VI RATIFICATION ET PUBLICATION DU CONCORDAT Examen du Concordat par le sacré collège et ratification de Pie VII (15 août 1801). Dernière opposition des constitutionnels avec Grégoire, et de Talleyrand. - Ratification de Bonaparte (8-10 septembre 1801); elle est à Rome publiquement fêtée. Bonaparte prépare au Concordat l'opinion, ainsi que les corps politiques. Réglementation du culte ou Articles organiques › et réclamation du Saint-Siège. — Vote du Concordat par le Tribunat et le Corps législatif (7 et 8 avril 1802); sa promulgation solennelle à Notre-Dame, le jour de Pâques (18 avril 1802). A peine le Concordat signé, Consalvi, rentré chez lui, se mit à rédiger de longues dépêches pour mettre Rome au courant des dernières tractations, à fournir tous les renseignements désirables sur leur marche et leur difficulté, à recommander de réunir toutes les pièces de sa négociation et d'examiner ce qui concernait les évêques constitutionnels et la nouvelle circonscription des diocèses, afin que la ratification pût être donnée par le Pape le plus tôt possible. Ce jour-là même (16 juillet), le Premier Consul fit ajouter au traité que les deux parties échangeraient cette ratification à Paris dans 1. Voir quatre lettres de Consalvi à Doria du 16 juillet, les éclaircissements de Consalvi sur la convention signée le 15 juillet, et la lettre de Consalvi à Di Pietro du 16 juillet. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 223-264. les quarante jours 1; il l'eût désirée pour le 15 août. Consalvi n'avait rien de plus à cœur: c'était l'approbation ou la condamnation de son œuvre. « Si Sa Sainteté est satisfaite de la convention, ma joie sera extrême, car je ne désire rien autre au monde. Si elle ne l'est pas (que Dieu m'en préserve), le témoignage de la rectitude de mes intentions ne suffirait pas à me faire survivre au plus grand malheur qui me puisse jamais arriver 2. » Bernier, de son côté, adjurait le Pape de ratifier l'accord 3. La nuit venue, l'un des deux courriers romains, Bartolomeo, chargé d'une volumineuse valise, partait pour Rome, où il arriva dans la nuit du 24 juillet. 1. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 219. Cf. le Post-scriptum de la lettre du 16-juillet de Consalvi à Doria, Ibid., t. III, p. 235-236. Consalvi obtint de Joseph, qui lui transmit la volonté de son frère, que le terme de quarante jours n'excluait pas quatre ou cinq jours de retard. Post-scriptum du 16 juillet déjà cité. 2. Consalvi à Doria, 16 juillet 1801. Boulay de la Menrthe, op. cit., t. III, p. 235. 3. « Il ne manque plus à nos désirs que la ratification de votre Sainteté. Qui de nous ne l'attendrait avec confiance de sa bonté ⚫ connue, et de la condescendance du successeur du prince des Apôtres! Je sais que les sacrifices sont grands, eu égard à la discipline commune de l'Église. Mais pour épargner à l'Église un schisme et des malheurs incalculables, que ne fait-on pas?... j'eusse désiré lui offrir un ouvrage plus parfait. Mais les circonstances et l'absolue volonté des hommes ne fléchissent pas au gré de nos vœux, et il est des sacrifices que le salut de tous permet d'accepter... Quelle conquête pour l'Église et quel triomphe pour Jésus-Christ, que celui de la France redevenue catholique après de si longues révolutions! Aussi depuis le moment où il m'a été donné de pouvoir sortir des réduits où la persécution m'avait confiné, et d'approcher la personne du Premier Consul, me suis-je appliqué à l'entretenir sans cesse de la nécessité de rappeler au milieu des Français la religion de leurs pères. Ce vœu était celui de son cœur. Il fallait son courage pour l'exécuter. Il le fera avec plus de zèle et d'étendue qu'on ne le peut imaginer. Je n'ai donc été dans tout cela que l'instrument de la Providence. J'ai fait ce que mon devoir prescrivait à mon cœur. Puissé-je ne m'être pas égaré!... C'est à vous, très Saint Père, de prononcer sur cet objet. Daignez, nous vous en conjurons, satisfaire les vœux de la France éplorée. » Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 266. L'ÉGLISE DE FRANCE. 11 Les quelques nouvelles reçues jusqu'ici de Paris avaient été peu rassurantes. Aussi fût-ce avec une surprise heureuse que le Pape ouvrit le Concordal conclu et signé. Son premier mouvement fut proba blement de l'adopter, selon le désir de Consalvi Mais il devait en conférer au sacré collège. La petite Congrégation, composée de cinq cardinaux, fut consultée. Trois (Antonelli, Gerdil, Albani) contre deux (Carandini, oncle de Consalvi, et Doria son suppléant intérimaire) se prononcèrent nettement contre la res triction des règlements de police apportée à la publicité du culte si l'exercice de la religion n'est pas public, comment pourrait-il être libre? Deux cardinaux, Albani et Gerdil, soutinrent que l'article 13, où Sa Sainteté s'engageait à « ne troubler en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés », compromettait le droit de propriété de l'Église. Pie VII, inquiet de cette opposition, eut recours à six théologiens 3, qui par moitié furent d'opinions contraires. Il apprit alors que Consalvi se hâtait vers Rome, et il résolut d'attendre. Consalvi savait combien il lui avait été difficile de sauvegarder les principes essentiels : « J'en ai ressenti les douleurs de la mort, me voyant trois ou quatre fois en danger d'irréparable rupture... Si la convention n'eût pas été conclue, tout était à redouter non seulement pour les États Pontificaux, mais pour la religion elle-même. Non seulement en France, mais 1. Article 1er si discuté à Paris dans les historiques séances des 14 et 15 juillet. 