par les cultes bizarres que l'État avait prétendu lui substituer. Un rapport de police du 6 juin 1798 dénoncera << le fanatisme » qui a « fait des progrès dans l'ombre; l'affluence progressive de nouveaux zélateurs du culte catholique, affluence si grande depuis quelque temps que les églises y suffisent à peine ». Cette survivance de la France catholique est un fait que ne pourra méconnaître un homme de gouvernement comme le Premier Consul 1. « La majorité du peuple, dira-t-il aux Jacobins, tient à la religion catholique; veut-on que je la contrarie. Il est libre et souverain; on l'intitule tel depuis dix ans; il est temps qu'il soit tel en effet. Ne disait-on pas: Vive la liberté! Vive l'humanité! Et le peuple << libre » ne pouvait aller à la messe, et le gouvernement « humain » arrachait du sein de leurs foyers des vieillards de quatre-vingts ans que l'exil dévorait bientôt. >>> Ces paroles de Bonaparte, que prouvent suffisamment les faits exposés ici, expliquent sa politique religieuse et les négociations du Concordat. 1. Cf. sur tout ce qui précède, L'Histoire religieuse de la Révolution de P. de La Gorce; Pisani, op. cit., t. II et commencement du 1. III; Abbé Sicard, op. cit., t. III, p. 265-274, 401-459, 470-491. II BONAPARTE ET LA RELIGION. VERS LE CONCORDAT. Le régime de la séparation: la liberté des cultes (arrêté du 7 nivose et la promesse de fidélité à la Constitution. Insuccès de cette législation intermédiaire. - Les vues religieuses de Bonaparte Pourquoi il estime nécessaire une religion dans toute société, et le catholicisme en France. - Il veut pour l'Église de France un compromis entre l'ancien régime et la Révolution. Mort de Pie VI et élection de Pie VII. - Après Marengo, le Premier Consul, à Verceil, fait au Pape, par l'intermédiaire du cardinal de Martiniana, des ouvertures pour régler les affaires religieuses en France (juin 1800). Avec la dernière année du xvme siècle, se clôt définitivement l'ère de la Révolution. Rapide sera la transformation du régime. Du 11 mai 1798 au 10 novembre 1799, trois coups d'État précipitent son évolution: le 22 Floréal an VI (11 mai 1798), modifiant par une hypocrite légalité les élections défavorables du printemps, érige l'arbitraire en mode de gouvernement; - le 30 Prairial an VII (18 juin 1799), imposant au Directoire le changement de deux de ses membres (La Reveillère et Merlin), subordonne l'exécutif à la majorité des Chambres, et introduit dans la politique l'élément militaire (les 4 listes présentées par les Cinq Cents pour l'élection directoriale comptent successivement quatre, cinq, six et sept généraux ou amiraux); - enfin le 19 Brumaire an VIII (10 novembre 1799), supprime le Directoire, établit le Consulat et prépare la dictature militaire, en attendant l'Empire. Les trois « Consuls provisoires de la République française » remplacent les cinq Directeurs, ont les mêmes pouvoirs et sont égaux. C'est Sieyès1, Roger Ducos, deux Directeurs sortants, et le général Bonaparte, arrivé d'Égypte, trois semaines plus tôt, le 16 octobre 1799, à 6 heures du matin. Bonaparte a préparé le coup d'État; il l'a fait en expulsant les Cinq Cents de Saint-Cloud, et il prétend bien en profiter seul. Dès le lendemain (11 nov.), il persuade ses collègues que chacun doit être alternativement et par roulement alphabétique Premier Consul, un jour. Ainsi, lui, de beaucoup le plus jeune et non mêlé jusqu'ici aux choses du gouvernement, fut-il le premier <<< consul du jour ». Bientôt il sera Premier Consul permanent, chef unique du gouvernement, ses collègues, Cambacérès et Lebrun, qui le 13 décembre 1799 remplacent Sieyès et Ducos, ne possédant du pouvoir que l'apparence, puisque, à l'instigation de Bonaparte, ils sont consuls avec « voix consultative » et non délibérative. Ce 13 décembre 1799, la Constitution nouvelle est achevée et signée par les deux Commissions de 25 membres chacune élus dans le Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq Cents, le soir du coup d'État, et destinées à suppléer le Corps législatif, durant son ajournement, c'est-à-dire jusqu'au 20 février 1800. Œuvre originairement de Sieyès, son auteur ne la reconnaît plus, tellement elle a été transformée