graduel des esclaves, et consacré une notable partie da sa fortune à cette œuvre philantropique.

Un des premiers soins de Lafayette fut aussi de connaître la pensée du nouveau Pouvoir, sur le sort des patriotes condamnés pour délits politiques sous les règnes de Louis XVIII et de Charles X. Il voyait dans la décision qu'il provoquait de la part du gouvernement à l'égard de ces nobles victimes, nonseulement une satisfaction à accorder à la justice, mais une nouvelle consécration du principe de la résistance à l'oppression et à la violation des lois. Aussi ce fut au grand scandale de la domesticité doctrinaire, qui déjà s'était abattue sur la jeune Cour de Louis-Philippe, qu'un jour, où les salons du Palais-Royal étaient pleins de députations accourues de toutes les parties de la France, on entendit un aide-de-camp de service appeler à haute voix messieurs les condamnés pour délits politiques, et Lafayette, s'avançant à leur tête, dire au Roi : « Voilà les condamnés politiques; ils vous sont pré>> sentés par un complice. » Le Roi les reçut avec la plus touchante affabilité, et, rappelant à plusieurs de ces généreux citoyens les persécutions qu'ils

avaient éprouvées, à son grand regret, il promit à tous le plus vif intérêt et un prompt dédommagement de leurs longues souffrances. Quel a été l'effet de ces promesses? les plaintes de ces braves l'ont appris au pays; leur misère le lui redit chaque jour. Repoussés de tous les ministères, en butte aux dédains des sycophantes de toutes les couleurs qui assiégent la royauté des barricades, les condamnés politiques vont mourant de faim sous les yeux du trône auquel ils ont servi de piédestal. L'histoire dira que des hommes qui, durant quinze ans, avaient tout sacrifié à leur patrie, n'y retrouvèrent que la terre et l'eau, après la glorieuse révolution de juillet. Quel monument de la reconnaissance des rois !

CHAPITRE XI.

Ascendant de la révolution de juillet sur les peuples de l'Europe. Elle retentit dans les Deux-Mondes. Sympathies. de l'Angleterre. Deux systèmes de politique extérieure divisent les patriotes. La non-intervention telle que la comprend Lafayette. Système des doctrinaires.- Conséquences.

Notre révolution de juillet fut le signal des événemens les plus prodigieux en tous genres. Les peuples en tressaillirent de joie et d'espérance; les despotes, de crainte et de fureur : le monde entier se sentit ému d'un sentiment irrésistible de liberté (1). Mais de tous ces phénomènes le plus remarquable fut l'accord des sympathies populaires qui éclatèrent de toutes parts en faveur des Parisiens. Oubliant tout motif de division et de rivalité avec l'ancienne France, tous les peuples, sans exception, confondirent leurs vœux pour le succès de la sainte cause qui venait de

(1) Ce grand événement retentit jusque dans l'Inde.-A Delhi, la ville sainte, le peuple et les autorités indiennes et anglaises le célébrèrent par un magnifique banquet auquel fut invité un naturaliste français, M. Jacquemont, qui se trouvait alors dans ces lointains parages.-Les habitans des bords du Gange buvant aux hommes des barricades et criant: Vive Lafayette! Quel sujet de méditation pour la politique et la philosophie!

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