Page images
PDF
EPUB

semblée par elle-même, il fallait ou écarter ou conquérir Lafayette, trop puissant désormais sur Paris pour être impunément négligé.

Ils lui firent faire quelques ouvertures de coalition secrète avec l'homme d'Etat de la tribune dont ils méditaient la conquête. Lafayette, qui avait provoqué cette alliance quelques mois avant, et qui feignait de la désirer quelques mois après, fut inabordable en ce moment. Sa suprématie avait grandi son orgueil. Tout partage du pouvoir lui semblait déchéance. D'ailleurs il répugnait, comme nous l'avons dit, à laisser déteindre l'immoralité du caractère de Mirabeau sur la pureté de son propre nom. La juste estime dont il jouissait faisait partie de sa dictature. Il ne se laissa pas intimider par les menaces qu'on lui fit de guerre ouverte avec le grand orateur, qui l'écraserait de son éloquence.

« J'ai vaincu le roi d'Angleterre dans toute sa puis»sance, le roi de France dans toute sa majesté, le >> peuple dans sa fureur. Je ne me laisserai pas arrê » ter par M. de Mirabeau. »

Ces fières paroles avaient plus de pompe que de vérité. Lafayette, aide de camp de Washington, n'avait vaincu le roi d'Angleterre, en Amérique, que sous le drapeau et avec les armes du peuple américain, de Washington et du roi de France lui-même. A Versailles, il n'avait vaincu le roi de France que malgré lui; il n'avait été porté à la dictature que par une

émeute; enfin, les victimes de la place de Grève et du palais de Versailles, au 6 octobre, immolées sous ses yeux, malgré ses efforts, démentaient trop haut sa prétendue victoire sur la fureur du peuple. Il avait besoin d'un second; il ne voulait pas subir un égal. La tentative échoua encore cette fois pour le malheur de Lafayette, de Mirabeau et surtout de la monarchie représentative. Il fallut donc recourir à Mirabeau seul.

X.'

La lettre qu'il avait consenti à écrire au roi avait enivré la reine d'espérance et de joie. Cette princesse se hâta de s'assurer le puissant auxiliaire que la Providence lui ramenait, en s'entretenant, dans une entrevue secrète avec le comte de la Marck, des dispositions et des désirs de son ami. Madame Thibaut, dont la discrétion ne laissait rien transpirer des mystères du palais, reçut le comte de la Marck dans sa chambre. La reine, avertie, y accourut sous un prétexte de toilette.

«< Elle me confirma ce que le comte de Mercy » m'avait dit de la satisfaction que le roi avait laissée » éclater en lisant la lettre de Mirabeau; elle me ré» péta encore que le roi n'avait nul désir de recou>> vrer son autorité dans toute l'étendue que cette >> autorité avait avant la Révolution, et que ce prince » était bien éloigné de croire que cela fût nécessaire

1

» pour son bonheur personnel, pas plus que pour >> celui de son peuple; elle me questionna ensuite sur » ce qu'il y aurait de mieux à faire pour que M. de >> Mirabeau fût content d'elle et du roi.

» Je répondis que j'y réfléchirais; mais qu'au pre» mier aperçu il me paraissait indispensable de lui >> assurer une honnête aisance qui lui permit, en » s'occupant des affaires de l'État, de négliger pour » le moment les siennes propres; que je savais qu'il >> manquait souvent du strict nécessaire, et qu'au >> reste je communiquerais mes idées à cet égard à » la reine, la première fois que j'aurais l'honneur >> de la voir.

>> Cette partie de notre conversation terminée, la » reine me parla des temps passés. L'espoir qu'elle » avait conçu des services que rendrait Mirabeau >> semblait avoir dérobé à ses regards les dangers qui » la cernaient de toutes parts. Dans son confiant » abandon, elle me donna de nouveaux témoignages >> de cette bienveillance à laquelle elle m'avait accou» tumé dans des temps heureux qui avaient fui, » hélas! pour toujours. Elle se laissa même entraî>>ner, par les souvenirs du passé, à parler de ces >> choses indifférentes qui alimentent la conversation » habituelle de la société.

» L'entretien dura plus de deux heures sur un ton » de gaîté qui était naturel à la reine, et qui prenait >> sa source autant dans la bonté de son cœur que

>> dans la douce malice de son esprit. Le but de mon >> audience avait été presque perdu de vue; elle cher>> chait à l'écarter. Dès que je lui parlais de la Révo»lution, elle devenait sérieuse et triste; mais aussitôt » que la conversation portait sur d'autres objets, je >> retrouvais son humeur aimable et gracieuse, et ce » trait peint mieux son caractère que tout ce que » je pourrais dire.

>> En effet, » continue le confident, « Marie-Antoi>>nette, qu'on a tant accusée d'aimer à se mêler des » affaires d'Etat, n'avait aucun goût pour la poli>> tique. >>

L'ami de la princesse se trompe ici d'expression. La reine n'avait pas reçu de la nature l'aptitude aux affaires d'Etat, incompatible avec sa jeunesse; mais elle en avait toujours eu l'ambition. La triste nécessité de sa situation, l'insuffisance du roi, lui faisaient en ce moment un devoir de ce goût, qui avait été jadis pour elle l'orgueil du rang suprême.

En congédiant le comte de la Marck, la reine lui dit : « La première fois que vous viendrez, il faut » que le roi vous parle; il a plusieurs choses im>> portantes à vous dire.» Elle le pria enfin de s'informer dans le plus grand secret de ce que le roi aurait à faire en faveur de Mirabeau pour reconnaître son zèle et pour s'assurer irrévocablement son

concours.

XI.

Le lendemain, le comte de la Marck communiqua cette conversation à son ami; il lui demanda franchement de faire ses conditions pour le paiement de ses dettes par le roi et pour le tribut mensuel de la cour qui lui semblerait indispensable pour son existence personnelle et pour les coopérateurs qu'il allait être obligé de coïntéresser à ses travaux.

<< Peu de jours après,» raconte la Marck, « Mira>> beau remit l'état complet de ses dettes. Il y en >> avait dont l'énonciation était au moins burlesque » et qui attestaient trop bien les vicissitudes d'une vie >> si tristement agitée : par exemple, ses habits de >> noce étaient encore à payer. Le total se montait à >> deux cent mille francs. Je mis l'état de ses dettes » de côté, et nous changeâmes de conversation. >> Reprenons les confidences de la Marck :

« Peu de jours après, » dit-il, « la reine me fit >> appeler. Cette fois, c'est par madame Campan, se» conde femme de chambre de la reine, que je fus

>> reçu.

» Je l'avais vue quelquefois chez la reine aupara>> vant, mais je ne la connaissais pas. Sans beaucoup » de grâce et sans physionomie, madame Campan >> avait cependant une certaine beauté que gâtaient >> toutefois ses manières et son ton prétentieux. Elle

« PreviousContinue »