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Le 26 novembre, Bernier pouvait écrire à Talleyrand : « L'ouvrage avance à grands pas, et j'espère sous quelques jours vous présenter le résultat définitif. Quelle satisfaction n'éprouverez-vous pas, et quelle gloire ne vous sera pas acquise, d'avoir terminé, peut-être en si peu de temps, de si longs malheurs et réuni tant d'esprits divisés. » Quatre jours plus tard, il lui disait : « Je puis vous annoncer avec certitude que tout va au gré de vos désirs. J'attends le dernier résultat pour vous l'offrir... Toutes les difficultés me paraissent levées 1. » Bien des mois devaient encore s'écouler avant que disparussent ces difficultés, qui faillirent dégénérer en rupture. Et le Concordat ne compte pas moins de vingt et une rédactions successives de projets.

Le premier projet est du 26 novembre 18002. La démission générale de l'épiscopat en restait la base; mais aucun article ne reconnaissait le catholicisme comme religion dominante. Spina, le 7 décembre, réclamait comme nécessaire cet article, en tête du Concordat, et comme conséquence, l'abrogation des lois contraires au dogme; à la discipline et à l'exercice du culte. L'abbé Bernier ajouta alors au titre IX un article qui qualifiait le catholicisme de « religion de la nation et de l'État 3 ». Quant à la nomination des évêques, elle « se fera par le Premier Consul, et aura lieu, par la suite, par lui et ses successeurs professant la religion catholique ». Spina ajouta que si ses successeurs n'étaient pas catholiques, le Pape, tout en reprenant la nomination, choisirait des évêques agréables au gouvernement, comme il fait pour les souverains protestants.

plus que je sais que la dime a toujours été regardée en France comme sacrée, en sorte que dans toutes les aliénations de biens fonds, l'on en soustrait le prix en faveur de l'acquéreur. »

1. Bernier à Talleyrand, 26 et 30 novembre 1800. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 144, 145.

2. Le commencement de ce projet (Titres I et II) fut envoyé par Bernier le 22 novembre, et la suite le 26. On trouvera les deux parties dans Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 653-655 et p. 660-664.

3. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 663. - La note de Spina du 7 décembre (Ibid., t. III, p. 664-671) est suivie de ses corrections pour les divers articles du traité (Ibid., t. III, p. 671-675). L'abbé Bernier, au titre IX (articles généraux) ajouté à son projet du 26 novembre, n'a fait que reproduire textuellement l'article I du titre I des corrections de Spina : « Le gouvernement français déclare que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la nation et de l'État. Jusqu'à ce moment, Bonaparte n'a donc rien objecté contre la reconnaissance du catholicisme comme religion dominante.

Durant ces pourparlers, courut le bruit de plusieurs complots: le 10 octobre, celui de l'Opéra, le 8 novembre celui de la Malmaison. Etle 24 décembre au soir, tandis que Bonaparte sortait de la rue SaintNicaise, pour se rendre à l'Opéra, explosait la machine infernale, qui fit 22 victimes et 56 blessés.

Ces divers attentats accrurent de plus en plus les inquiétudes de Spina: le pouvoir consulaire était menacé; combien fragile était la vie du Premier Consul; n'était-ce pas imprudent de faire d'aussi graves concessions, quand le gouvernement de demain pouvait redevenir jacobin?

Sa perplexité augmenta quand, vers le 27 décembre, lui fut remis le second projet où Talleyrand avait mis la main. Celui-ci fit observer que le titre de « religion de l'État » semblerait exiger du gouvernement une profession de foi, et heurtait l'esprit de la philosophie et de la Révolution, comme celui de « religion dominante » qui éveillait l'idée de domination du clergé 1. Il lui substitua le titre de religion de « la majorité », qui devait rester dans la rédaction définitive. Talleyrand voulait aussi que le Pape, pour admettre à son obédience les prêtres constitutionnels, se contentat de leur simple adhésion au Concordat, sans rétractation, ni pénitences - et que les ecclésiastiques mariés fussent « réduits à la communion laïque ».

Religion de la nation et de l'État », c'était précisément le titre que, sous prétexte de « n'avoir aucun pouvoir sur les consciences et les opinions religieuses, Mirabeau et la Constituante avaient refusé au catholicisme, parce que la motion de dom Gerle le sollicitant, revenait à supprimer la liberté des cultes, qui venait d'être reconnue son culte sera seul autorisé », ajoutait la motion. L'Assemblée toutefois protesta: par un mouvement unanime de respect de son attachement au culte catholique », qui va être mis par elle à la première place dans les dépenses publiques (décret du 13 avril 1790). Or Mirabeau dans son discours du 26 novembre précédent avait dit qu'inscrire le budget des cultes dans la Constitution équivalait à la reconnaissance du catholicisme comme religion d'État. Les nobles et le tiers, en leurs cahiers, avaient affirmé que ⚫ l'ordre public ne souffre qu'une religion dominante. Cf. Abbé Sicard, op. cit., t. I, livre IV, chap. 1; Pisani, op. cit., t. I, p. 119 et suiv,

Supprimer le principe d'une religion dominante faisait reculer la négociation. Spina le fit remarquer à l'abbé Bernier, lui exprimant sa surprise 3. Pour les constitutionnels et les prêtres mariés, on n'en devait point parler dans le Concordat, mais traiter chaque cas en particulier, Pie VII étant prêt à user de miséricorde pour qui se soumettrait aux lois de l'Église 1.

