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lèrent le conjurer de reprendre le commandement.

L'évasion du Roi, contre laquelle on avait pris toutes les précautions compatibles avec la liberté dont jouissait le chef suprême de l'État, fut pour Lafayette une crise d'autant plus imprévue, que les paroles positives et le ton de sincérité du monarque l'avaient mis récemment dans le cas de démentir les soupçons qui s'élevaient, et de répondre publiquement et sur sa tête que le Roi ne partirait pas (1). «< En effet, dit un historien, la fureur du peuple >> contre Lafayette fut extrême; elle s'apaisa quand >> le peuple vit la tranquillité avec laquelle il s'a» vançait sans escorte, au milieu des rugissemens >> d'une foule prodigieuse qui s'était réunie devant >> l'Hôtel-de-Ville. Quelques lamentations sur >> le malheur public qui venait d'arriver, et qui >> semblaient interpeller Lafayette, lui fourni>> rent l'occasion de dire à ceux qui se désolaient, >> que s'ils appelaient cet événement un malheur, » il voudrait bien savoir quel nom ils donneraient » à une contre révolution qui les priverait de la li» berté. »

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Le même témoin oculaire (2), ajoute que dans cette multitude il s'éleva plusieurs voix qui lui offrirent la place vacante, et qu'il repoussa par un sarcasme assez dédaigneux et qui acheva de lui rendre toute sa popularité.

(1) Histoire de France de Toulongeon. Voyez les Pièces justificatives.

(2) Bureaux-Puzy.

Aussitôt que ce fatal départ, signal trop prévu de guerre civile et étrangère, lui fut connu, Lafayette, sans attendre la réunion de l'assemblée, et après avoir consulté son président et le maire, prit sur lui seul la responsabilité de signer et d'envoyer sur toutes les routes l'ordre d'arrêter ce qu'il appelait l'enlèvement du Roi. Heureusement pour lui, d'après les horribles attentats qui eurent lieu depuis, ce ne furent pas ses ordres, nécessairement tardifs, mais bien le malheur d'être reconnu par un maître de poste, qui occasionna l'arrestation de Varennes. La famille royale, en recevant par l'aide-de-camp de Lafayette, le décret de l'Assemblée, parut surprise qu'il commandat encore à Paris; et, en effet, observe Bouillé dans ses Mémoires, la fuite du Roi devait le faire massacrer par le peuple. Il est assez remarquable que le fameux Danton, qui avait naguère reçu 100,000 francs de la cour, fut le seul qui, le même soir, au club des Jacobins, demanda la tête de Lafayette, quoiqu'il sût fort bien que celui-ci connaissait son secret.

Lorsque le Roi et sa famille furent ramenés à Paris, où jusqu'alors ils n'avaient été que surveillés mais non prisonniers, un décret de l'assemblée les consigna, sous les ordres du commandant général, à des gardes personnellement responsables, et d'autant moins confians qu'ils venaient d'être trompés. Lafayette redoubla de zèle pour garantir la sûreté de la famille royale, mais les honneurs souverains ne furent rendus au monarque qu'après qu'il eut de nouveau

reconnu et accepté son titre de roi constitutionnel. Pendant ce temps, Bouillé, ayant, dans sa lettre de Luxembourg, dit qu'il avait vu un parti qui voulait la république et que Lafayette en était, celui-ci renouvela dans l'Assemblée l'expression de sa fidélité à la constitution qu'elle avait établie. En effet, tandis que deux factions opposées l'accusaient d'avoir connivé à la fuite du Roi, pour fonder la république, disaient les uns, pour servir la cour, disaient les autres; calomnies absurdes et contradictoires, lui, n'employa sa popularité et son pouvoir qu'à assurer l'indépendance des délibérations et l'obéissance aux décrets de l'assemblée.

Celui du 16 juillet 1791 ayant prouvé la détermination presque unanime de rétablir le Roi, les mécontens se réunirent au Champ-de-Mars dans la matinée du 17, pour signer une protestation contre cette mesure. Ils commencèrent par égorger deux invalides, et portèrent leurs têtes sur des piques. Lafayette y accourut promptement et fit abattre les barrières déjà élevées. Un homme, dont l'arme ne fit pas feu, tenta de lui tirer un coup de fusil à bout portant; l'assassin, que Lafayette fit relàcher, se vanta depuis de ce crime à la barre même de la Convention. D'après la promesse qui leur fut faite que les attroupemens se sépareraient, les officiers municipaux patientèrent jusqu'au soir; mais comme l'effervescence augmentait, qu'on annonçait des projets hostiles à l'Assemblée nationale, et que ce corps ordonna à la municipalité de rétablir la sûreté publique, celle-ci déploya le

drapeau de la loi martiale, et le transporta sur les lieux, ayant à sa tête le maire escorté par un détachement sous les ordres de Lafayette. La municipalité fut assaillie de pierres, et eut même à essuyer quelques coups de feu. La garde nationale riposta, mais en l'air ; l'audace des perturbateurs s'en accrut; alors la garde fit feu. Une douzaine d'hommes, suivant le rapport de Bailly, furent tués, autant furent blessés ; on a dit que ce nombre était plus considérable; il fut même alors ridiculement exagéré. Quoi qu'il en soit, quelques instans suffirent pour dissiper ce rassemblement, renouvelé avec plus de succès au 10 août et au 31 mai. La municipalité et la garde nationale qui, dans cette malheureuse journée, perdit aussi quelques hommes, reçurent les remercîmens unanimes de l'assemblée. Il y aurait eu plus de sang répandu si, au moment où on allait mettre le feu à un canon, Lafayette, entraîné par un périlleux dévouement, ne s'était jeté au-devant de la pièce, dont le canonnier effrayé n'eut que le temps de retirer

son bras.

Pendant la dernière rédaction de l'acte constitutionnel, Lafayette combattit le projet qui interdisait pour trente ans à la nation le droit de modifier la constitution; lorsqu'elle fut achevée, il fit décréter l'abolition immédiate des procédures relatives à la révolution, de l'usage des passeports, et de toute restriction à la liberté de voyager dans l'intérieur et hors de la France.

Le 8 octobre, il prit congé de la garde nationale

par une lettre affectueuse, dans laquelle il lui retrace ses principes de liberté et d'ordre public.

Voici le texte de ce document remarquable;

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>> Au moment où l'assemblée nationale constituante >> vient de déposer ses pouvoirs, où les fonctions de >> ses membres ont cessé, j'atteins également le terme >> des engagemens que je contractai, lorsque placé >> par le vœu du peuple à la tête des citoyens qui, >> les premiers, se dévouèrent à la conquête et au » maintien de la liberté, je promis à la capitale qui >> en donnait l'heureux signal, d'y tenir élevé l'éten» dard sacré de la révolution, que la confiance publi>> que m'avait remis.

» Aujourd'hui, messieurs, la constitution a été >>> terminée par ceux qui avaient droit de la faire; et >> après avoir été jurée par tous les citoyens, par >> toutes les sections de l'empire, elle vient d'être lé>> galement adoptée par le peuple tout entier, et so>> lennellement reconnue par la première assemblée >> législative de ses représentans, comme elle l'avait » été, avec autant de réflexion que de loyauté, par >> représentant héréditaire qu'elle a chargé de l'exé>>cution des lois. Ainsi les jours de la révolution font

le

place à ceux d'une organisation régulière, à ceux » de la liberté, de la prospérité qu'elle garantit. Ainsi, >>> lorsque tout concourt à la pacification des troubles » intérieurs, les menaces des ennemis de la patrie >> devront, à la vue du bonheur public, leur paraître

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