Vingt-quatre heures après son arrivée à Florence, le cardinal prenait le chemin de Paris (8 juin 1801). Presque à l'allure d'un courrier il traversa Bologne, Turin, Lyon. De sa hâte dépendait en grande partie le succès de la grave affaire dont il était chargé. Il ne rencontra point Livio, comme il l'avait espéré. Sans savoir si l'ultimatum était maintenu, quelles étaient les dispositions du Premier Consul, comment il serait accueilli, il chemina non sans appréhension et souci jusqu'au 20 juin, jour, où à une heure tardive, il descendit, épuisé, dans le modeste logement de Spina, après quatorze jours de voyage et quinze à seize heures seulement de sommeil 1. 1. Consalvi à Doria, Paris, 21 juin 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 108. V LE CONCORDAT DE 1801. Négociation de Consalvi sur un septième projet. - Discussions dernières projet définitif de Bonaparte; résistance de Consalvi; ses observations sont rejetées par le Premier Consul; ses raisonnements subtils pour sauvegarder les principes de l'Église. - Dernières luttes avec menace de rupture, et signature du Concordat (15 juillet 1801). Avant que Consalvi eût quitté Rome, avant même que l'ultimatum de Bonaparte y fût parvenu, le contreprojet romain arrivait à Paris (23 mai 1801). L'abbé Bernier, aussitôt appelé chez Spina et très flatté des lettres louangeuses du Pape et de Consalvi1, trouva le moyen de le remettre, le lendemain, au Premier Consul, à la Malmaison, sans le faire passer par les mains de Talleyrand, dont l'opposition à la cour de Rome et au Concordat devenait de plus en plus manifeste. Bonaparte goûta particulièrement la lettre de Pie VII qui lui donnait le titre de Carissime Fili, et se montra fort satisfait des concessions romaines, puisque les deux essentielles réclamées à Verceil : la démission de l'épiscopat et l'aliénation des biens ecclésiastiques lui étaient accordées; quelques expressions seulement seraient à modifier. Il chargea de ce soin Bernier qui, trois jours plus tard (27 mai), lui remit les corrections possibles1, en stimulant ses bonnes dispositions : « Vous avez jusqu'ici vaincu les peuples armés et subjugué, par l'éclat de vos triomphes, les ennemis de votre gloire; en rendant à la France la religion qu'elle désire, vous surmonterez tous les obstacles, vous gagnerez tous les cœurs, et consommerez d'un seul trait l'obligation la plus grande et la plus utile en politique que votre génie ait pu concevoir... Laissons la cour de Rome employer les expressions et les phrases qui conviennent à son style ordinaire, pourvu qu'elles ne blessent pas la dignité du gouvernement et qu'elles rendent avec exactitude ce que nous désirons. Peutêtre en exigeant l'expression littérale du projet approuvé par le gouvernement, paraîtrions-nous 1. J'aurai le plaisir, Monsieur, de faire votre connaissance personnelle, avait écrit le 3 juin Consalvi à Bernier (Boulay de la Meurthe, op. cit., t. II, p. 481 et suiv.). « J'aurai celui de vous dire de vive voix que l'on connaît ce que l'on vous doit pour votre zèle pour la religion, et l'intérêt que vous mettez à la sûreté de ce pays et au bien-être de Sa Sainteté, qui vous en sait tout le gré que vous méritez. Je compte aussi sur vos conseils, dans mon séjour à Paris; on a trop de preuves de votre intérêt pour ne pas savoir les apprécier. Le bref du 12 mai (Ibid., t. II, p. 310), faisant allusion au projet secret communiqué par Bernier, félicitait l'abbé d'avoir rendu d'importants services à la religion: Tua erga nos atque Apostolicam hanc Sedem studia in perturbatis Ecclesiae rebus isthic componendis ita illustria fuerunt, ut minus grati in te esse videremur, nisi per ea et unitatis conservationi consultum et Ecclesiae conditionem tolerabiliorem redditam esse profiteremur. Ut igitur nihil est in hoc negotio quod nos non debeamus officiis tuis, ita nihil quod ab eis dem non polliceamur nobis ad perfectionem operis quod a te tanto, studio est susceptum... > 1. Remarques et corrections proposées par Bernier sur le contreprojet romain, 27 mai 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. II, p. 7-13. 