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extension plus grande encore dans l'intérêt de la liberté !!! Ils ajoutèrent que le prince avait conçu la pensée d'appliquer immédiatement à la Charte les principes posés dans la proposition de M. Bérard, et qu'il serait appelé le soir au conseil, pour y discuter, avec les membres du Cabinet, les modifications que l'on jugerait convenables de lui faire subir. Cependant M. Bérard ne fut point convoqué par les ministres, qui s'excusèrent en disant que le conseil avait d'abord voulu se mettre d'accord sur quelques points en discussion, ce à quoi il n'était pas encore parvenu, mais qu'assurément lui, M. Bérard, serait appelé dans la réunion du soir. Cette seconde promesse eut le même sort que la première.

Le vendredi matin, 5 août, M. Bérard se rendit chez M. Guizot, à qui il se plaignit vivement et du retard qu'éprouvait sa proposition, et de l'inconvenance des procédés qu'on avait à son égard. C'est alors que M. Guizot lui remit, avec un embarras visible, une nouvelle rédaction écrite de la main de M. le duc de Broglie, et telle que l'entendaient les doctrinaires, qui venaient de s'emparer du pouvoir.

Voici le texte original de ce curieux document que je recommande à l'attention de mes lecteurs, comme type de la pensée qui dominait alors et qui, depuis, a constamment dirigé la politique des hommes de la Restauration, auxquels la révolution de juillet a eu le malheur de se confier dans une heure fatale. C'est là qu'il faut aller chercher l'origine de cette monstrueuse anomalie que M. Guizot osa bientôt

introduire dans notre droit public, sous la curieuse dénomination de quasi-légitimité.

<< LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS, PRENANT EN CONSIDÉ– » RATION, ETC.,

» VU L'ACTE D'ABDICATION DE S. M. CHARLES X, EN » DATE DU 2 AOUT DERNIER, ET LA RENONCIATION DE » SON ALTESSE ROYALE LOUIS-ANTOINE, DAUPHIN, DU >> MÊME JOUR ;

» CONSIDÉRANT, EN OUTRE, QUE S. M. CHARLES X, » S. A. R. LOUIS-ANTOINE, DAUPHIN, ET TOUS LES >> MEMBRES DE LA BRANCHE AINÉE DE LA MAISON ROYALE » SORTENT EN CE MOMENT DU TERRITOIRE FRANÇAIS;

» DÉCLARE QUE LE TRÔNE EST VACANT ET QU'IL EST » INDISPENSABLEMENT BESOIN D'Y POURVOIR. »

Le cens d'éligibilité à 1,000 francs et le cens électoral à 300 fr. étaient soigneusement maintenus dans ce projet qui n'apportait non plus aucune modification à la composition de la Chambre des pairs. Seulement, M. Guizot avait ajouté de sa main la note marginale suivante : Toutes les nominations et créations nouvelles de pairs faites sous le règne de S. M. Charles X, sont déclarées nulles et non avenues.

Mais ce qu'il importe le plus de remarquer dans cette rédaction, c'est l'ordre d'idées dans lequel s'étaient déjà placés les deux ministres dirigeans. Quel usage MM. de Broglie et Guizot voulaient-ils donc faire des considérans introduits dans leur rédaction? Dans quel intérêt avaient-ils stipulé l'abdication de

Charles X et la renonciation du Dauphin, si ce n'est dans celui d'un tiers mineur? En effet, la nécessité de l'abdication et de la renonciation une fois reconnue, le duc de Bordeaux seul restait de droit roi de France. Or, il était rationnellement impossible de conclure de ces principes à la royauté de Louis-Philippe, et, pour ne pas être frappé de l'absurdité de cette combinaison, il fallait croire à l'existence d'une certaine protestation publiée dans les journaux anglais, à l'occasion de la naissance du duc de Bordeaux, reproduite quelques semaines après les évé– nemens de juillet, et restée sans démenti de la part du duc d'Orléans à qui elle avait été attribuée. Dans tous les cas, il était au moins évident que les ministres doctrinaires voulaient, dès-lors, créer à LouisPhilippe une monarchie légitime; prétention qui explique suffisamment et la conduite de ce premier ministère, et celle du cabinet actuel dont les principes sont exactement les mêmes.

Quoi qu'il en soit, en recevant des mains de M. Guizot la rédaction de M. de Broglie, M. Bérard déclara qu'elle exprimait des principes auxquels il ne pouvait servir d'organe, et annonça l'intention de les modifier. Cependant le temps pressait; il était neuf heures, et la Chambre devait s'assembler à midi, pour recevoir communication de sa proposition. C'est dans ce court intervalle de temps qu'il bácla le pacte destiné à lier la France à la royauté des barricades. Rencontrant M. Guizot au pied de la tribune : « J'ai, lui dit-il, beaucoup changé à votre travail. » Tant

296 LAFAYETTE PENDANT LA RÉVOLUTION DE 1830. pis, répondit l'homme de la doctrine, car, on ne vous le pardonnera jamais. Pour qui réfléchit, ce motrenfermait tout le système qui se déroule aujourd'hui.

Je ne veux point excuser l'œuvre de M. Bérarð; j'ai déjà dit que cet œuvre n'est qu'un assemblage informe des dispositions les plus incohérentes. Cependant, si, d'une part, on réfléchit à la précipitation avec laquelle il a dû en arrêter la dernière rédaction ; et si, de l'autre, on compare son premier travail avec la proposition descendue d'en haut et formulée par MM. Guizot et de Broglie; si, de plus, on fait entrer en ligne de compte les élémens dont se composait la Chambre, on concevra la difficulté de la position de cet honorable député, et, peut-être, attribuera-t-on aux circonstances plus qu'à ses convictions politiques les vices dont la Charte de 1830 a été maculée.

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CHAPITRE IX.

Espérances vaines. - Lafayette s'oppose à ce que le nouveau roi prenne le nom de Philippe V.-Intronisation de LouisPhilippe. Pourquoi Lafayette accepte le commandement général des gardes nationales. - Ce qu'il fait pour cette institution. Revue du 29 août 1830.- C'était, alors, à l'Europe à demander la paix ; à la France à l'accorder.

Telle qu'on venait de l'improviser, ou, pour me servir du mot consacré, telle qu'on venait de la bẩcler, la nouvelle Charte était assurément au-dessous des exigences de la victoire; au-dessous, surtout, des espérances qu'un si beau triomphe avait fait concevoir. Cependant la distance était déjà grande entre la nouvelle Constitution et la Charte octroyée; entre les formes républicaines qu'on respectait encore et les formes serviles de la Cour, qui, quelques jours plus tôt pesait sur la France. Les amis les plus ardens de la révolution pouvaient encore rêver la justice, la liberté, la gloire, un trône protecteur des droits du peuple, un pacte indissoluble entre le gouvernement et la nation. Quant à moi, je le confesse, je les croyais réalisés les rêves de ma jeunesse; car, c'était au bruit des airs de la Parisienne et de la Mar

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