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Bientôt après, Lafayette proposa, à l'Hôtel-deVille, l'institution régulière de la force armée sous le nom de garde nationale. L'antique couleur blanche fut unie aux couleurs de la ville, bleu et rouge, « Messieurs, dit-il, je vous apporte une cocarde qui >> fera le tour du monde, et une institution à la fois >> civique et militaire, qui changera le système de >> la tactique européenne et réduira les gouverne» mens absolus à l'alternative d'être battus s'ils ne >> l'imitent pas, et renversés s'ils osent l'imiter. » La garde nationale de tout l'empire s'organisa à l'instar de celle de Paris, et sous l'influence de son chef qui, cependant, refusa les commandemens spéciaux que des députations et des adresses lui offraient de toutes part.

On voit dans les mémoires de Bailly que, dès le commencement de septembre 1789, Lafayette obtint, non sans difficulté et par son influence personnelle, l'envoi d'une députation de la commune à l'assemblée nationale, pour demander quelques innovations immédiates dans la jurisprudence criminelle, telles que la procédure rendue publique, la communication des pièces, des défenseurs accordés aux accusés, la libre communication des prévenus avec leurs familles et leurs amis, la confrontation des témoins réformes si nécessaires, et dont profitèrent les trois seuls procès politiques qui eurent lieu dans ces premières années. M. de Sèze, avocat du baron de Bezenval en fit un magnifique éloge, qu'on retrouve encore dans les mémoires et journaux du temps.

Cependant, tandis qu'à Paris les magistrats du peuple et la garde nationale s'épuisaient en efforts pour maintenir l'ordre public, on conspirait de nouveau à Versailles. Le signal fut donné dans le fameux repas des gardes du corps; on y foula aux pieds la cocarde tricolore; les dames y distribuèrent des cocardes blanches; on y cria à bas la nation! Le 5 octobre, ces provocations, la disette de pain, les intrigues des factieux produisirent à l'Hôtel-de-Ville la plus violente émeute. Lafayette contint pendant huit heures les flots de cette foule immense qui, de toutes parts, criait: à Versailles et du pain! Mais apprenant que de divers autres points de la capitale, plusieurs milliers de furieux se portaient sur Versailles avec des armes et du canon, il demanda et obtint de la commune l'ordre de s'y rendre lui-même avec une partie de la garde nationale. En arrivant à Versailles, il fit renouveler le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi. Ayant demandé, pour lui seul et les deux commissaires de la commune, l'ouverture des cours du chateau, remplies alors par le régiment des gardes suisses, il s'avança dans les appartemens encombrés de monde, au milieu d'un morne silence qui ne fut rompu que par ce cri poussé par un des spectateurs : Voilà Cromwell! « Cromwell, répondit Lafayette, « ne serait pas entré seul ici. » Ses procédés envers le Roi et les paroles qu'il lui adressa furent trouvés, même par les courtisans, pleins d'affection et de respect. Cependant Louis XVI ne lui confia que la garde des postes qu'avaient occupés les ci-devant gardes

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françaises. S'emparer des autres points gardés, eût paru un attentat inoui. Le château, la cour intérieure, le côté des jardins restèrent donc confiés aux gardes du corps et aux Suisses. A deux heures du matin, après avoir visité ses postes, Lafayette voulut parler de nouveau au Roi. On lui dit qu'il dormait. Après cinq heures, la tranquillité régnant partout, Lafayette exténué de besoin et de fatigue, se rendit à son quartier-général qui avait été établi tout près du château, pour recevoir les rapports, écrire à Paris, prendre quelque nourriture et un peu de repos. Tout-à-coup un officier de ronde accourt vers lui. Une troupe de brigands cachés dans les bosquets du jardin, avait fait une irruption soudaine dans le palais, tué deux gardes du corps, et pénétré jusqu'aux appartemens de la Reine qui, grâce à la courageuse résistance de deux de ses gardes, eut le temps de se sauver chez le Roi.

Ordonner au premier poste de courir aux appartemens qui, malheureusement, se trouvèrent barricadés de ce côté, obstacle qui favorisa la fuite des brigands, sauter sur le premier cheval qui s'offrit à lui, et, pendant que les grenadiers nationaux sauvaient la famille royale et les gardes du corps (dont, soit dit en passant, tous les officiers, à l'exception de quatre, avaient été se coucher), arracher à une multitude qui accourait de toutes parts d'autres gardes du corps saisis dans les rues : telle fut la conduite de la garde nationale et de son chef. Resté seul au milieu d'une foule effrénée, un de ces furieux de

manda la tête de Lafayette: il ne la sauva qu'en ordonnant aux autres d'arrêter ce forcené.

Le Roi ayant tenu conseil et annoncé sa détermination de se rendre à Paris, Lafayette, inquiet des démonstrations qui menaçaient encore la Reine, osa lui proposer de venir seule avec lui sur le balcon; et là, ne pouvant se faire entendre de cette multitude, il eut l'heureuse idée de baiser la main de Marie-Antoinette. « Vive la reine, vive Lafayette, » cria-t-on de toutes parts. Il conduisit ensuite sur ce même balcon un garde du corps, et l'embrassa, « Vivent les gardes du corps », s'écria-t-on encore. Rentré dans le cabinet, madame Adélaïde, tante de Louis XVI, l'appela, en l'embrassant, le sauveur du Roi et de sa famille. Ce cri de sauveur fut répété les premiers jours par la cour, les gardes du corps et tous les partis. Du reste, jusqu'à leur mort, le Roi, la Reine et madame Élisabeth lui ont rendu publiquement la justice de dire que c'est à lui qu'ils avaient dû leur salut dans cette mémorable circonstance.

La cour se transporta à Paris. Il est faux que les têtes des malheureux gardes aient été portées devant la voiture royale; il est faux aussi que le duc d'Orléans ait été aperçu au château dans ces momens de désordres; il n'y arriva que lorsque tout était fini; mais son nom avait été compromis, et cela suffisait pour que, dans une conférence que Mirabeau appela trèsimpérieuse d'une part, et très-résignée de l'autre, Lafayette engageât le prince à sortir pour quelque temps du royaume.

Lafayette souhaitait que les gardes du corps partageassent le service du palais avec la garde nationale. L'aristocratie des chefs s'y opposa, et d'ailleurs la cour voulait que le Roi parût être prisonnier. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que furent réprimés à la fois un complot contre-révolutionnaire, et l'horrible attentat d'une faction coupable.

D'autres actes de fermeté contribuèrent au prompt rétablissement de l'ordre public. Des séditieux qui avaient assassiné un boulanger, furent jugés et pendus; un attroupement de soldats révoltés fut entouré, dépouillé de l'uniforme et conduit aux prisons de SaintDenis. Enfin, quoique Lafayette eût souvent des mouvemens populaires à réprimer, et plus encore à calmer par la persuasion, Paris jouit pendant deux ans d'une tranquillité étonnante au sein d'une si grande fermentation.

Les débats de l'Assemblée sont une preuve irrécusable de la liberté des opinions. Celle de la presse, s'exerçant surtout contre les hommes du pouvoir, fut excessive dans tous les sens, depuis les journaux et pamphlets contre-révolutionnaires jusqu'aux écrits de ce Marat, savant assez connu, et médecin attaché à la maison du comte d'Artois, qui, parti aristocrate pour Londres, deux mois avant le 14 juillet, revint, un mois après, démagogue furieux et dénonciateur quotidien de Bailly et Lafayette. Il n'y eut, au milieu de ce conflit que trois hommes traduits en jugement pour crime d'état : Bezenval qui fut acquitté, ainsi que le prince de Lambesc contumace et Favras

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