1. Talleyrand se souvenait de la motion de dom Gerle qui avait occasionné tumulte et manifestations dans l'Assemblée et les tribunes (cf. page précédente, note); et lui-même n'avait pas voulu remettre à la Constituante la protestation de son chapitre contre le refus de déclarer religion d'état, la religion catholique. (Cf. Abbé Sicard, op. cit., t. I, p. 488 et suiv.). Il substitue au titre de « religion de l'État celui de religion de la majorité », comme Mirabeau avait substitué au même titre celui de la religion du public».« On vous parle sans cesse d'un culte dominant », avait dit Mirabeau le 25 août 1789. Messieurs, je n'entends pas ce mot... Rien ne doit dominer que la justice; il n'y a de dominant que le droit de chacun. › 2. Ce projet II est dans Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 675-678. Il n'est pas daté; mais Spina en parle dans sa dépêche à Consalvi du 27 décembre ci-dessous citée.

3. Spina à Consalvi, 27 décembre 1800. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 176 et suiv. « La religion catholique, apostolique et romaine, dit-il dans ses observations sur le projet II (Ibid., t. III, p. 678), n'étant pas la religion de la nation en général et du gouvernement, elle ne sera pas dominante. Tout au plus elle sera en France une religion privilégiée. Dans ce cas, Sa Sainteté ne pourra pas faire toutes les concessions qu'il pourrait faire en la déclarant dominante. Je me rapporte à mes notes précédentes du 11 et du 26 novembre. Ces notes à Bernier des 11 et 26 novembre se trouvent dans Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 117 et t. III, p. 656.

Vers le 4 janvier 1801, Bernier apporta un troisième projet, au caractère tout transitoire, qui avait pour but par sa modération de calmer les inquiétudes de Spina. La réconciliation des constitutionnels et des prêtres mariés serait remise aux soins d'un légat. Quant à la condition de la religion, il était dit : « Les Consuls, reconnaissant que la grande majorité des citoyens francais professe la religion catholique... déclarent qu'elle est proclamée la religion du gouvernement. » C'est de tous les projets le plus acceptable. Bonaparte avait été touché de la lettre où Spina se réjouissait qu'il eût échappé au complot de la machine infernale; il tenait à lui témoigner sa bonne volonté. Et dans l'audience

1. Il n'y a pas de canons qui réduisent à la communion laïque les prètres qui entrent dans les liens du mariage. L'Église, au contraire, doit faire tous ses efforts pour les rappeler à la sainteté de ses ordres. Les circonstances seules ont quelquefois permis de prendre des mesures différentes. Sa Sainteté ouvrira sûrement toutes les voies de la miséricorde, et pour rappeler au bercail de Jésus-Christ ces brebis égarées, et pour que soit réparé de quelque manière le grand scandale que le mariage des prêtres a produit en France; mais tout cela doit dépendre des différentes circonstances de chacun en particulier. C'est une affaire de conscience, et elle ne peut être l'objet du Concordat. - Le même [lo mismo] l'on doit dire pour les évêques qui n'ont point d'institution canonique... Rien sûrement n'est plus à cœur de Sa Sainteté (sic), que de pouvoir regarder et comme embrasser des fils légitimes les évêques qui n'ont point jusqu'à présent d'institution canonique et il le fera sûrement, en proportion qu'eux-mêmes donneraient (sic) de leur part des preuves de repentiret de soumission aux décrets du Saint-Siège.»

2. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 683-686. Il est de la main de Bernier et porte en tête cette note écrite par Spina : « Troisième projet de Concordat, présenté à l'archevêque de Corinthe par M. l'abbé Bernier, sans note officielle. »

3. Spina à Bernier, et Bernier à Spina, 26 décembre 1800. Bernier

qu'il lui donna avec Bernier, le 8 janvier, il leur recommanda de hâter les négociations, voulant que le Concordat fût publié en même temps que le traité avec l'empereur 1.

Mais quand Fouché eut découvert que le complot de la machine infernale, attribué aux Jacobins, était l'œuvre des chouans, le projet de Concordat perdit tout caractère d'adoucissement2. D'un air embarrassé, Bernier, le 13 janvier, soumit à Spina, qui se récria, un quatrième plan de convention 3. La religion catholique, quoique toujours de la majorité, n'était plus dite celle du « gouvernement », Bonaparte voulant que ses sentiments religieux et ceux de ses collègues fussent considérés comme indubitables. Tout tempérament prévu jusqu'ici pour obvier à la destitution des évêques était rejeté; celle-ci était sans distinction exigée et d'une façon absolue. Pour la réconciliation des constitutionnels avec Rome, la simple adhésion au Concordat devait suffire. C'était aussi en bloc, et non comme cas personnel, que la condition des prêtres mariés était envisagée. On insistait sur l'origine prétendue légitime de la spoliation des biens ecclésiastiques; et en interdisant à l'Église les biens immobiliers dans l'avenir, on lui niait son droit de posséder.

à Spina, 30 décembre. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 681 et suiv. - Dans sa lettre du 30 décembre, l'abbé Bernier écrit : « J'ai vu aujourd'hui le Consul: il était gai. Il m'a parlé de vous avec l'effusion de la satisfaction. Votre lettre a fait merveille. Nous le verrons très prochainement. »

1. Spina à Consalvi, 9 janvier 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 276.

2. Cf. G. de Cadoudal (neveu du conspirateur), Georges Cadoudal et la Chouannerie; et le premier volume de la Correspondance du duc d'Enghien, 1801-1804, publiée par Boulay de la Meurthe, Paris, 1904-1913. 3. Le IV projet est dans Boulay de la Meurthe, op. cit., t. I, p. 279283. Il doit être daté du 12 janvier, comme le prouve la note du lendemain de Bernier à Spina (Ibid., t. III, p. 687).

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