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cercle en géométrie. Résolvez bien ce probléme, et le gouvernement fondé sur cette solution sera bon et sans abus mais jusque-là, soyez sûrs qu'où vous croirez faire régner les lois, ce seront les hommes qui règneront.

Il n'y aura jamais de bonne et solide constitution que celle où la loi règnera sur les cœurs des citoyens tant que la force législative n'ira pas jusque-là, les lois seront toujours éludées. Mais comment arriver aux cœurs? c'est à quoi nos instituteurs, qui ne voient jamais que la force et les châtimens, ne songent guère et c'est à quoi les récompenses matérielles ne mèneraient peut-être par mieux; la justice même la plus intègre n'y mène pas, parce que la justice est, ainsi que la santé, un bien dont on jouit sans le sentir, qui n'inspire point d'enthousiasme, et dont on ne sent le prix qu'après l'avoir perdu.

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Par où donc émouvoir les coeurs, et faire aimer la patrie et ses lois ? L'oserai-je dire? par des jeux d'enfaus, par des institutions oiseuses aux yeux des hommes superficiels, mais qui forment des habitudes chéries et des attachemens Invincibles. Si j'extravague

įci, c'est du moins bien complettement; car j'avoue que je vois ma folie sous tous les traits de la raison.

CHAPITRE I I.

Esprit des anciennes institutions.

QUAND

UAND on lit l'histoire ancienne, on se croit transporté dans un autre univers et parmi d'autres êtres. Qu'ont de commun les Français, les Anglais, les Russes, avec les Romains et les Grecs? rien presque que la figure. Les fortes ames de ceux-ci paraissent aux autres des exagérations de l'histoire. Comment eux qui se sentent si petits penseraientils qu'il y ait eu de si grands hommes ? Ils existèrent pourtant, et c'étaient des humains comme nous qu'est-ce qui nous empêche d'être des hommes comme eux? nos préjugés, notre basse philosophie, et les passious du petit intérêt, concentrées avec l'égoïsme dans tous les cœurs, par des institutions ineptes que le génie ne dicta jamais.

Je regarde les nations modernes; j'y vois force faiseurs de lois, et pas un législateur. Chez les anciens, j'en vois trois principaux,

qui méritent une attention particulière, Moise, Lycurgue et Numa. Tous trois ont mis leurs principaux soins à des objets qui paraîtraient à nos docteurs dignes de risée. Tous trois ont eu des succès qu'on jugerait impossibles, s'ils étaient moins attestés.

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Le premier forma et exécuta l'étonnante entreprise d'instituer en corps de nation un essaim de malheureux fugitifs, sans arts, sans armes sans talens, sans vertus, sans courage, et qui, n'ayant pas en propre un seul pouce de terrain, fesaient une troupe étrangère sur la surface de la terre. Moïse osa faire de cette troupe errante et servile un corps politique, un peuple libre; et taudis qu'elle errait dans les déserts sans avoir une pierre pour y reposer sa tête, il lui donnait cette institution durable, à l'épreuve du temps, de la fortune et des conquérans, que cinq mille aus n'ont pu détruire ni même altérer, et qui subsiste encore aujourd'hui dans toute sa force, lors même que le corps dela nation ne subsiste plus.

Pour empêcher que son peuple ne se fondît parmi les peuples étrangers, il lui donna des mœurs et des usages inalliables avec ceux

des autres nations; il le surchargea de rites, de cérémonies particulières; il le géna de mille façons pour le tenir sans cesse en haleine et le rendre toujours étranger parmi les autres hommes, et tous les liens de fraternité qu'il mit entre les membres de sa république, étaient autant de barrières qui le tenaient séparé de ses voisins et l'empêchaient de se mêler avec eux. C'est par-là que cette singulière nation, si souvent subjuguée, si souvent dispersée et détruite en apparence, mais toujours idolâtre de sa règle, s'est pourtant conservée jusqu'à nos jours éparse parmi les autres sans s'y confondre, et que ses mœurs, ses lois ses rites subsistent et dureront autant que le monde > malgré la haine et la persécution du reste du genre-humain.

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Lycurgue entreprit d'instituer un peuple déjà dégradé par la servitude et par les vices qui en sont l'effet. Il lui imposa un joug de fer, tel qu'aucun autre peuple n'en porta jamais un semblable; mais il l'attacha, l'identifia, pour ainsi dire, à ce joug, en l'occupant toujours. Il lui montra sans cesse la patrie dans ses lois, daus ses jeux, dans sa maison dans ses amours dans ses fes

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tins. Il ne lui laissa pas un instant de relâche pour être à lui seul, et de cette continuelle contrainte, ennoblie par son objet, naquit en lui cet ardent amour de la patrie, qui fut toujours la plus forte ou plutôt l'unique passion des Spartiates, et qui en fit des êtres au-dessus de l'humanité. Sparte n'était qu'une ville, il est vrai; mais par la seule force de son institution, cette ville donna des lois à toute la Grèce, en devint la capitale, et fit trembler l'empire persan. Sparte était le foyer d'où sa législation étendait ses effets tout autour d'elle.

Ceux qui n'ont vu dans Numa qu'un instituteur de rites et de cérémonies religieuses, ont bien mal jugé ce grand-homme. Numa fut le vrai fondateur de Rome. Si Romulus n'eût fait qu'assembler des brigands qu'un revers pouvait disperser, son ouvrage imparfait n'eut pu résister au tems. Ce fut Numa qui le rendit solide et durable en unissant ces brigands en un corps indissoluble, en les transformant en citoyens, moins par les lois dont leur rustique pauvreté n'avait guère encore besoin, que par des institutions douces qui les attachaient les uns aux autres, et tous à leur sol, en

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