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CHAPITRE V.

EVITONS

Vice radical.

VITONS s'il se peut de nous jeter dès les premiers pas dans des projets chimériques. Quelle entreprise, Messieurs, vous occupe en ce moment? celle de réformer le gouvernement de Pologne, c'est-à-dire, de donner à la constitution d'un grand royaume la consistance et la vigueur de celle d'une petite république. Avant de travailler à l'exécution de ce projet, il faudrait voir d'abord s'il est possible d'y réussir. Grandeur des nations! étendue des Etats! première et principale source des malheurs du genre-humain, et sur-tout des calamités sans nombre qui minent et détruisent les peuples policés. Presque tous les petits Etats, républiques et monarchies indifféremment, prospèrent par cela seul qu'ils sont petits, que tous les citoyens s'y connaissent mutuellement et s'entregardent, que les chefs peuvent voir par eux-mêmes le mal qui se fait, le bien qu'ils ont à faire, et que leurs ordres s'exécutent sous leurs yeux. Tous

les grands peuples écrasés par leurs propres masses gémissent, ou comme vous dans l'anarchie, ou sous les oppresscurs subalternes qu'une gradation nécessaire force les rois de leur donner. Il n'y a que DIEU qui puisse gouverner le monde, et il faudrait des facultés plus qu'humaines pour gouverner de grandes nations. Il est étonnant, il est prodigieux que la vaste étendue de la Pologne n'ait pas déjà cent fois opéré la conversion du gouvernement en despotisme, abâtardi les ames des Polonais et corrompu la masse de la nation. C'est un exemple unique dans l'histoire qu'après des siècles. un pareil Etat n'en soit encore qu'à l'anarchie. La lenteur de ce progrès est due à des avantages inséparables des inconvéniens dont vous voulez vous délivrer. Ah! je ne saurais trop le redire; pensez-y bien avant de toucher à vos lois, et sur-tout à celles qui vous firent ce que vous êtes. La première réforme dont vous auriez besoin serait celle de votre étendue. Vos vastes provinces ne comporteront jamais la sévère administration des petites républiques. Commencez par resserrer vos limites si vous voulez réformer votre gouvernement. Peut-être vos voisins son

gent-ils à vous rendre ce service. Ce serait sans doute un grand mal pour les parties démembrées: mais ce serait un grand bien pour le corps de la uation.

Que si ces retranchemens n'ont pas lieu, je ne vois qu'un moyen qui pût y suppléer peut-être, et ce qui est heureux, ce moyen est déjà dans l'esprit de votre institution. Que la séparation des deux Polognes soit aussi marquée que celle de la Lithuanie: ayez trois Etats réunis en un. Je voudrais, s'il était possible , que vous en eussiez autant que de palatinats. Formez dans chacun autant d'administrations particulières, perfectionnez la forme des diétines, étendez leur autorité dans leurs palatinats respectifs ; mais Inarquez-en soigneusement les bornes, et faites que rien ne puisse rompre entr'elles le lien de la commune législation et de la subordination au corps de la république. En un mot, appliquez-vous à étendre et perfectionner le systéme des gouvernemens fédératifs, le seul qui réunisse les avantages des grands et des petits Etats, et par-là lo seul qui puisse vous convenir. Si vous négligez ce conseil, je doute que jamais vous puissiez faire un bon ouvrage.

CHAPITRE V I.

Question des trois ordres.

JE n'entends guère parler de gouvernement

sans trouver qu'on remonte à des principes qui me paroissent faux ou louches. La république de Pologne, a-t-on souvent dit et répété, est composée de trois ordres ; l'ordre équestre, le sénat et le roi. J'aimerais mieux dire que la nation polonaise est composée de trois ordres ; les nobles qui sont tout, les bourgeois qui ne sont rien, et les paysans qui sont moins que rien. Si l'on compte le sénat pour un ordre dans l'Etat, pourquoi ue compte-t-on pas aussi pour tel la chambre des nouces qui n'est pas moins distincte et qui n'a pas moins d'autorité ? bien plus; cette division, dans le seus même qu'on la donne, est évidemment incomplète : car il y fallait ajouter les ministres, qui ne sont ni rois, ni sénateurs, ni nonces, et qui daus la plus grande indépendance n'en sont pas moins dépositaires de tout le pouvoir exécutif. Comment me fera-t-on jamais comprendre que la partie qui n'existe que par

le tout, forme pourtant par rapport au tout un ordre indépendant de lui ? La pairie en Angleterre, attendu qu'elle est héréditaire, forme, je l'avoue, un ordre existant par lui-même. Mais en Pologne ôtez l'ordre équestre, il n'y a plus de sénat, puisque nul ne peut être sénateur s'il n'est premièrement noble polonais. De même il n'y a plus de roi, puisque c'est l'ordre équestre qui le nomme, et que le roi ne peut rien sans lui mais ôtez le sénat et le roi, l'ordre équestre et par lui l'Etat et le souverain deincurent en leur entier ; et dès demain, s'il Jui plaît, il aura un sénat et un roi comme auparavant.

Mais pour n'être pas un ordre dans l'Etat, il ne s'ensuit pas que le sénat n'y soit rien, et quand il n'aurait pas en corps le dépôt des lois, ses membres, indépendamment de l'autorité du corps, ne le seraient pas moins de la puissance législative, et ce serait leur ôter le droit qu'ils tiennent de leur naissance que de les empêcher d'y voter en pleine diète toutes les fois qu'il s'agit de faire ou de révoquer des lois : mais ce n'est plus alors comme sénateurs qu'ils votent, c'est simplement comme citoyens. Sitôt que la puissance législative parle,

tout

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