Ce qui accrut le découragement de Spina, c'est qu'on exigeait l'acceptation immédiate de ces dures conditions. « Je me crus frappé de la foudre, écrit-il le 16 janvier à Consalvi1, et je crus que le gouvernement, pressentant mon refus, voulait rompre à l'instant les négociations. » Il répondit à Bernier qu'il n'avait aucun pouvoir pour signer, qu'il transmettrait à Rome le projet et en attendrait la décision. En même temps lui arrivaient d'Italie des nouvelles graves, qui lui faisaient craindre la marche des Français sur Rome et la fuite du Pape. Son trouble ne fit qu'augmenter, lorsque Bernier lui remit ce que, le 21 janvier, Talleyrand avait écrit sur le refus de Spina de signer immédiatement: « Quand ce prélat a été autorisé à venir en France..., le gouvernement était loin de prévoir que le caractère de M. l'archevêque de Corinthe se réduirait à celui d'un simple témoin... Si Msor Spina persistait dans de telles dispositions, le gouvernement serait fondé à penser que le but du gouvernement pontifical n'a été que de lui tendre un piège, d'éloigner la guerre de ses États, et d'endormir la France dans une fausse sécurité. Dans ce cas, le refus de l'agent de Sa Sainteté dont vous me faites part, nous avertirait encore à temps du véritable motif de sa mission, et vous seriez aussitôt autorisé à l'informer que sa présence ici deviendrait désormais inutile. » Et en post-scriptum : « Le Premier Consul vient de me dire que la dernière déclaration de Mror Spina est en contradiction avec tout ce qui lui avait été promis; qu'on ne fait rien de ce qui lui avait été annoncé par M. le cardinal évêque de Verceil; et qu'il ne peut rien et ne fera rien pour le rétablissement de la paix religieuse, si on l'abuse, comme aujourd'hui on a l'air de le vouloir faire. » L'abbé Bernier, en cas de refus, laissait pressentir une rupture1. 1. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 286. Le Premier Consul < m'enjoint en conséquence », avait écrit Bernier à Spina le 13 jan. vier (Ibid., t. III, p. 687), « de vous proposer pour rédaction définitive, quant a la substance des articles, le projet de traité ci-joint. Je vous conjure, au nom du gouvernement et pour le bien de la paix, de le signer, afin qu'il soit adressé au Souverain Pontife. 2. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 296 et suiv. Cf. Note de Bernier à Spina, 22 janvier 1801. Ibid., t. III, p. 689. Cette note comminatoire enleva à Spina tout reste d'espoir. Ses instructions étaient nettes: par aucune signature il n'avait le droit d'engager le Saint-Siège. « Est-il possible que la magnanimité du Premier Consul veuille me refuser ce que l'on accorderait, en pareil cas, à tout ministre d'une puissance quelconque, c'est-à-dire de dépêcher sur-le-champ un courrier pour demander des instructions et des facultés précises... J'aime encore à me flatter que la justice, la magnanimité et la religion du Premier Consul voudra bien m'accorder la grâce que je réclame2. >>> Rien ne pouvant faire céder Spina, Bonaparte, qui ne voulait point rompre, jugea l'épreuve suffisante et accepta, pourvu que prompte fût la réponse, le renvoi à Rome de l'affaire. En même temps il affirmait que les États pontificaux seraient respectés, ainsi que la souveraineté du Pape 3. 1 Note citée de Bernier à Spina du 22 janvier 1801. 2. Spina à Bernier, 22 janvier 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., 1. III, p. 691 et suiv. 3. Spina à Consalvi, 28 janvier 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. 1, p. 316. - Bernier écrivit à Spina, le 24 janvier (Ibid., t. III, p. 692): J'ai vu le Premier Consul. Il consent à votre demande: vous pouvez adresser à Rome un courrier extraordinaire. Qu'il parte le plus tôt possible. Tout délai serait préjudiciable... Je suis flatté en particulier que le Consul ait daigné condescendre à vos désirs. Ces égards de sa part pour le Premier siège, dans un moment où l'armée française est maîtresse d'une grande partie de l'italie, prouveront de plus en plus sa sagesse, sa modération, et le prix qu'il attache à la paix religieuse de la France. Spina, le même jour (Ibid., III, 693) remercia l'abbé Bernier avec effusion, et assura qu'il ferait tout « pour que soit terminée, de la manière la plus agréable pour le Premier Consul, « une affaire qui doit éterniser son nom et rallier pour jamais la France au Saint-Siège ». 1. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 303 et suiv. Aussitôt furent préparées les expéditions pour Rome. Spina demandait des pouvoirs, et une situation officielle maintenant que les autres États étaient représentés auprès du Premier Consul; il ajoutait quelques conseils d'expérience, pour permettre à sa cour de juger le projet qui lui serait envoyé. L'abbé Bernier écrivit au Pape (26 janvier 1801) afin que fût évité tout délai et tout recours ultérieur à Rome, « qui replongerait la France dans de nouveaux malheurs. Votre Sainteté nous les épargnera, elle saura prescrire et faire elle-même, au nom de la paix et de la religion, les plus grands sacrifices pour le salut des âmes ». Dans un long mémoire, il résumait les pourparlers antérieurs, en particulier sur la condition du catholicisme en France et la démission de tous les évêques français indistinctement. « A être déclarée seulement de la majorité, la religion ne pourra qu'y gagner. Elle paraîtra d'abord avec moins d'éclat; mais la modestic de son titre enchaînera l'envie, et la malveillance ne reprochera pas au gouvernement de l'avoir rétablie en violant les lois ou la Constitution. » - « Toute explication ou représentation ultérieure » sur la démission des évêques « serait, par le gouvernement, regardée comme un refus... Je le répète encore, avec cet article tout est possible en France, pour la religion, mais sans lui rien ne se fera. Je certifie à Sa Sainteté que telle est l'intention du gouvernement; elle est invariable, parce qu'il croit 2. Il est du 26 janvier 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 304-316. ne pouvoir, que par cette mesure, garantir la tranquillité publique; je me ferais un crime de le dissimuler. » - Au Titre IV relatif à la nomination des évêchés, l'abbé Bernier disait : « Le gouvernement actuel est catholique, et désire, comme tel, que le choix des évêques lui soit déféré. Mais comme il n'est pas en son pouvoir de faire de la profession du catholicisme une obligation constitutionnelle pour ses successeurs, il laisse intacte la question de la nomination aux évéchés, dans le cas où ses successeurs ne seraient pas catholiques. » Le courrier italien que Spina avait amené de Verceil et retenu jusqu'ici, le fidèle Livio Palmoni, à qui devaient être confiées toutes les importantes dépêches durant les négociations concordataires, se disposait à prendre le chemin d'Italie (28 janvier), quand un billet du ministère invita Mgor Spina à en retarder le départ. C'est que Bonaparte, occupé par les conférences de Lunéville pour la paix avec l'Autriche, et les préparatifs d'une lutte suprême contre l'Angleterre, n'avait pas dit son dernier mot sur la convention avec le Saint-Siège. Comme en toute question grave, rien n'était définitif sans sa décision personnelle. « On ne fait bien que ce qu'on fait soi-même. » Telle fut la règle qu'il appliqua toujours à la lettre. Après avoir indiqué à Verceil les bases du Concordat, après en avoir attiré à Paris la discussion, il allait en reviser les grandes lignes, et tracer un projet qui sera soumis à Rome, et restera en son ensemble le fondement du traité avec le Saint-Siège. IV DÉBATS SUR LE CONCORDAT ENTRE BONAPARTE ET ROME Le projet de Concordat du Premier Consul et son arrivée à Rome, où il cause de la surprise. - Contre-projet rédigé à Rome et expédié en France. - Avant qu'il n'y soit parvenu, ultimatum de Bonaparte. Au moment où tout semble compromis, mission de Consalvi et son départ pour Paris. Quand Bonaparte revit le plan du Concordat avant de le soumettre à Rome, il apporta à ce travail le même soin et le même état d'esprit que s'il s'était agi d'un projet inconnu. Cette objectivité, qu'il prit l'habitude d'appliquer à l'étude de ses graves desseins, lui révéla les défauts du texte, qu'il annota, rédigea, puis dicta, en marchant, le refondant du tout au tout. Sur les deux principes de Verceil : renouvellement de l'épiscopat, aliénation définitive des biens ecclésiastiques, repose ce cinquième projet, qui est entièrement de Bonaparte (2) février 1801). - TITRE PREMIER ART. 1er. Le gouvernement de la République française, reconnaissant que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français, il sera fait de concert, |