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grandes monarchies et la liberté des petites républiques; mais il faudrait pour cela renoncer à l'ostentation, et j'ai peur que cet article ne soit le plus difficile.

De toutes les manières d'asseoir un impôt, la plus commode et celle qui coûte le moins de frais est sans contredit la capitation; mais c'est aussi la plus forcée, la plus arbitraire, et c'est sans doute pour cela que Montesquieu la trouve servile, quoiqu'elle ait été la seule pratiquée par les Romains, et qu'elle existe encore en ce moment en plusieurs républiques, sous d'autres noms, à la vérité, comme à Genève où l'on appelle cela payer les gardes, et où les seuls citoyens et bourgeois payent cette taxe, tandis que les habitans et natifs en payent d'autres; ce qui est exactement le contraire de l'idée de Montesquieu.

Mais comme il est injuste et déraisonnable d'imposer les gens qui n'ont rien, les impositions réelles valent toujours mieux que les personnelles seulement il faut éviter celles dont la perception est difficile et coûteuse, et celles sur-tout qu'on élude par la contrebande qui fait des non-valeurs, remplit l'Etat de fraudeurs et de brigands, et corrompt la fidélité des citoyens. Il faut que

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l'imposition soit si bien proportionnée que l'embarras de la fraude en surpasse le profit. Ainsi jamais d'impôt sur ce qui se cache aisément, comme la dentelle et les bijoux, il vaut mieux défendre de les porter que de les entrer. En France on excite à plaisir la tentation de la contrebande et cela me fait croire que la ferme trouve son compte à ce qu'il y ait des contrebandiers. Ce système est abominable et contraire à tout bon sens L'expérience apprend que le papier tim-bré est un impôt singulièrement onéreux aux pauvres, gênant pour le commerce, qui multiplie extrêmement les chicanes et fait beaucoup crier le peuple par-tout où il est établi ; je ne conseillerais pas d'y penser. Celui sur les bestiaux me paraît beaucoup meilleur, pourvu qu'on évite la fraude, car toute fraude possible est toujours une source de maux. Mais il peut être onéreux aux con-tribuables en ce qu'il faut le payer en argent, et le produit des contributions de cette espèce est trop sujet à être dévoyé de sa destination.

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L'impôt le meilleur, à mon avis, le plus naturel et qui n'est point sujet à la fraude, est une taxe proportionnelle sur les terres

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et sur toutes les terres sans exception, comme l'out proposé le maréchal de Vauban et l'abbé de Saint-Pierre ; car enfin c'est ce qui produit qui doit payer. Tous les biens royaux, terrestres, ecclésiastiques et en roture doivent payer également, c'est-à-dire proportionnellement à leur étendue et à leur produit, quel qu'en soit le propriétaire. Cette imposition. paraîtrait demander une opération préliminaire qui serait longue et coûteuse, savoir un cadastre général. Mais cette dépense peut très-bien s'éviter, et même avec avantage, en asseyant l'impôt non sur la terre directement, mais sur son produit, ce qui serait encore plus juste ; c'est-à-dire, en établissant dans la proportion qui serait jugée convenable, une dîme qui se leverait en nature sur la récolte, comme la dîme ecclésiastique; et pour éviter l'embarras des détails et des magasins, on afferimerait ces dîmes à l'enchère comme fout les curés. En sorte que les particuliers ne seraient tenus de payer la dîme que sur leur récolte, et ne la payeraient de leur bourse que lorsqu'ils l'aimeraient mieux ainsi, sur un tarif réglé par le gouvernemeat. Ces fermes réunies pourraient être un objet de commerce par le débit des denrées

qu'elles produiraient, et qui pourraient passer à l'étranger par la voie de Dantzick ou de Riga. On éviterait encore par-là tous les frais de perception et de régie, toutes ces nuées de commis et d'employés si odieux au peuple, si incommodes au public; et ce qui est le plus grand point, la république aurait de l'argent sans que les citoyens fussent obligés d'en donner : car je ne répéterai jamais assez, que ce qui, rend la taille et tous les impôts onéreux au cultivateur est qu'ils sont pécuniaires, et qu'ils est premièrement obligé de vendre pour parvenir à payer.

CHAPITRE X I I.

DE

Système militaire.

E toutes les dépenses de la république, l'entretien de l'armée de la couronne est la plus considérable, et certainement les services que rend cette armée ne sont pas proportionnés à ce qu'elle coûte. Il faut pourtant, va-t-on dire aussitôt, des troupes pour garder l'Etat. J'en conviendrais, si ces troupes le gardaient en effet ; mais je ne vois pas

que cette armée l'ait jamais garanti d'aucune invasion, et j'ai grand'peur qu'elle ne l'en garantisse pas plus dans la suite.

La Pologne est environnée de puissances belliqueuses, qui ont continuellement sur pied de nombreuses troupes parfaitement disciplinées, auxquelles, avec les plus grands efforts, elle n'en pourra jamais opposer de pareilles sans s'épuiser en très-peu de tems, sur-tout dans l'état déplorable où celles qui la désolent vont la laisser. D'ailleurs on ne laisserait pas faire, et si avec les ressources de la plus vigoureuse administration, elle voulait mettre son armée sur un pied respectable, ses voisins attentifs à la prévenir l'écraseraient bien vîte avant qu'elle pût exécuter son projet. Non, si elle ne veut que les imiter, elle ne leur résistera jamais.

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La nation polonaise est différente de naturel, de gouvernement, de mœurs, de langage, non-seulement de celles qui l'avoisinent, mais de tout le reste de l'Europe. Je voudrais qu'elle en différât encore dans sa constitution militaire, dans sa tactique, dans sa discipline, qu'elle fût toujours elle et non pas une autre. C'est alors seulement qu'elle sera tout ce qu'elle peut être, et qu'elle ti

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