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officier de la maison de Monsieur depuis Louis XVIII, qui vint alors à l'Hôtel-de-Ville attester làchement qu'il n'existait aucun rapport politique entre Favras et lui, et protester de son attachement à la révolution. Favras fut jugé par le tribunal du Châtelet, d'après les anciennes lois, mais suivant les nouvelles formes favorables aux accusés. « Vos magistrats,» avait dit Lafayette aux deux chefs de ce corps, « sont incapa»bles de se laisser influencer par la crainte, mais ce se» rait une lâcheté bien superflue, car je vous réponds » de tout. » En effet, le courageux et discret Favras remercia en pleine audience la garde nationale de son zèle à protéger sa personne et l'indépendance de ses juges. Il fut condamné, quoiqu'une des principales charges qui pesaient sur lui, le projet d'assassiner le maire et le commandant général, eût été atténuée par une lettre de ces deux fonctionnaires, tendante à invalider ce chef d'accusation.

Lafayette parla souvent dans l'assemblée nationale sur les désordres qui éclataient dans les diverses provinces ; il demanda des décrets répressifs, et des dédommagemens pour les maisons incendiées, par suite de ces désordres, dont il accusa en grande partie l'esprit contre-révolutionnaire. Cette pensée de l'influence du dehors sur les excès de l'anarchie fut souvent reproduite par lui; ce fut aussi celle d'un grand nombre d'amis les plus purs de la liberté et de l'ordre public. « Ce n'est « Ce n'est pas pour le Champ-de» Mars que vous m'immolez, » disait Bailly, « c'est » pour le serment du Jeu de Paume. » On voit, d'un

autre côté, dans les Mémoires de madame Campan, que telle était aussi la pensée de la Reine. Quoi qu'il en soit, c'est en demandant à la tribune des mesures sévères contre les perturbateurs, que Lafayette fit entendre ces paroles qui, depuis, lui furent tant de fois et si amèrement reprochées que, l'insurrection contre le » despotisme était le plus saint des devoirs, et, que, » sous un Gouvernement libre, c'était l'obéissance » aux lois. »

Lafayette appuya de tout son pouvoir les mesures de fermeté prises contre la garnison de Nancy qui s'était insurgée, et il réclama l'approbation de l'assemblée en faveur de la conduite que M. de Bouillé tint à cette occasion. Il demanda le Jury anglais dans toute sa pureté, et lors qu'éclatèrent ces discussions religieuses, dont l'esprit de parti parvint, de part et d'autre, à faire un schisme, il fut, tant à l'Assemblée que dans l'exercice de ses fonctions de commandantgénéral, l'apôtre et le défenseur de la liberté et de l'égalité des cultes; il protégea hautement celui-là même qui était le plus impopulaire et qu'on prati– quait dans sa propre famille; aussi reçut-il les remercîmens de prêtres non assermentés, et de plusieurs couvens de religieuses, où on faisait des prières pour Lafayette; il parla en faveur des propriétaires hommes de couleur. « L'assemblée nationale, dit-il, convo» que les colons pour délibérer sur leurs intérêts; » n'est-il pas évident que les hommes libres pro>> priétaires, cultivateurs, contribuables d'une co»lonie, sont colons? Or, ceux dont il est ques

>>tion sont contribuables, cultivateurs, proprié>> taires, libres; sont-ils aussi des hommes? moi je le » pense, etc.»

