Page images
PDF
EPUB

corps ne fût pas assez nombreux pour un jugement de cette importance, j'aimerais mieux qu'on lui donnât des adjoints tirés des servans d'Etat, que des gardiens des lois. Enfin, je voudrais que ce tribunal ne fut présidé par aucun homme en place, mais par un maréchal tiré de son corps, et qu'il élirait lui-même comme ceux des diètes et des confédérations: tant il faudrait éviter qu'aucun intérêt particulier n'influât dans cet acte, qui peut devenir très-auguste ou très-ridicule selon la manière dont il y sera procédé.

En finissant cet article de l'élection et du jugement des rois, je dois dire ici qu'une chose dans vos usages m'a paru bien choquante et bien contraire à l'esprit de votre constitution; c'est de la voir presque renversée et anéantie à la mort du roi, jusqu'à suspendre et fermer tous les tribunaux; comme si cette constitution tenait tellement à ce prince, que la mort de l'un fût la destruction de l'autre. Eh, mon Dieu! ce devrait être exactement le contraire. Le roi mort, tout devrait aller comme s'il vivait encore; on devrait s'appercevoir à peine qu'il manque une pièce à la machine, tant cette pièce ctait peu essentielle à sa solidité. Heureusement

cette inconséquence ne tient à rien. Il u'y a qu'à dire qu'elle n'existera plus, et rien au surplus ne doit être changé: mais il ne faut pas laisser subsister cette étrange contradiction; car si c'en est une déjà dans la présente constitution, c'en serait une bien plus grande encore après la réforme.

CHAPITRE X V.

VOILA

Conclusion.

OILA mon plan suffisamment esquissé. Je m'arrête. Quel que soit celui qu'on adoptera, l'on ne doit pas oublier ce que j'ai dit dans le contrat social de l'état de faiblesse et d'anarchie où se trouve une nation, tandis qu'elle établit ou réforme sa constitution. Dans ce moment de désordre et d'effervescence, elle est hors d'état de faire aucune résistance, et le moindre choc est capable de tout renverser. Il importe donc de se ménager à tout prix un intervalle de tranquil1té, durant lequel on puisse sans risque agir sur soi-même et rajeunir sa constitution. Quoique les changemens à faire dans la vôtre ne soient pas fondamentaux et ne paraissent pas

[ocr errors]
[ocr errors]

fort grands, ils sont suffisans pour exiger cette précaution, et il faut nécessairement un certain temps pour sentir l'effet de la meilleure réforme, et prendre la consistance qui doit en être le fruit. Ce n'est qu'en supposant que le succès réponde au courage des confédérés et à la justice de leur cause qu'on peut songer à l'entreprise dont il s'agit. Vous. ne serez jamais libres tant qu'il restera un seul soldat russe en Pologne, et vous serez toujours menacés de cesser de l'être, tant que la Russie se mêlera de vos affaires. Mais ss vous parvenez à la forcer de traiter avec vous comme de puissance à puissance, et non plus comme de protecteur à protégé, profitez alors de l'épuisement où l'aura jeté la guerre de Turquie pour faire votre œuvre avant qu'elle puisse la troubler. Quoique je ne fasse aucun eas de la sûreté qu'on se procure au-dehors par des traités, cette circonstance unique vous forcera peut-être de vous étayer, autant qu'il se peut, de cet appui, ne fût-ce que pour connaître la disposition présente de ceux qui traiteront avec vous. Mais ce cas excepté ct peut-être en d'autres temps quelques traités de commerce ne vous fatiguez pas à de vaines négociations, ne vous ruinez pas en

ambassadeurs et ministres dans d'autres cours, et ne comptez pas les alliances et traités pour quelque chose. Tout cela ne sert de rien avec les puissances chrétiennes : elles ne connaissent d'autres liens que ceux de leur intérêt; quand elles le trouveront à remplir leurs engagemens, elles les rempliront; quand elles le trouveront à les rompre, elles les rompront; autant vaudrait n'en point prendre. Encore si cet intérêt était toujours vrai, la connaissance de ce qu'il leur convient de faire pourrait faire prévoir ce qu'elles feront. Mais ce n'est presque jamais la raison d'Etat qui les guide, c'est l'intérêt momentané d'un ministre, d'une fille, d'un favori; c'est le motii qu'aucune sagesse humaine n'a pu prévoir qui les détermine, tantôt pour, tantôt contre leurs vrais intérêts. De quoi peut-on s'assurer avec des gens qui n'ont aucun système fixe, et qui ne se conduisent que par des impul sions fortuites ? Rien n'est plus frivole que la science politique des cours comme elle n'a nul principe assuré, l'on n'en peut tirer aucune conséquence certaine, et toute cette belle doctrine des intérêts des princes est un jeu d'enfant qui fait rire les hommes sensés.

Ne vous appuyez donc avec confiance ni

sur vos alliés ni sur vos voisins ; vous n'en avez qu'un sur lequel vous puissiez un peu compter. C'est le grand-seigneur, et vous ne devez rien épargner pour vous en faire un appui : non que ses maximes d'Etat soient beaucoup plus certaines que celles des autres puissances. Tout y dépend également d'un visir, d'une favorite, d'une intrigue de sérail, mais l'intérêt de la Porte est clair, simple, il s'agit de tout pour elle, et généralement il y règne, avec bien moins de lumière et de finesse, plus de droiture et de bon sens. On a du moins avec elle cet avantage de plus qu'avec les puissances chrétiennes, qu'elle aime à remplir ses engagemens, et respecte ordinairement les traités. Il faut tâcher d'en faire avec elle un pour vingt ans, aussi clair qu'il sera possible. Ce traité, tant qu'une autre puissance cachera ses projets sera le meilleur peut-être, le seul garant que vous puissiez avoir, et dans l'état où la présente guerre laissera vraisemblablement la Russie, j'estime qu'il peut vous suffire pour entreprendre avec sûreté votre ouvrage; d'autant plus que l'intérêt commun des puissances de l'Europe, et sur-tout de vos autres voisins, est de vous laisser toujours pour bar

« PreviousContinue »