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turellement portés à conformer leur décision aux écritures; et alors comment sera-t-il vrai qu'ils resteront maîtres de 'n'y avoir que tel égard que de raison ? comment ces écritures destituées de toute la moralité recueillie par le juré pourront-elles passer à d'autres hommes et servir de données pour controler le jugement? ne seroient-elles pas dans les mains de ces derniers une vraie preuve légale? comment enfin dans ce systême ne seroit-ce pas aux preuves légales que la prépon dérance définitive se trouveroit attribuée au lieu de la conviction morale des jurés ? (On applaudit.)

Le projet de décret de M. Tronchet, s'il étoit adopté, s'éloigneroit donc beaucoup des véritablès intentions que son auteur a développées dans son discours : 1°. Le décret est basé sur l'établissement des preuves écrites qui ne seroient cependant pas des preuves pour le juré et qui ne serviroient de rien à d'autres, ou ne pourroient leur servir que comme preuves légales, ce que M. Tronchet n'admet pas; 2°. l'effet indubitable du projet de décret seroit de détruire toute la moralité de la conviction du juré: il seroit toujours ramené par une pente invincible vers les écritures qu'il verroit destinées à la réformation de la décision; et cependant M. Tronchet pénétré de la conviction morale, s'en est montré le zélé défenseur; 39. enfin le projet de décret détruiroit même physiquement le juré par l'impossibilité de le faire, avec l'obligation d'assister à la rédaction. Or il n'est pas possible, je me plais à le répéter, que M. Tronchet persistant avec nous, coopérant avec nous à l'établissement des jurés, veuille contrarier le succès de notre travail commun. M. Tronchet et nous, et l'assemblée rationale, ne pouvons plus vouloir que la meilleure et la plus constitutionnelle exécution du décret portant établissement des jurés: Hé bien, décidons donc par le sentiment de notre conviction intime, et comme si nous étions nous-mêmes des jurés sur ce point, si nous pensons et si nous osons soutenir à la Frafice que le juré pourra se soutenir avec ces écritures. Mais si quelqu'un de nous persistoit dans la persuasoin primitive qu'il auroit eue contre l'établissement du juré, ne s'étant depuis le décret réuni à cette opinion, que parce que c'est aujourd'hui que la liberté et le civisme peuvent se conserver long-tems' dans cette institution qui en est l'ame; c'est le rapport du décret qu'il faudroit demander et que l'assemblée devroit ordonner. Il n'y a plus que ce moyen pour faire qu'il n'y ait pas de jurés en France; et quelque facheuse, quelque allarmante pour la constitution que soit la révocation d'un décret aussi marquant, ce mal-la seroit moins grand que celui de con

server le juré assez mal-habilement pour qu'il pérît indubitablement dans la pratique par un vice radical d'institution impraticable à l'assemblée nationale (On applaudit). Je passe en ce moment à la quatrieme partie. Je viens de justifier les motifs qui ont déterminé vos deux comités à vous proposer la méthode des preuves orales devant le juré, sans modification ni sans restriction. Nous savons que, comme on ne peut pas méditer sur cette belle institution sans en sentir le prix, ni vérifier par un sérieux examen les prétendus inconvéniens dont elle paroît d'abord être susceptible, sans en reconnoître l'illusion, il ne nous est resté dans l'ame, après un long travail, que le desir vif de la voir bien établie en France, et la plus grande confiance dans la bonté de son effet : c'est ce double sentiment qui nous a engagé à vous proposer l'organisation du juré dans toute la pureté de ses principes, et de la maniere qui répond le mieux à la franchise, à l'énergie et à l'esprit de civisme qui sont ses caracteres essentiels. Nous avons depuis recueilli soigneusement, et mis à profit autant qu'il est en nous, toutes les lumieres nouvelles que l'assemblée a répandues sur cette matiere pendant le cours du débat, et que plusieurs de nos collegues nous ont communiquées particuliérement. Nous nous sommes occupés spécialement du discours de M. Tronchet, dans lequel nous avons reconnu plusieurs objets qui, sans nous avoir déterminés à admettre son système d'écriture complette, sont cependant dignes de ses lumieres et de sa sagesse, et méritent d'influer sur le parti qui reste à prendre. Tout cela nous a naturellement conduits à penser que la plus forte considération en ce moment étoit d'adoucir et de tempérer, au moment de l'établissement, la délicatesse du passage du régime ancien à l'ordre nouveau, et d'un état de choses où l'habitude de voir toutes les dépositions écrites, avoit établi l'opinion que l'écriture étoit indispensable pour la sûreté publique et individuelle. Transporter tout à coup les esprits à l'extrémité de l'état.contraire, ce seroit peut-être leur donner une secousse trop forte; et comme dans cet état d'anxiété et de bonne foi, l'idée des inconvéniens pourroit effrayer, il peut être utile à la sûreté de l'institution de mettre son berceau sous la sauve-garde des opinions tranquillisées.

