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ment français, et de réconcilier ses deux patries. Néanmoins, quoique dans sa lettre adressée à d'Archenoldz, de sa prison d'Olmütz il écrivît : L'Amérique, « cette patrie de mon cœur, me reverrait avec joie ; » quoique le président Jefferson l'eût pressé d'accepter le gouvernement provisoire et générateur de la Louisiane, et que des invitations pressantes lui arrivassent de toutes les portions des États-Unis, il fut retenu en Europe par le sentiment qui l'y a dernièrement ramené l'espoir d'être utile à la liberté et à son pays.

« Votre proposition,» répondait-il au président Jefferson (1), « réunit tous les avantages de dignité, » de richesse, et de sûreté, et je ne me sens pas » moins animé qu'il y a trente ans, par le désir de » marcher avec la liberté américaine dans ses pro» grès à travers tout le continent. Mais vous, mon » cher ami, vous avez aussi connu et même partagé » mes espérances pour la liberté française et par v suite européenne. En Amérique, la cause du genre >>> humain est gagnée et assurée ; rien ne peut arrê»ter, changer ou souiller son cours. Ici tout le » monde la regarde comme perdue et sans ressource. » Mais prononcer moi-même cet arrêt, le proclamer » en quelque sorte par une expatriation finale, se>> rait une concession tellement contraire à ma na» ture espérante, qu'à moins d'y être absolument » forcé, je ne sais comment le terrain, tel désavan(1) Lettre du 16 vendémiaire, 8 octobre 1804, puis la mort de son illustre ami.

connue de

>> tageux qu'il soit, encore moins l'espoir, tel faible » qu'il puisse être, pourraient être totalement aban>> donnés par moi. Ce peut n'être qu'une faiblesse » de cœur; mais parmi les usurpations actuelles » d'un pouvoir sans contrôle, et en cas de renverse>> ment, au milieu des dangers d'un jacobinisme mis >> en rage, et les dangers encore plus grands au» jourd'hui, d'une aristocratie royale, plus absurde >> et non moins sanguinaire, je ne désespère pas de >> voir obtenir des modifications moins défavorables » à la dignité et à la liberté de mes compatriotes. Et » lorsque je considère la prodigieuse influence des >> doctrines françaises sur les futures destinées du » monde, je pense qu'il ne me convient pas, à moi, » un des promoteurs de cette révolution, de recon»> naître l'impossibilité de la voir, même de notre » temps, rétablie sur sa véritable base d'une géné>> reuse, vertueuse, en un mot, d'une américaine >> liberté. »

Au mois de février 1824 le président des ÉtatsUnis transmit au général Lafayette une résolution unanime des deux Chambres du congrès, exprimant << l'attachement de la nation toute entière, qui dési>> rait ardemment de le revoir. » Un vaisseau de 74, le North-Carolina, fut désigné pour aller le chercher aussitôt qu'il aurait indiqué l'époque de sa visite. Mais Lafayette, accompagné de son fils et son secrétaire, s'embarqua simplement sur un des paquebots passage, le Cadmus, et arriva le 25 août dans la baie de New-York.

de

Je ne retracerai pas ici les honneurs, les fêtes, les témoignages enthousiastes et unanimes d'affection, qui, depuis le canon du fort Lafayette à son arrivée dans ce port, jusqu'au salut d'adieu du Brandywine à son retour au Havre, lui furent prodigués tous les jours, presqu'à toutes les heures, pendant un voyage de plus de cinq mille lieues et de quatorze mois durant lesquels il fut presque continuellement en marche dans les vingt-quatre États de l'Union. Accueilli aux limites des états, des comtés, des villes et villages, reconduit jusqu'à l'extrémité du territoire, par les gouverneurs et les magistrats respectifs; admis en cérémonie au sein des diverses législatures; harangué publiquement par les autorités constitutionnelles, les universités, les corps du clergé, du barreau, par toutes les sociétés savantes et les commissions populaires expressément nommées pour fêter l'hôte de la Nation; improvisant des réponses à ces discours, tout empreints de l'éloquence du talent et du coeur; trouvant à chaque pas des arcs de triomphe, des banquets splendides, des bals magnifiques, des illuminations et le concours des populations entières; au son des cloches, des canons, de la musique et des acclamations générales, depuis les villes de deux cent milles âmes jusqu'aux moindres villages où accouraient les populations des contrées voisines: telles furent les circonstances qui signalèrent ce triomphe de plus d'une année. Et quelles ne durent pas être les émotions de Lafayette dans toutes les phases de cette marche à la fois triomphale

et paternelle, en voyant une population de près de douze millions d'àmes, hommes, femmes et enfans de tout âge, de tout état, se lever au devant de lui avec les transports unanimes d'une seule famille ; en retrouvant tous les restes survivans de ses compagnons d'armes, qu'on avait l'attention d'envoyer chercher au loin pour qu'aucun d'eux ne fût privé, par la vieillesse, les blessures ou les infirmités, du bonheur de le revoir; en recevant aussi, après tant de mécomptes et de calomnies, l'approbation individuelle, publique, officielle d'un grand peuple sanctionnant dans toutes ses parties la conduite tenue par ce disciple de l'École Américaine, ainsi qu'il aime à s'appeler lui-même, pendant les orages révolutionnaires de l'Europe. De quelles émotions délicieuses son âme dut être pénétrée en contemplant les prodiges de population, de prospérité, d'industrie, de liberté pratique, de félicité générale et individuelle qui of fraient à l'univers un si bel exemple, et à lui-même une si évidente justification des principes et des travaux de sa vie tout entière! En voyant la beauté des villes, les ouvrages d'art, les canaux, l'agriculture, la marine, les établissemens militaires; en passant en revue, sous son habit de simple citoyen, ces nombreuses milices appelées sur son passage; en retrouvant couvertes de cités brillantes, de moissons, de manufactures, d'académies littéraires et scientifiques, ces immenses forêts à peine connues de son temps ! Devant lui, les rivalités locales, les distinctions de parti disparurent dans un sentiment commun; d'anciens

amis, que la politique avait désunis, se réconcilièrent pour le fêter ensemble. Ce voyage donna à l'esprit public des États-Unis une impulsion utile et salutaire, et si l'on considère l'étendue, l'unanimité, la durée et le nombre de ces témoignages spontanés et désintéressés d'amour, de souvenir et d'estime, on avouera que l'histoire ne présente rien qui puisse être comparé à ce triomphe glorieux et pacifique. Les détails de cette mémorable visite se trouvent dans tous les journaux américains, et en partie dans les journaux d'Europe, ainsi que dans plusieurs ouvrages publiés aux États-Unis. Les poètes, les orateurs les ont célébrés; quelques scènes, telles que l'arrivée à New-York, le bal de six mille personnes donné dans cette ville, la réception au congrès, le tombeau de Washington, ont été tracées par M. Cooper avec le rare talent qui le caractérise. Un ouvrage français sur ce sujet avait déjà paru lorsque M. Levasseur, ancien secrétaire et compagnon de voyage du Général, en donna une relation plus complète en deux volumes. Là on voit Lafayette et son fils visitant le tombeau de leur père adoptif, posant la première pierre de divers monumens élevés à ses compagnons d'armes, Greene, Kalb, Pulawski, et de cet édifice de Bunkershill, sur l'emplacement duquel, au milieu de plus de cent mille spectateurs, l'éloquent M. Webster adressait les remerciemens d'une nation libre aux vétérans de la Révolution, à la tête desquels paraissait Lafayette, le seul général survivant de cette époque. C'est en ce même jour que, dans un banquet

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