par Bonaparte, au cours des conférences nocturnes, qui, du 2 au 13 décembre, réunirent chez lui, avec les deux autres consuls, les sections ou comités des deux commissions. Beaucoup de membres de celles-ci ne répondirent point à la convocation du 13 décembre et ainsi n'adoptèrent pas la Constitution nouvelle. Mais promulguée le 14 décembre 1799, elle fut soumise à un plébiscite, dont le résultat fut proclamé le 18 février suivant : 3.011.007 oui, contre 1.562 non. D'après elle, le pouvoir législatif, représenté par le Tribunat et le Corps législatif, est très faible, car le premier discute, sans les voter, les lois que lui soumet le Conseil d'État, et le second les vote sans les discuter. Le pouvoir exécutif, au contraire, très fortement organisé, pénètre dans le législatif par le Conseil d'Etat; et il est concentré entre les mains d'un seul. C'est bien ce que voulait Bonaparte 1. 1. Sur Sieyès, de Fréjus, qui étudia la théologie (1765-1772) à SaintSulpice, au séminaire Saint-Firmin, et fut grand vicaire, de Chartres, voir Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. V. Il a 30 ans. Son portrait aussi expressif qu'exact de 1797 par Guérin, au Musée de Versailles, nous le montre avec les cheveux d'un brun clair retombant sur les épaules et cachant les oreilles, le teint mat, les yeux bleus d'une extrême vivacité, le nez busqué, la bouche énergique et volontaire. Volontaire, il l'est et le sera toujours davantage. C'est sa volonté puissante et jamais défaillante qui, pendant près de quinze années, va seule diriger la France, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. A 27 ans, il l'imposait déjà au Directoire, lorsque, général en chef de l'armée d'Italie (2 mars 1796), il 1. Sur l'évolution démocratique qui, de 1789 à l'Empire, transforma vie et régime politiques, voir A. Aulard, Histoire politique de la Révolution française. Origine et développement de la Démocratie et de la République (1789-1804), Paris, 1910, 4 vol.; du même, Le lendemain du 18 Brumaire, dans ses Études et Leçons, 21 série, 1902; A. Vandal, L'Avènement de Bonaparte, t. I et II, Paris, 1903 et suiv. le force à accepter sa politique de conquête, et prétend être le seul chef de la diplomatie, des finances et du gouvernement en pays soumis. Coup sur coup il crée la Cispadane (27 décembre 1796) qu'il unira bientôt à la Lombardie sous le nom de Cisalpine (29 juin 1797), il supprime la République de Venise vieille de onze siècles (15 mai 1797), il traite à Tolentino avec le Saint-Siège, auquel il arrache le Comtat Venaissin et les Légations (Bologne, Ferrare, la Romagne) [19 février 1797], puis avec l'Autriche à Campo-Formio (octobre 1797) 1. La politique traditionnelle des limites naturelles et de « la barrière du Rhin », que soutient au Directoire un vieil Alsacien de bon sens, Reubell, lui, Méditerranéen de caractère et de sang, il la fait dévier et la troque pour une politique chimérique d'expansion méditerranéenne; après l'Italie, c'est l'Egypte (juillet 1798), dont brillante fut la campagne, et finalement désastreuse l'entreprise. Mais à Milan, comme chef de la Cisalpine, il a pris goût au pouvoir. Bientôt las de l'Égypte, il la quitte furtivement avant d'avoir reçu l'ordre de rappel du Directoire (22 août 1799); et il se hâte vers Paris, où le coup d'État de Brumaire lui livrera les rênes du gouvernement. Sa popularité, qui a crû avec le succès et qu'il s'entend merveil 1. Sur la politique de Napoléon en Italie, voir A. Pingaud, Bonaparte président de la République italienne, Paris, 1914, 2 vol.; du même, Notices et documents biographiques sur l'histoire de la République italienne, 1802-1805, Florence, 1914; du même, La politique italienne de Napoléon Ier, dans Revue historique, janvier 1927; Ed. Driault, Napoléon en Italie, 1800-1812, Paris, 1906; Ricciotti Bratti, La fine della Serenissima, Milan, 1917; P. Pedrotti, T. Casini, Defrancesco, La Venezia Tridentina nel regno d'Italia (1810-1814), Rome, 1919. Cf. Tableaux historiques des campagnes d'Italie, depuis l'an IV jusqu'à la bataille de Marengo, suivis du précis des opérations d'Orient jusqu'à la paix de Presbourg, avec cartes, et 26 planches gravées par Ch. Vernet, Paris, 1806. |