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tout rentre dans l'égalité: toute autre autorité se tait devant elle; sa voix est la voix de DIEU sur la terre. Le roi même, qui préside à la diète, n'a pas alors, je le soutiens, le droit d'y voter s'il n'est noble polonais.

On me dira sans doute ici que je prouve trop, et que si les sénateurs n'ont pas voix comme tels à la diète, ils ne doivent pas non plus l'avoir comme citoyens, puisque les membres de l'ordre équestre n'y votent pas par eux-mêmes, mais seulement par leurs représentans, au nombre desquels les sénateurs ne sont pas. Et pourquoi voteraientils comme particuliers dans la diète, puisqu'aucun autre noble, s'il n'est nonce, n'y peut voter ? Cette objection me paraît solide dans l'état présent des choses; mais quand les changemens projetés seront faits, elle ne le sera plus, parce qu'alors les sénateurs eux-mêmes seront les représentans perpétuels de la nation, mais qui ne pourront agir en matière de législation qu'avec le concours de leurs collègues.

Qu'on ne dise donc pas que le concours du roi, du sénat et de l'ordre équestre est nécessaire pour former une loi. Ce droit n'appartient qu'au seul ordre équestre dont les Politique. Tome II.

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sénateurs sont membres comme les nonces, mais où le sénat en corps n'entre pour rien. Telle est ou doit être en Pologne la loi de l'Etat mais la loi de la nature, cette loi sainte, imprescriptible, qui parle au cœur de l'homme et à sa raison ne permet pas qu'on resserre ainsi l'autorité législative, et que les lois obligent quiconque n'y aura pas voté personnellement comme les nonces ou du moins par ses représentans comme le corps de la noblesse. On ne viole point impunément cette loi sacrée, et l'état de faiblesse où une si grande nation se trouve reduite, est l'ouvrage de cette barbarie féodale qui fait retrancher du corps de l'Etat sa partie la plus nombreuse et quelquefois Ja plus saine.

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A DIEU ne plaise que je croie avoir besoin de prouver ici ce qu'un peu de bon sens et d'entrailles suffisent pour faire sentir à tout le monde. Et d'où la Pologne prétend-elle tirer la puissance et les forces qu'elle étouffe à plaisir dans son sein? Nobles Polonais, soyez plus, soyez hommes : alors seulement vous serez heureux et libres; mais ne vous flattez jamais de l'être tant que yous tiendrez vos frères dans les fers.

Je sens la difficulté du projet d'affranchir vos peuples. Ce que je crains n'est pas seulement l'intérêt mal-entendu, l'amour-propre ct les préjugés des maîtres. Cet obstacle vaincu, je craindrais les vices et la lâcheté des serfs. La liberté est un aliment de bon suc, mais de forte digestion ; il faut des estomacs bien sains pour le supporter. Je ris de ces peuples avilis qui, se laissant ameuter par des ligueurs, osent parler de liberté sans même en avoir l'idée, et le cœur plein de tous les vices des esclaves, s'imaginent que pour être libres il suffit d'être des mutins. Fière et sainte liberté ! si ces pauvres gens pouvaient te connaître, s'ils savaient à quel prix on t'acquiert et te conserve s'ils sentaient com

bien tes lois sont plus austères que n'est dur le joug des tyrans ; leurs faibles ames, esclaves de passions qu'il faudrait étouffer, te eraiudraient plus cent fois que la servitude; ils te fuiraient avec effroi, comme un fardeau prêt à les écraser.

Affranchir les peuples de Pologne est une grande et belle opération, mais hardie, périlleuse, et qu'il ne faut pas tenter inconsidérément. Parmi les précautions à prendre, il en est une indispensable et qui demande

du tems. C'est avant toute chose de rendre dignes de la liberté et capables de la supporter les serfs qu'on veut affranchir. J'exposerai ci-après un des moyens qu'on peut employer pour cela. Il serait téméraire à moi d'en garantir le succès, quoique je n'en doute pas. S'il est quelque meilleur moyen, qu'on le prenue. Mais quel qu'il soit, songez que vos serfs sout des hommes comme vous, qu'ils ont en eux l'étoffe pour devenir tout ce que vous êtes travaillez d'abord à la mettre en œuvre, ; et n'affranchissez leurs corps qu'après avoir affranchi leurs ames. Sans ce préliminaire comptez que votre opération réussira mal.

CHAPITRE VII.

Moyens de maintenir la constitution.

LA

A législation de Pologne a été faite successivement de pièces et de morceaux, comme toutes celles de l'Europe. A mesure qu'on voyait un abus, on fesait une loi pour y remédier. De cette loi naissaient d'autres abus qu'il fallait corriger encore. Cette manière d'opérer n'a point de fiu, et mène au

plus terrible de tous les abus , qui est d'énerver toutes les lois à force de les multiplier.

L'affaiblissement de la législation s'est fait en Pologne d'une manière bien particulière,` et peut-être unique. C'est qu'elle a perdu sa force sans avoir été subjuguée par la puis-. sance exécutive. En ce moment encore la puissance législative conserve toute son autorité; elle est dans l'inaction, mais sans rien voir au-dessus d'elle. La diète est aussi' souveraine qu'elle l'était lors de son établissement. Cependant elle est sans force; rien ne la domine, mais rien ne lui obéit.' Cet état est remarquable et mérite réflexion..

Qu'est-ce qui a conservé jusqu'ici l'autorité législative ? c'est la présence continuelle du législateur; c'est la fréquence des diètes, c'est le fréquent renouvellement des nonces qui ont maintenu la république.` L'Angleterre, qui jouit du premier de ces avantages, a perdu sa liberté pour avoir négligé l'autre. Le même parlement dure si long-tems que la cour, qui s'épuiserait à l'acheter tous les ans, trouve son compte à l'acheter pour sept, et n'y manque pas. Premiere leçon pour vous.

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