Lafayette ne voulut accepter de la commune de Paris, ni dédommagement, ni appointemens, tout en déclarant cependant qu'il ne mettait pas plus d'importance à les refuser qu'à les recevoir. Le public a su, pour la première fois, par les Mémoires, de Bouillé, qu'il avait refusé le bâton de maréchal, l'épée de connétable, et même la lieutenance-générale du royaume; offres positives et plus d'une fois renouvelées. C'est ainsi que, dans les assemblées populaires de l'Hôtel-de-Ville, et particulièrement à l'occasion d'une motion spéciale de l'abbé Fauchet, il avait repoussé les propositions de dictature et de commandement-général des citoyens armés. Il alla plus loin à l'époque de la grande fédération de 90, sachant que toutes les députations arrivaient avec le projet de lui conférer ce commandement général, il se hâta de faire une motion à l'effet d'obtenir un décret tendant à ce que personne ne pût être investi du commandement des gardes nationales de plus d'un département, ou même d'un district. Un jour que, revenant de passer une revue, il était reconduit à l'Assemblée, au bruit des acclamations d'une foule immense et ivre d'enthousiasme, il saisit cette occasion pour déclarer à la tribune sa détermination formelle de rentrer dans la classe des simples citoyens, aussitôt que la constitution serait terminée.

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Dans la fameuse séance où fut proclamée l'abo¬

lition des titres nobiliaires, Lafayette appuya vivement cette proposition; il s'opposa même à toute exception en faveur des princes du sang, et il insista pour que le principe constitutionnel d'égalité entre les citoyens fût constaté sur-le-champ.

Le 14 juillet 1790, major-général de la fédération dont le Roi était le chef, Lafayette prêta, sur l'autel de la Patrie, le serment civique, au nom de quatre millions de gardes nationaux représentés par quatorze mille députés. La popularité dont il jouissait éclata à cette époque, et surtout à cette occasion solennelle, avec un enthousiasme qui lui fit dire dans un discours adressé aux fédérés : « Que l'ambition n'ait » pas de prise sur vous; aimez les amis du peuple >> mais réservez l'aveugle soumission pour la loi, et >> l'enthousiasme pour la liberté. Pardonnez ce con>> seil, messieurs, vous m'en avez donné le droit >> glorieux lorsque, réunissant tous les genres de fa>> veur qu'un de vos frères puisse recevoir de vous, >> mon cœur, au milieu de sa délicieuse émotion, n'a » pu se défendre d'un mouvement d'effroi. » — En prenant congé de lui, les députations lui firent ainsi leurs adieux : «< Les députés des gardes nationales de >> France se retireront avec le regret de ne pouvoir >> vous nommer leur chef; ils respecteront la loi cons» titutionnelle qui arrête en ce moment l'impulsion » de leurs cœurs, et, ce qui doit vous couvrir à ja» mais de gloire, c'est que vous-même avez provo» qué cette loi, c'est que vous-même avez prescrit >> des bornes à notre reconnaissance. »>

Dans la journée du 28 février 1791, après avoir réprimé une émeute excitée à Vincennes dans le but de l'attirer hors de Paris, lui en fermer les portes, et même attenter à ses jours, Lafayette revint au château, où s'était formé, dans les appartemens et par des passages intérieurs, un rassemblement armé, auquel on a donné le nom de chevaliers du poignard. Les murmures de la garde nationale de service avaient suffi pour dissiper cette étrange réunion dont le Roi lui-même blàma l'imprudence et sentit le danger. La présence de Lafayette démentit le bruit de sa mort déjà répandu. Il demanda que les armes déposées, et parmi lesquelles il y avait effectivement des poignards, fussent livrées à la garde nationale, et un ordre du jour annonça que les chefs de la domesticité, pour nous servir de ses expressions, avaient reçu l'injonction de ne plus souffrir de pareilles entreprises. C'est ainsi qu'il eut continuellement à défendre la liberté et l'ordre public contre les complots et les efforts, souvent simultanés, quelquefois combinés, des diverses factions qui, depuis, et lorsque les institutions régulières furent enfin établies, firent une si violente et si funeste explosion.

Le 11 avril de la même année, une émeute, évidemment préparée dans l'ombre, s'étant opposée au voyage ordinaire du Roi à Saint-Cloud, Lafayette fut, pour la première et la seule fois, mécontent de la garde nationale de service; il le fut aussi des autorités civiles et de la cour; il donna sa démission. La commune en corps et tous les bataillons réunis al

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