2. Consalvi à Spina, 16 août 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p.406. Cf. Ibid., t. VI, p. 108. 3. Tenaïa, vice-gérant du Saint-Office; de Magistris, examinateur des évêques; Merenda, consulteur du Saint-Office; Soldali, secrétaire de l'Index; Durani, auditeur de Sa Sainteté; Clementi, ancien général des Servites. >> en Italie et partout où les Français ont quelque influence, on était disposé aux mesures extrêmes 1. Voilà ce qu'il lui fallait faire comprendre aux cardinaux, plus portés à envisager les principes en euxmêmes qu'en leur application pratique. Des complications nouvelles hâtèrent son départ. Cinq jours après la signature du Concordat (20 juillet), le Premier Consul lui avait signifié, en dernière audience, qu'il nommerait sept ou huit intrus aux évêchés, alors que le Concordat ne laissait rien entrevoir de semblable 2, ajoutant que leur réconciliation avec Rome devait se faire, sans rétractation explicite, au moyen d'un bref préparé à Paris avant le départ du cardinal. Le 16 juillet en effet, le lendemain de la signature concordataire, Fouché avait introduit auprès de Bonaparte Grégoire, avec les évêques constitutionnels de Lyon et de Clermont, Primat et Périer, pour que, sous le sceau du secret, ils pussent connaître la convention avec Rome. Grand avait été leur dépit et leur ressentiment: Grégoire s'échappa jusqu'à dire qu'on n'était pas au bout, et qu'on verrait comment tout cela finirait. Le Premier Consul, jugeant alors que tout ce qui avait été prévu dans les négociations pour éteindre le schisme serait insuffisant, s'était décidé au moyen radical de réunir les deux clergés, à les fondre en un seul. Ainsi revenait-il sur son idée de Verceil qui était d'écarter tout intrus du nouvel épiscopat. Cette nouvelle exigence, Joseph la soutint avec force dans la dernière 1. Consalvi à Doria; dépêche commencée le 13 et continuée le 16 juillet 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 257 et suiv. 2. Consalvi, en consentant à ce que le mot « titulaires » remplaçât le mot « légitimes » à l'article 3, avait demandé et obtenu une note de Bernier, expliquant que par ce mot de « titulaires », on n'entendait pas les constitutionnels. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. VI, p. 82. Cf. plus haut, p. 143. réunion des six plénipotentiaires qui eut lieu chez lui le 22 juillet : il alla jusqu'à dire qu'il n'aurait jamais signé un accord dont eussent été exclus les constitutionnels. C'est ainsi trois brefs, aussi délicats dans la forme que pour le fond, que Consalvi était contraint d'obtenir de Rome, comme complément du Concordat l'un aux évêques légitimes, afin de les amener à se démettre, le second aux évêques constitutionnels pour les réintégrer dans l'unité, le troisième pour régler la situation des prêtres mariés. L'exécution des brefs, dans l'idée du Premier Consul, serait confiée à un légat, que Talleyrand désigne dans sa lettre à Cacault du 27 juillet le vieux cardinal Caprara. Tout cela décida Consalvi à ne point rester davantage à Paris et à brûler les étapes, afin que le Pape pût régler au plus tôt la situation religieuse de la France: tout délai pouvait amener des complications, qu'il convenait d'éviter à tout prix '. Après avoir attendu en vain le travail et la bulle sur la conscription des diocèses confiés à Bernier, il se décida à partir le 25 juillet, en même temps que Livio, qui à cheval, et porteur de nouveaux renseignements et conseils, le devait devancer. Apprenant au dernier moment le retour de Talleyrand, il réussit à le voir quelques instants, puis aussitôt quitta Paris 1. Voir deux notes du Premier Consul à Joseph Bonaparte, 20 juillet, sur la ratification désirée pour le 15 août et la réconciliation des constitutionnels (Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 272 et suiv.); retouches du projet de bulle omain sur le Concordat (Ibid., p. 275-289: cf. Rapport de Bernier à Talleyrand sur la bulle, 29 juillet, Ibid., p. 312); Conférence entre les plénipotentiaires, le 29 juillet 1801, sur ce projet de bulle, le clergé constitutionnel, les pouvoirs d'un légat (Ibid., p. 289); Consalvi à Doria, 21 juillet, sur le cas des constitutionnels, soulevé par Bonaparte et traité dans la conférence du 22, dont il n'a pas signé le procès-verbal, tout en promettant l'indulgence pontificale (Ibid., p. 292); Consalvi à Doria, 28 juillet, sur son départ (Ibid., p. 299). |