Page images
PDF
EPUB

En effet, jamais le gouvernement ne change de forme que quand son ressort usé le laisse trop affaibli pour pouvoir conserver la sienne. Or, s'il se relâchait encore en s'étendant, sa force deviendrait tout-à-fait nulle, et il subsisterait encore moins. Il faut donc remonter et serrer le ressort à mesure qu'il cède, autrement l'Etat qu'il soutient tomberait en ruine.

Le cas de la dissolution de l'Etat peut arriver de deux manières.

Premièrement, quand le prince n'administre plus l'Etat selon les lois et qu'il usurpe le pouvoir souverain. Alors il se fait un changement remarquable; c'est que, non pas le gouvernement, mais l'Etat se resserre; je

de patriciens et de plébéiens, même dans le corps des tribuns quand ils commencèrent d'usurper une puissance active car les mots ne font rien aux choses, et quand le peuple a des chefs qui gouvernent pour lui, quelque nom que portent ces chefs, c'est toujours une aristocratie.

De l'abus de l'aristocratie naquirent les guerres civiles et le triumvirat. Scylla, Jules-César, Auguste devinrent dans le fait de véritables monarques, et enfin sous le despotisme de Tibere l'Etat fut dissous. L'histoire romaine ne dément donc pas mon principe; elle le confirme.

veux dire que le grand Etat sc dissout et qu'il s'en forme un autre dans celui-là, composé seulement des membres du gouvernement, et qui n'est plus rien au reste du peuple que son maître et son tyran. De sorte qu'à l'instant que le gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, et tous les simples citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d'obéir.

Le même cas arrive aussi quand les membres du gouvernement usurpent séparément le pouvoir qu'ils ne doivent exercer qu'en corps; ce qui n'est pas une moindre infraction des lois, et produit encore un plus grand désordre. Alors on a, pour ainsi dire, autant de princes que de magistrats, et l'Etat, non moins divisé que le gouvernement, périt ou change de forme.

Quand l'Etat se dissout, l'abus du gouvernement, quel qu'il soit, prend le nom commun d'anarchie. En distinguant, la démocratie dégénère en ochlocratie, l'aristocratie en olygarchie; j'ajouterais que la royauté dégénère en tyrannie, mais ce dernier mot est équivoque, et demande expli cation.

Dans le sens vulgaire, un tyran est un roi qui gouverne avec violence et sans égard à la justice et aux lois. Dans le sens précis, un tyran est un particulier qui s'arroge l'autoaité royale sans y avoir droit. C'est ainsi que les Grecs entendaient ce mot de tyran : ils le donnaient indifféremment aux bons et aux mauvais princes dont l'autorité n'était pas légitime. (b) Ainsi tyran et usurpateur sout deux mots parfaitement synonymes.

Pour donner différens noms à différentes choses, j'appelle tyran l'usurpateur de l'autorité royale, et despote l'usurpateur du pouvoir souverain. Le tyran est celui qui s'ingère coutre les lois à gouverner selon les lois; le

(b) Omnes enim et habentur et dicuntur tyranni qui potestate utuntur perpetuâ, in eâ civitate quæ libertate usa est. Corn. Nep. in Miltiad. Il est vrai qu'Aristote, Mor. Nicom. L. VIII, c. 10, distingue le tyran du roi, en ce que le premier gouverne pour sa propre utilité, et le second seulement pour l'utilité de ses sujets; mais outre que généralement tous les auteurs grecs ont pris le mot tyran dans un autre sens, comme il paraît sur-tout par le Hiéron de Xénophon, il s'ensuivrait de la distinction d'Aristote, que depuis le Commencement du monde il n'aurait pas encore existé un seul roi.

despote

Bespote est celui qui se met au-dessus des lois mêmes. Ainsi le tyran peut n'être pas despote, mais le despote est toujours tyran.

CHAPITRE X I.

De la mort du corps politique.

TELLE est la pente naturelle et inévitable

des gouvernemens les mieux constitués. Si Sparte et Rome ont péri, quel Etat peut espérer de durer toujours? Si nous voulons former un établissement durable, ne songeons donc point à le rendre éternel. Pour réussir, il ne faut pas tenter l'impossible, ni se flatter de donner à l'ouvrage des hommes une solidité que les choses humaines ne comportent pas.

Le corps politique, aussi-bien que le corps de l'homme, commence à mourir dès sa naissance, et porte en lui-même les causes de sa destruction. Mais l'un et l'autre peut avoir une constitution plus ou moins robuste et propre à le conserver plus ou moins longtemps. La constitution de l'homme est l'ouvrage de la nature, celle de l'Etat est l'ouvrage de l'art. Il ne dépend pas des hommes de prolonger leur vie, il dépend d'eux de Politique. Tome II.

I

prolonger celle de l'Etat aussi loin qu'il est possible, en lui donnant la meilleure constitution qu'il puisse avoir. Le mieux constitué finira, mais plus tard qu'un autre, si nul accident imprevu n'amène sa perte avant le temps.

Le principe de la vie politique est dans l'autorité souveraine. La puissance législative est le cœur de l'Etat, la puissance exécutive en est le cerveau, qui donne le mouvement à toutes les parties. Le cerveau peut tomber en paralysie et l'individu vivre encore. Un homme reste imbécille et vit: mais sitôt que le cœur a cessé ses fonctions, l'animal est mort.

Ce n'est point par les lois que l'Etat subsiste, c'est par le pouvoir législatif. La loi d'hier n'oblige pas aujourd'hui, mais le consentement tacite est présumé du silence, et le souverain est censé confirmer incessamment les lois qu'il n'abroge pas, pouvant le faire. Tout ce qu'il a déclaré vouloir une fois, il le veut toujours, à moins qu'il ne le révoque.

Pourquoi donc porte-t-on tant de respect aux anciennes lois? c'est pour cela même. On doit croire qu'il n'y a que l'excellence des volontés autiques qui les ait pu conserver si long-temps; si le souverain ne les eût recou

« PreviousContinue »