SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE (1800-1814) I L'ÉGLISE DE FRANCE Ravages de la philosophie du xvun siècle. La Constitution civile du clergé. - Persécution de la Terreur: massacres de septembre; antichristianisme; les deux clergés [l'assermenté et l'insermenté] suspects; le vandalisme; les déprêtrisations; le culte de la Raison et de l'être suprême. Persécution du Directoire: théophilanthropie; culte décadaire. Survivance du christianisme. Lorsque la journée du 18 brumaire an VIII [9 novembre 1799] établit le Consulat et fit passer le pouvoir entre les mains du jeune général qui allait bientôt rétablir les rapports avec Rome, négocier le Concordat et restaurer la religion catholique en notre pays, en quel état se trouvait l'Eglise de France? C'est ce que montrera ce chapitre, en esquissant d'une façon rapide, depuis la fin du XVIIIe siècle, une des crises les plus violentes qu'eut jamais à subir le catholicisme. Avant même la Révolution, durant toute la moitié du xvme siècle, le sentiment religieux avait L'ÉGLISE DE FRANCE. 1 été déjà singulièrement ébranlé. Voltaire, Diderot, les Encyclopédistes, écrivains en vogue et d'une influence incontestée sur la société française, avaient rejeté, au nom de la philosophie, les vérités révélées, pour y substituer les systèmes les plus variés et les plus variables inventés par la raison. JeanJacques Rousseau est le seul qui célèbre encore Dieu et le veut faire aimer1. Voltaire le maintient, mais comme un policier nécessaire pour contenir dans l'ordre une société qui sans cela irait à l'abîme. Helvétius, d'Holbach, Diderot, eux, ne sont plus si timides: quarante ans avant le détrônement de Louis XVI, ils détrônent Dieu; l'homme se passera de la divinité; tous les cultes sont une superstition grossière. Ces nouveautés destructives s'étaient répandues en France, aussi rapidement que la Réforme luthérienne en Allemagne au xvi siècle. Elles s'étaient installées dans les salons, et dominaient l'aristocratie, où l'incrédulité, le persiflage des gens d'Eglise étaient devenus de bon ton. Elles avaient gagné les bourgeois des villes; et dans les campagnes le paysan, s'il n'était pas philosophe, avait peu à peu perdu le respect de la religion, la voyant chaque jour raillée par les châtelains, ressentant lui-même les abus d'un clergé privilégié, et con voitant une propriété ecclésiastique, perpétuelle e débordante. A tous les degrés de la société, la fo était minée, si elle n'était pas disparue. Telle était la situation religieuse de la France au moment où la Révolution, par toute une séri de lois, allait tenter de décatholiser, puis de déchris tianiser radicalement le pays. 1. Sur la collaboration de J.-J. Rousseau à l'Encyclopédie, voi R. Hubert, Rousseau et l'Encyclopédie, Paris, 1928. La Constituante (20 juin 1789-30 septembre 1791), à l'été de 1789, nomme l'être suprême dans la Déclaration des Droits, mais supprime au catholicisme son titre de religion d'État (13 avril 1790), enlevant ainsi à l'ordre du clergé son existence, et au catholicisme la protection séculaire du pouvoir civil. En octobre de la même année, 300 députés de la noblesse et du clergé, s'éloignent de l'Assemblée et laissent le champ libre aux éléments hostiles, qui régleront le sort des biens ecclésiastiques (3 à 4 milliards d'alors) par 22 voix de majorité, ajoutant la dépossession foncière du clergé à celle de son pouvoir politique. Grave sera pour l'Église une telle défection. En février 1790, quelques jours après le serment presque unanime prêté à la Constitution par les évêques et curés de l'Assemblée, celle-ci décrète que moines et religieuses sont déliés de leurs vœux. Cluny et Citeaux se vident; cinq sixièmes des Génovésains, beaucoup de Dominicains rentrent dans le siècle. Relâchés, ces ordres ont peu de vocations; et le petit nombre de leurs membres les pousse au relâchement. Le noviciat des Missions étrangères de la rue du Bac, les Capucins, les Chartreux, les Trappistes tiennent bon. La moitié des religieux et presque toutes les religieuses refusent de quitter leurs couvents. A l'automne de 1790, la Constituante les contraint d'opter entre la dispersion, avec une pension personnelle, et l'entassement, dans des monastères communs, des moines de tout ordre. Les vocations masculines chancelèrent alors à Lyon, 147 sur 241; dans le diocèse de Besançon, 187 sur 236. Cinq monastères communs, en Morbihan, recueillirent les tenaces épaves de 21 couvents. Presque tous les couvents de femmes, eux, demeurèrent trop peuplés pour qu'on les pût fermer; et cette résistance de l'âme féminine annonçait les services qu'au xix siècle elle devait rendre à l'Église de France 1. En avril 1790, la Constituante retire à l'Église l'administration de ses biens, que des décisions ultérieures mettront en vente. Le prêtre devenait un pensionné de l'Etat, donc un fonctionnaire. La pente où l'on s'est engagé est dangereuse. Puisque l'État fait les frais de l'Église, il va la réorganiser et la réorganiser, sans le Pape qui, disait-on, « est un évêque comme les autres ». La Constitution civile du clergé, inspirée par la conception encyclopédiste d'un Etat légiférant en maître sur les questions religieuses, rédigée par des gallicans sans nuance et des jansénistes férus de l'organisation primitive de l'Église, décide que les évêques seront élus et se passeront désormais de la confirmation du Pape, de sa juridiction; ils se contenteront de lui adresser une lettre pour lui attester, comme au chef de l'Église universelle, leur unité de foi: c'est le seul lien que l'abbé Grégoire fit maintenir entre Rome et les futurs évêques. L'investiture canonique ne sera plus donnée par Rome, mais par les métropolitains (12 juillet 1790) 3. 1. Cf. Abbé Sicard, Le clergé de France pendant la Révolution, t. I, livre III : « L'effondrement monastique; Pisani, L'Église de Paris et la Révolution, t. I, ch. v; Aulard, La Révolution française et les Congrégations, Paris, 1903 (documents). 2. Quand Henri VIII se sépara de Rome, il exigea de son clergé le serment que l'évêque de Rome n'a pas reçu de Dieu une autorité plus grande sur l'Angleterre qu'un autre évêque étranger. Rymer, Foedera, conventiones, litterae et cujuscumque generis acta publica inter reges Angliae et alios quosvis imperatores, pontifices, principes... ab anno 1101 ad nostra usque tempora habita aut tractata, 3a édit., La Haye, 1739-1745, p. 495-527; Gee et Hardy, Documents illustrative of English Church History, édit. 1921, p. 251 et suiv. 3. C'est à quoi devait tendre Napoléon, en 1811 et les années sui |