Page images
PDF
EPUB

mer, des partis en présence et tous les élémens d'une guerre civile qu'allaient couronner peut-être les dévastations de la guerre étrangère. Mais pour les Bourbons, quelle différence! Quelques vanités humiliées, quelques ambitions trompées étaient les seuls obstacles qu'ils eussent à vaincre; mais à côté de ces résistances individuelles, toute la force morale de la France, le torrent des opinions et un besoin universel de calme après vingt-cinq ans de tempête. Que fallait-il faire pour adapter la liberté à cette admirable disposition des esprits? Rien autre chose qu'épouser franchement les principes généreux d'une révolution dont le peuple avait éprouvé encore plus de violences que de bienfaits. Que fit-on au contraire? A peine assise sur un trône tout humide du sang de Louis XVI, la famille de ce prince avait déjà produit des factions et des calamités publiques; tous les vieux préjugés, tous les intérêts fondés sur l'erreur relevaient une tête insolente : on marchait à front découvert à toutes les iniquités du dernier siècle : tel était le but de tous les actes; l'esprit de tous les discours et de tous les écrits qui signalèrent la courte existence de la première Restauration.

La force des choses amena le résultat que le simple bon sens faisait prévoir. Un esquif apparut sur les côtes de la Provence, et ce trône à racines de huit siècles, entouré d'un peuple et d'une armée, s'écroula devant un seul homme que protégeaient des souvenirs de gloire, mais que l'assentiment de la nation n'appelait plus à elle. Je ne parlerai pas du règne des Cent

Jours. La liberté, reniée une seconde fois par

Bona

parte, ne voulut plus se ranger sous sa dictature; la nation se retira de lui, et un jour, un combat malheureux, firent contre ce grand capitaine ce que trois années de revers et vingt batailles perdues avaient à peine pu faire, tant que la nation lui avait prêté quelque appui; ainsi périt Bonaparte, comme périra toujours en France l'œuvre de l'égoïsme et de l'ambition.

Ici commence un nouvel ordre de faits dont il faut parcourir les sommités, pour avoir l'intelligence de la crise qui a déterminé notre émancipation. Je ne rappellerai point ces premières années de sanglante réaction et de terrorisme royal, durant lesquelles le sang le plus pur de la France coula sur l'échafaud. On ne sait que trop de combien de plaies et de chaînes les Bourbons couvrirent alors notre malheureuse patrie, et ce n'est point de si tôt que l'image du Roi trèschrétien, dévorant ses enfans, comme le Saturne des Carthaginois, s'effacera de la mémoire des Français. Je ne veux m'arrêter que sur les traits généraux du vaste plan de contre-révolution dont les ordonnances du 25 juillet n'étaient que le complément.

La première atteinte portée à la Charte de 1814, consécration informe des principes proclamés par l'Assemblée constituante, fut l'ordonnance en vertu de laquelle Louis XVIII changea, de son chef, les conditions primitives de l'électorat et de l'éligibilité. Dès lors, chaque jour vit naître un nouveau projet de contre-révolution. On commença par établir deux

gouvernemens dans l'état : l'un ostensible et destiné à figurer les formes du gouvernement représentatif; l'autre occulte et agissant despotiquement sur toutes les branches de l'administration. Toutefois la contrerévolution ne faisait encore que marcher à son but; elle voulut y courir. Alors fut formé le ministére Villèle dans le but évident d'accomplir la contre-révolution, en la fortifiant de toute l'énergie de sept individus couverts de stigmates et dévoués au parti.

Alors, aussi, eut lieu cette guerre impie qui offrit au monde le spectacle d'une armée française allant étouffer en Espagne les premiers germes de cette liberté pour laquelle elle avait elle-même long-temps combattu. Dès ce moment la politique réactionnaire de la Restauration ne connut plus de bornes. L'ordonnance d'Andujar fut aussitôt révoquée que publiée. La révolution avait frappé le fanatisme au cœur, en faisant rentrer le clergé dans le domaine de l'Évangile; on lui donna satisfaction par une loi de sang, la loi du sacrilége. La Charte avait consacré l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux; on jeta un milliard à la voracité des émigrés. Elle garantissait la liberté de la presse; on tenta de l'abolir par la loi d'amour. Le jury était l'unique palladium de la vie et de l'honneur des citoyens; on essaya de le supprimer par un projet de loi qui lui enlevait la connaissance des crimes de baratterie et de piraterie. Un autre projet de loi sur les écoles de Médecine et les jurys médicaux ne laissait plus de doute sur l'intention d'asservir successivement toutes

les professions libérales. Enfin, quelques velléités d'indépendance s'étaient manifestées dans la Chambre des pairs; on se hâta de la peupler des créatures de la Restauration et des plus serviles débris du sénat de l'Empire.

Les choses en étaient là, lorsque la contre-révolution hautement avouée, tous les intérêts menacés, l'indignation de tout ce qui avait un cœur droit, et, surtout, le cri de l'opinion publique, firent craindre au ministère la perte de la majorité qu'il s'était créée dans les Chambres, à l'aide de tant de fraudes et de corruptions; il convoqua les colléges électoraux d'où sortit, malgré tous ses efforts, la Chambre plus populaire de 1828.

Vaincue dans les élections, la Restauration fit de l'hypocrisie; l'administration Villèle fut renversée; le Roi vint, à l'ouverture de la session, balbutier des paroles de liberté, promettre un meilleur avenir; et la France, toujours follement confiante, eut foi en ses promesses, pardonna et espéra. Le ministère Martignac ramena la politique ostensible du gouvernement dans des voies plus libérales, et il est juste de dire que son premier soin fut de donner au pays quelques-unes des garanties qu'il réclamait en vain depuis si long-temps. La loi électorale, destinée à réprimer les fraudes ministérielles qui avaient si profondément gangrené la représentation nationale; la loi sur la liberté de la presse, quoiqu'imparfaite puisqu'elle déclinait en cette matière la juridiction du jury; enfin, les ordonnances du 16 juin contre les con

grégations religieuses, donnèrent à la session de 1828 un caractère réparateur, et concilièrent au pouvoir l'intérêt et l'appui de la nation. On se rappelle ce voyage d'Alsace, durant lequel les populations, oublieuses des ressentimens les plus légitimes, venaient payer de leurs hommages le mal qu'on avait cessé de leur faire. Ce simple changement de ministère semblait avoir rendu la nation à l'exercice de ses droits, et le trône à l'affection des Français. Il restait bien à faire plusieurs conquêtes légales, mais le gouvernement représentatif se montrait avec ses caractères essentiels, et le peuple était persuadé qu'il ne s'agissait plus que de les développer.

des

Rien ne paraissait donc plus facile que de nous affermir dans les voies nationales dans lesquelles la législature et le ministère venaient de rentrer. Mais si les Chambres et les dépositaires du pouvoir étaient de bonne foi, il n'en était pas de même de la Cour. Celleci, toujours dominée par une idée fixe, n'avait fait qu'ajourner son projet favori de contre-révolution. Soupçonneuse et dissimulée, elle ne voyait que ennemis dans les ministres que la force des circonstances lui avait seule imposés ; en dehors du cabinet se formaient des conseils qui en paralysaient l'action et rendaient sa marche indécise et pénible. La session de 1829 s'écoula dans de nouveaux tiraillemens auxquels il fut facile de reconnaître les complots qui s'ourdissaient dans l'ombre. La séparation des Chambres laissa le champ libre à la contre-révolution. Aussi les députés étaient-ils à peine rentrés dans leurs

« PreviousContinue »