Page images
PDF
EPUB

186

>>

LAFAYETTE AVANT LA RÉVOLUTION DE 1830.

antique métropole de l'industrie, courageuse enne>> mie de l'oppression! Puissent sa liberté, sa dignité, >> sa prospérité, être solidement fondées sur la pleine jouissance des droits naturels et sociaux qu'elle in>> voqua dans tous les temps! >>

Le lendemain, à sept heures, le général Lafayette monta en voiture et quitta la ville de Lyon. Des torrens de pluie n'empêchèrent point la foule de se presser, une fois encore, sur son passage pour le saluer d'un dernier adieu. Une escorte de cavalerie l'accompagna jusqu'à deux lieues de la ville; et là finit cette longue série de triomphes populaires à laquelle l'illustre citoyen mit lui-même un terme, en se dérobant aux pressantes sollicitations des députations de Saint-Étienne et de Châlons-sur-Saône, qui étaient venues l'inviter à visiter leurs villes : après leur avoir exprimé sa profonde reconnaissance, le général se rendit directement à sa terre de La Grange, par une autre route que celle sur laquelle l'attendaient de nouvelles populations et de nouveaux hommages.

L'impulsion patriotique, imprimée par la présence de Lafayette dans toute cette partie de la France, était si grande, que la Cour fut au moment d'envoyer par le télégraphe l'ordre de l'arrêter à Lyon; dès lors, en effet, la révolution était commencée. Cependant on se ravisa, sans néanmoins se faire illusion sur le prodigieux effet produit par ce voyage.

PENDANT

LA RÉVOLUTION DE 1830.

wwwwwww www

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

Lafayette à La Grange. -Coup d'œil sur la politique de la Restauration. - Progrès de la contre-révolution. Ministère Villèle. Ministère Polignac. Ministère du 8 août. Situation de la France au moment de la publication des ordonnances du 25 juillet.

Depuis 1800, époque de sa rentrée en France, Lafayette avait passé la plus grande partie de son temps dans sa terre de La Grange, héritage de sa belle-mère, la duchesse d'Ayen, immolée sur l'échafaud de la Terreur. Le décret qui ordonnait la restitution des biens des condamnés lui avait rendu ce débris d'un grand patrimoine dont la tourmente révolutionnaire avait dévoré tout ce que lui-même n'avait point sacrifié aux intérêts de la liberté, qu'il voulut toujours

[ocr errors]

servir de sa fortune autant que de sa vie. C'est là qu'au sein de sa nombreuse famille, heureux du bonheur que sa paternelle sollicitude répand sur tout ce qui l'environne, entouré d'amis et riche des bénédictions du pauvre, Lafayette se livrait à son goût dominant pour l'agriculture, aussi étranger aux Tuileries de la Restauration qu'il l'avait été à celles de l'Empire (1).

Je n'essaierai point de décrire cette antique résidence de La Grange ouverte à toutes les infortunes et à la porte de laquelle le malheur ne frappa jamais en vain. Tant de patriotes, de philanthropes, d'amis de l'humanité, de toutes les opinions et de tous les pays, ont, comme moi, été s'asseoir au foyer de M. de Lafayette, que la simplicité, la franche hospitalité, les actes continuels mais toujours cachés de bienfaisance, les progrès d'industrie agricole et d'économie domestique dont on jouit, dont on s'enivre dans cet heureux séjour, sont connus de tout le monde : l'hospitalité patriarcale de La Grange est devenue proverbiale.

(1) Charles X disait souvent : « Il n'y a que deux hommes dans la révolution, Lafayette et moi, qui soient restés inėbranlables dans leurs principes. » Et en effet, la révolution de juillet a fourni une nouvelle preuve de la tenacité des principes de ces deux contemporains. Aussi, les dernières paroles que le roi déchu adressa au capitaine qui le conduisit en Angleterre furent-elles : « C'est ce vieux républicain de Lafayette qui a fait tout cela. » C'est bien là le caractère de cet incorrigible parti, de ne voir jamais que des noms-propres dans les mouvemens des masses populaires.

J'arrive à cette subite convulsion du corps social, dans laquelle l'homme des Deux-Mondes va se montrer ce qu'il fut toujours, défenseur aussi zélé de l'ordre que promoteur ardent de la liberté de son pays. Mais, avant de le suivre dans la nouvelle carrière qui s'ouvre devant lui, jetons un rapide coup d'œil sur ces événemens si imprévus et si grands qu'ils sortent de toute comparaison et de toute règle.

Jamais plus d'humiliations ni d'outrages n'avaient allumé la colère d'un peuple et exalté dans son âme le sentiment de la liberté. Ma mémoire ne me retrace rien, mon imagination ne me peint rien de plus déloyal et de plus absurde en même temps, que les quinze dernières années du règne de ces Bourbons que la France avait couverts de sa miséricorde, et révus sans haine comme sans amour sur le premier trône de l'univers. Et si c'est pour la première fois dans le monde qu'après quinze ans de patience une nation de trente-deux millions d'hommes répartis sur un vaste

territoire, diversifiés par leurs mœurs, leurs besoins,

leurs défauts, leurs vertus, et surtout par les degrés d'une civilisation très-inégale, s'est trouvée réunie dans un sentiment unanime de réprobation, il est juste de dire que jamais non plus on ne vit famille sou veraine plus soigneuse d'insulter à la raison publique et de révéler en elle une nature étrangère à son siècle. Que de vieux préjugés rajeunis! que de complots médités! d'iniquités commises dans ce court intervalle de quinze années! Tant de turpitude et de vanité a vraiment quelque chose de surhumain. Reportons-nous

à l'époque du premier retour des Bourbons: quelle admirable situation pour un règne pacifique et réparateur.

La France telle que la retrouva Louis XVIII n'était plus cette nation exaltée par le triomphe et les mouvemens des révolutions, que 93 avait laissée suspendue entre la souveraineté populaire qui n'existait pas encore, et le despotisme monarchique qui n'existait plus. L'esprit de turbulence démocratique s'était évanoui de lassitude; le radicalisme républicain s'était modifié dans le mouvement rapide des opinions populaires; et les seuls sentimens qui eussent traversé intacts la faiblesse du Directoire, les déceptions du consulat et les gloires de l'Empire, étaient l'amour épuré de la révolution de 89, la haine des excès de 93, et une réprobation générale du joug brillant de Bonaparte. Ce soldat heureux avait trouvé le pouvoir aux prises avec l'anarchie, et son despotisme pouvait, jusqu'à un certain point, s'appuyer sur la nécessité de mettre fin à cette sanglante lutte. La Restauration avait, au contraire, trouvé la liberté aux prises avec le despotisme, et toutes les intelligences, tous les intérêts en travail pour revenir aux principes de 89, et se fixer dans la constitution de 91. A Dieu ne plaise que je veuille concilier de fâcheuses condescendances avec mon devoir d'écrivain patriote! Napoléon trahit la sainte cause de la liberté; c'est un fait démontré. Cependant, il est juste de lui tenir compte des circonstances et de dire qu'il eut au moins pour prétexte de son usurpation de la souveraineté populaire l'anarchie à étouffer, l'ordre à rétablir, des craintes à cal

« PreviousContinue »