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parole, à plus forte raison un témoignage, à plus forte raison deux témoignages?Voilà ce que le requisitoire répond:l'ordonnance a obligé les témoins de déclarer s'ils étoient parens des parties, & à quel degré; mais c'est la première fois qu'on a osé dire qu'il falloit combiner le degré d'influence que le degré de parenté devoit avoir sur la valeur d'un témoignage. Ne seroit-ce pas aussi admettre une sorte d'inquisition sur les

consciences.

Dans le rescrit de Trajan il est dit : il faut vérifier le degré des preuves, parce qu'il vaut mieux absoudre un coupable que de condamner un innocent. Eh! qui peut douter un moment de cette vérité? Mais un accusé qui a contre lui la déposition de deux témoins n'est pas cet innocent dont le rescrit a parlé; & la maxime de Trajan ne peut s'appliquer dans une instruction autorisée par la loi, c'est la preuve par deux témoins; voilà la doctrine qui force la conscience du juge, quoique les faits déposés soient invraisemblables; le vrai peut quelquefois n'ètre pas vraisemblable. Vingt témoins ne prouveroient pas un fait impossible, mais ce qui paroît invraisemblable au premier aspect, se change en certitude légale par la force de deux dépositions juridiques. Un seul témoin rend un fait probable; ce témoignage isolé ne donne pas une démonstration; & cette preuve qu'un témoin unique ne peut produire, se réalise par le concours d'un second témoignage. Cette conviction légale suffit à la justice: voilà le titre de la condamnation; & cela apposé à des faits même invraisemblables. (appplaudi.) Il faudroit ici fermer le volume, s'il n'étoit pas nécessaire d'y lire encore que le requisitoire a conclu, & que l'arrêt a ordonné la suppression du mémoire de M. du Paty, comme tendant à dénaturer les principes les plus sacrés. Ce principe, que le requisitoire réhabilite, est le systême pur de la preuve légale dans toute son extension.

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Cette doctrine, messieurs, n'est donc pas une simple rêverie des docteurs, aussi peu connue que leurs noms & leurs poudreux volumes, & dont la pratique fut étrangère à nos tribunaux. Elle est passée de-là dans l'opinion populaire ; & c'est cette opinion qu'il faut non-seulement rectifier mais encore préserver pour l'avenir de toute rechûte, si nous voulons obtenir une bonne institution de jurés. La seule capacité supposée dans le juré est la rectitude de son jugement, tact est celui de sa conscience, sa regle est exclusivement sa conviction intime; & la garantie qu'il est naturel de desirer contre le danger apparent se trouve complettement dans sa

son

nature, dans sa composition, dans son impartialité indubitable, dans sa rénovation pour chaque fait, & dans la plus nombreuse réunion des suffrages. Les jurés sont placés au sein de la plainte, ils en suivent tous les progrès matériels & moraux, ils voyent & entendent les témoins, ils voyent & entendent l'accusé se défendre, ils voyent & entendent les témoins & l'accusé, poursuivant, disputant avec chaleur, ils voyent sortir la vérité de leurs débats contradictoires; à mesure que ce débat s'avance & s'anime, ils reçoivent une conviction intime, & s'impregnent de la vérité par tous les sens, par toutes les facultés de l'intelligence; cette conviction-là, dont les regles sont vraies & simples, vient principalement du sentiment d'une conviction intime, qui est celle de tous les hommes non légistes, non savans, non exercés, mais qui ont, avec un cœur droit, un jugement sain; cette conviction-là est la conviction humaine dans toute sa pureté & dans sa sincérité naturelle; c'est-là essentiellement la conviction morale qui ne se commande pas, & au-dessus des principes les plus subjugueure dans l'application; elle subjugue quand elle est sentie; elle ne peut être ni dictée ni sentie quand elle n'existe pas; elle est le critérium de la vérité humaine. (applaudie.)

Quand on considère que la preuve par écrit se trouve établie par-tout où l'on n'a pour juges que des tribunaux ; qu'en Angleterre & dans les Etats-Unis d'Amérique, où est le vrai juré, les preuves orales sont une méthode propre au juré, on est forcé de reconnoître que cette différence constante n'est pas arbitraire avec des tribunaux tels que nous les avions, susceptibles non-seulement de toutes les passions des corps permanens; mais encore de toutes celles des individus permanens qui les composoient, qui décrétoient & jugeoient, et que jugeoient le fait & le droit. Il étoit nécessaire de contenir le pouvoir effrayant dont ils étoient armés, en les obligeant de constater par écrit les bases & les motifs de leurs jugemens.