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Vos deux comités ont donc recherché par quelles combinaisons ils pourroient concilier avec la pratique et la liberté du juré et des témoins dans les débats, des écritures qui fussent suffisantes seulement pour fixer, conserver la substance des témoignages, et assurer après le jugement la

découverte d'erreurs de fait. Nous croyons que cette modification se réduit à ce que ces dépositions soient reçues par écrit, non en présence du juré, mais en présence du juge, et à ce que l'examen du témoin devant le juré et ses' debats, soient faits devant le juré sans écrire. Avec cela l'essence du juré subsiste encore, mais elle seroit altérée et dépravée si l'on alloit au dela.

Voici le point de vue sous lequel nous vous l'offrons, cette Opinion. De quoi s'agit-il principalement? d'acquérir sur chaque procès un fond de renseignemens permanens, qui constate la nature et les circonstances de l'accusation, les témoins qui ont déposé, la nature et le caractere de leurs dépositions," celles qui ont présenté des charges, et celles qui étoient insi-i gnifiantes. Or, on aura le fait, le lieu, l'heure et les circonstances du délit dans l'acte d'accusation, et l'on aura le nom-' bre, le nom des témoins; et le caractere substantiel de leurs témoignages dans ces premieres dépositions écrites. Cela répond à toutes les difficultés de M. Tronchet sur l'impossibilité de constater à la révision, soit le faux témoignage, soit les erreurs de fait découvertes depuis le jugement; mais nous in`sistons pour que ces dépositions, ainsi recueillies et fixées, ne' restent que comme simples renseignemens des personnes qui ont déposées et de la nature de leurs dépositions, pour qu'elles ne fassent foi, qu'en ce que les personnes y dénommées se sont présentées pour déposer telles choses, mais pour qu'elles ne puissent sous aucun rapport être considérées, ni contre l'accusé, ni contre le juré, comme des pièces probantes du crime. Par cette raison nous croyons qu'elles doivent être recueillies également, soit devant l'officier de police, devant lequel l'accusé sera produit, soit devant le directeur' du juré d'accusation, pour ceux qui sont amenés devant ce juré pour la premiere fois, soit enfin devant un des juges du tribunal criminel pour les témoins que l'accuscteur ne produiroit qu'à cette derniere époque. Nous persistons à penser que les dépositions ainsi recueillies ne doivent pas lier les témoins,' parce qu'il nous paroît du plus puissant intérêt, pour la vérité et pour l'innocence, que le témoin se présente au débat, libre de se livrer à tous les assauts de la conviction ou de la résistance, qui peuvent le conduire à des aveux favorables à l'accusé, sauf à l'accusateur public, aux juges et aux jurés à apprécier le caractere des variations qui devroient le rendre punissable.

La séance devant le juré ouvrira par l'exposition que le président du tribunal fera de la déposition, et par la lecture des dépositions recueillies, mais comme simples renseignemens :

elle préparera l'attention des témoins et de l'accusé; et ellé facilitera au juré, par des notions générales, l'intelligence et l'appréciation des détails du débat. Jusqu'ici l'essence du juré est conservée, et elle subsistera si les témoins sont ensuite examinés de vive voix devant lui sur les détails et sur tous les éclaircissemens nécessaires; si le débat se fait de vive veix devant eux; si le témoin y est libre, et si son témoignage,› par la manifestation de la vérité, n'en est point rallenti par de tardives, de longues écritures; si l'attention du juré y est provoquée par la certitude qu'il ne lui sera rien dit par écrit; elle est soutenue par l'intérêt auquel cette situation l'aura excité, si enfin sa conviction morale et intime s'établit bien par le concours de tous les événemens nécessaires à sa forma tion. Mais si vous faisiez écrire le débat, vous en détourneriez tout l'effet en arrêtant son activité ; vous détruiriez dans le juré F'intérêt et l'attention, en les émoussant par l'ennui. Si vous remettiez au juré tout le procès écrit, vous embarrasse riez sa simplicité, son inexpérience, et vous effaceriez les impressions naturelles qu'il auroit reçues dans son ame.