2. Le 3 juin, il dit à Bonaparte (Boulay de la Meurthe, op. cit. t. III, p. 39): Daignez accélérer votre décision sur les projets de Rome, et vous ajouterez encore, s'il est possible, à la reconnaissance et au profond respect que je vous ai voués pour la vie ». dicter la loi avec trop d'ascendant. L'adhésion du Souverain Pontife paraîtrait moins libre, et nous serions moins assurés de sa coopération sincère à l'exécution des mesures que vous adoptez, parce qu'en général tout traité, toute convention entre deux puissances 'n'est permanente et durable, qu'autant que l'un et l'autre usent d'une condescendance mutuelle... D'après ces principes, dont la vérité vous frappera comme moi, j'ai cru devoir conserver, autant qu'il était possible, les expressions dont s'est servi le Saint-Siège. Nous prouverons, par cette déférence, combien le consentement qu'il donne à vos projets est libre et spontané 1. >>> Le contentement du Premier Consul à l'égard du Saint-Siège était tel qu'il lui fit restituer le Montefeltro et le fort San Leo, sur lesquels la Cisalpine prétendait avoir des droits (1er et 2 juin 1801)2, et qu'il parla de révoquer l'ultimatum et l'ordre à Cacault de quitter Rome; cette décision eût pu arriver à temps. Mais subitement ses bonnes dispositions changèrent. Talleyrand lui conseilla d'attendre l'effet de l'ultimatum et jusque-là d'affecter de l'humeur contre le Saint-Siège, afin d'en tirer le plus possible. Lui-même signifia à Spina que le gouvernement était mécontent du travail des Congrégations romaines3. Grand fut son désappointement quand il apprit que Rome, sans se plier à l'ultimatum, avait trouvé, grâce à Cacault, le moyen d'en éviter les mauvais effets et de renouer avec plus de succès, 1. Bernier au Premier Consul, 27 mai 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 5 et suiv. 2. Marescalchi à Pancaldi, 1er juin 1801; Talleyrand à Cacault, 1er juin et le ministre de la Guerre à Murat, 2 juin. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 32, 33, 35, 36. 3. Talleyrand à Bernier, 4 juin 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 47; Spina à Consalvi, 5 juin 1801. Ibid., t. III, p. 43. par l'envoi de Consalvi, les négociations menacées 1. Il essaya néanmoins de brouiller de nouveau les - cartes, en faisant remettre à Spina, vers le 14 juin, un.sixième projet de convention, qui ne tenait aucun ✓ compte du contre-projet romain dont l'ensemble ⚫avait satisfait le Premier Consul, et revenait à celui que le Saint-Siège avait récemment repoussé 2. - Spina, autorisé seulement à signer le contre-projet romain sans changement, répondit à Bernier le * 16 juin 3 : « Vous devez donc comprendre, Monsieur, qu'il m'est impossible de signer le projet de convention, que vous me faites l'honneur de me remettre de la part du ministre, dans lequel non seulement la substance des différents articles est différente de celui envoyé par Sa Sainteté, mais dans lequel on supprime tout ce qui peut déterminer Sa Sainteté à la ratifier et la sanctionner par une bulle apostolique. >> Spina, alarmé par le concile des constitutionnels qui devait s'ouvrir le 29 juin et où était invité l'épiscopat étranger, accablé par la tristesse et le découragement, s'en remit à Consalvi, dont proche était la venue. « Dans peu de jours, le cardinal premier ministre de Sa Sainteté sera à Paris. Il a sûrement plus de lumière que moi. Il sera peut-être également i 1. Rapport de Talleyrand, 3 juin 1801. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 54. 2. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 59-62. Cf. Lettre de spina à Consalvi, 15 juin 1801, Ibid., t. III, p. 69. 3. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 62 et suiv. 4. Spina à Bernier, 29 mai 1801. Note de Cevallos remise à Lucien Bonaparte (Aranjuez, 23 mai 1801), où il montre le danger que pourrait présenter le concile constitutionnel, auquel est convoqué l'épiscopat espagnol. Lettre de Campo de Alange à Cevallos (Vienne, 1er juillet 1801), qui transmet la défense du gouvernement autrichien à ses évêques, de prendre part au concile constitutionnel. Circulaire aux nonces, pour défendre aux évêques de répondre à l'appel des schismatiques (6 juin 1801). Boulay de la Meurthe, op. cit., t. III, p. 22, 75. Spina proteste contre cette réunion. Cf. Ibid., p. 79 et 81. L'ÉGLISE DE FRANCE. 9 |