Il n'est point désavantageux à l'accusé, sous le rapport de de la révision, que les dépositions soient écrites et que le débat ne le soit point; car un débat écrit, mais qui seroit: réduit aux termes proposés par M. Tronchet, c'est-à-dire, auquel le juré resteroit maître de ne pas avoir égard, donneroit un indice et non pas une preuve sûre de ce qui a pu déterminer le juré et de ce qui l'auroit déterminé en effet.› Or on a ce même indice dans les dépositions écrites. Dans Thypothese où il s'agiroit de prouver le faux témoignage et où il s'agiroit de constater que le témoin a réellement influé sur la décision, le débat ne prouveroit que l'une de ces deux choses, on que le témoignage n'a pas été détruit ou atténué, en ce cas la déposition écrite vaut autant; ou que 'le témoi gnage auroit été rendu suspect, et en ce cas le débát écrit nuiroit à la décision. Il n'en résultera donc rien qui puisse décréditer dans l'opinion publique la haute considération que le jugement par jurés doit y conserver; car de deux choses l'une ou le jugement sera conforme aux apperçus des charges contenues dans les dépositions, et alors on pensera que ces dépositions n'auront pas été détruites par le débat : ou le jugement ne paroîtroit pas conforme à ce qu'indiqueroient des apperçus de charges, et alors on penseroit qu'elles ont été atténuées ou même détruites par le débat. Ainsi l'écriture des dépositions; telle que nous la proposons comme résultat final des dernieres considérations, paroît répondre à toutes les objections, satisfaire à toutes les plaintes, concilier tous › les intérêts et toutes les opinions. Mais nous sommes restés

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convainous que tout systême tendant au-delà entraineroit lá destruction du juré. Nous, messieurs, détruire les jurés au moment de leur organisation même ! La liberté de l'Angleterre, dit Glastown, subsistera aussi long-tems que subsistera ce palladium sacré de la liberté, à l'abri non-seulement des attaques ouvertes, car qui l'oseroit à visage découvert, mais encore des machinations secrettes ourdies pour le miner sourdement en introduisant de nouvelles formes de jugement. N'oublions pas que la plus petite atteinte au pouvoir de la nation ébranleroit le fondement de notre constitution, et que paroissant d'abord fort peu de chose, elle pourroit devenir assez considérable pour faire disparoître les jurés. Hé bien, messieurs, voilà la mesure de l'intérêt que nous avons à prendre, et celle des efforts que nous devons faire pour acquérir, pour bien consolider cette institution.

Il y a sans doute des considérations partielles favorables aux divers systêmes, même aux moins bons; mais les vraies raisons sont celles qui, tirées de la nature des choses et des hommes, sont prises également dans l'essence de l'institution, qui en soutiennent l'esprit et qui en complectent lobjet. Entre deux modes d'institution présentés, celui de votre comité est le seul qui soit bien dans la nature des choses et dans celle du jure. Ce n'est pas sans doute un intérêt peu important que celui de relever en France l'esprit civique par la vigueur du caractere moral que l'institution des jures aussi pure qu'il est possible, ne peut pas manquer d'établir. Chaque session de jurés montre au peuple l'exercice de sa propre puissance, réveillera dans chaque citoyen le sentiment de sa dignité et de son indépendance; et faisant sentir aux hommes le besoin qu'ils ont de l'estime et de la confiance des uns et des autres, les rapprochera par la fraternité, par l'égalité, par tous les sentimens qui nourrissent et qui fortifient le civisme (On applaudit. J. Est-ce le cas d'examiner si l'on perd quelque chose de bien précieux en perdant quelques avantages secondaires attachés à l'ancienne méthode. A faut voir dans l'ensemble ce qu'on gagnera à être délivré de ces abus anciens. Il faut voir aussi que la hauteur de notre constitution nous éleve au-dessus de l'Angleterre. Combien ce seroit se rapetisser de n'oser l'imiter que gauchement, que mesquinement dans la seule institution qui entretient dans ce peuple l'esprit et l'amour de la liberté, qui noas rend enfin ce que nous lui avons souvent envié d'être !

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Qui nous arrêteroit done? le doute sur l'assentiment na tional; eh! la nation françoise a si bien prouvé depuis dixhuit mois qu'elle saisit avec reconnoissance tout le bien qu'on

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