Mais quand on a des jurés, au contraire 9 on peut employer avec un plein succès, & même l'Angleterre & l'Amérique libres le prouvent sans réplique, la méthode libre des jurés. Qui peut seule assurer la liberté de la conviction morale? c'est la pureté, arme de l'institution du juré, qui en donne le droit & qui repousse toutes les vaines alarmes. Les jurés sont les citoyens, extraits du peuple: ils le représentent. Deux cents sont sur la liste; on en tire douze pour chaque jugement: c'est le sort d'abord, ensuite des

que

récusations qui déterminent quels sont ces douze. Ils sont juges une fois, ils rentrent aussi-tôt dans la foule des citoyens ; ils sont jurés aujourd'hui, & pourront être demain accusateurs, ou accusés devant ceux qu'ils devront juger. Ils sont sous les yeux & sous l'opinion de leurs concitoyens qui les entourent, qui voyent comme eux tout le procès, & jugent leur jugement. Ces hommes ne vous présentent-ils, pas, Messieurs, tout ce qu'on peut réunir dans des hommes pour établir la confiance publique & individuelle à laquelle il faudroit renoncer dans l'ordre social, si elle ne se trouvoit pas là? Et il faut encore la conviction uniforme de dix de ces hommes sur les douze, pour condamner; & il ne faut celle de trois de ces hommes, pour absoudre;: & ils n'ont en général aucun intérêt que celui de l'ordre & de la justice d'où dépend leur sûreté. Qu'on nous indique donc dans toutes les formes une méthode qui offre par autant de données favorables à la vérité une chance qui soit aussi sûre l'innocence ? & lorsqu'on a une pour institution aussi parfaite par l'expérience, pour garantir la bonne application de la conviction morale c'est se tourmenter à plaisir que d'en craindre le résultat; & c'est mal servir la société que d'altérer leur établissement par le mêlange d'un ancien ordre de choses qui a tant de fois trahi la vérité (applaudi). M. Tronchet soutient, & c'est son assertion la plus spécieuse, que l'écriture devant le juré ne nuira point à la conviction morale: avec l'écriture il reconnoît les deux avantages, au lieu que sans elle, nous, n'en avons qu'un; l'exécution matérielle & durable des jurés est incompatible avec les écritures. Dans un procès, comme je l'ai établi dans mon premier point, loin de s'assurer la jouissance de deux avantages on n'en auroit pas même un, puisqu'on finiroit par rendre en peu de tems l'institution nulle; mais nous avons ensuite pensé unanimement que s'il étoit possible d'écrire, il ne le seroit pas, quelques précautions qu'on prit que les avantages de la Conviction morale fussent conservés scrupuleusement avec l'écriture, & voici nos raisons: la plupart des absurdités du systême des preuves légales, quoiqu'elles ne fussent établies par aucune loi, se sont établies cependant. C'est qu'elles sont nées naturellement & même presqu'invinciblement de l'écriture. Il y en a deux causes, la première est que quand on opère sur des écrits, qui sont des objets

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purement matériels, l'embarras qu'on éprouve souvent sur-
tout à en apprécier comparativement les résultats, oblige à
se former pour cette opération des règles conventionnelles.
La seconde est que les écritures qui se conservent forment
le contrôle perpétuel du jugement dont elles peuvent être
rapprochées en tout tems, au lieu que les autres termes de
comparaison tirés des preuves morales non susceptibles d'ètre
écrites, ne laissent aucune trace. Or, les juges ont & auront
toujours tant qu'on écrira une propension inévitable à
conformer leur jugement plutôt à la conviction des actes
écrits qu'aux impressions de la conviction morale dont
les motifs disparoissent avec l'écriture (applaudi ). Suppo-
sons des jurés qui auront assisté à plusieurs séances d'in-
struction, rentrés dans leur chambre, & saisis du cahier
d'écriture, il faudra d'abord qu'ils examinent tout ce qui
ý sera contenu, que l'un d'eux, par conséquent, soit
& les autres écoutent. Je trouve déjà la
rapporteur que
& la forme & par
chambre des jurés transformée, par
la nature même de son travail, en une vraie séance de Tour-
nelle, obligée de s'accorder à la presqu'unanimité sur le résul-
tat des pièces pour fixer le degré d'égard qu'ils doivent avoir. Je
vois les esprits se divisant sur la valeur & le sens, ou l'exac-
titude de telles expressions, & la vérité mise au hasard du
plus ou moins de justesse qu'elle doit avoir dans l'apprécia-

tion des écritures.

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On a dit qu'elle favoriseroit & renforceroit les effets de la conviction morale, en rappellant les impressions qui l'ont produite. Il y a bien plus à craindre, au contraire, que cette méthode n'en détournât, & n'en altérât tout l'effet dans des hommes sans expérience. Combien d'entre eux qui auront saisi la conviction avec plus de justesse se trouveront cependant le moins en état de la conserver & de la défendre contre le choc d'une contradiction apparemment motivée. Les écritures, dans les mains des jurés, seront pour eux une source intarissable de disputes, de tiraillemens, d'incertitudes, de diversités d'opinions & d'anxiété de conscience pour hommes simples, & qui n'apportent à leurs fonctions que les notions communes de la vie privée. Les procédures écrites peut utilement sont comme ces instrumens dangereux qu'on ne confier qu'à ceux qui en connoissent l'usage; si quelqu'un d'entre eux sait habilement tirer parti d'une réaction pour inquiéter les hommes, sur la vérité des impressions qu'ils ont

les

senties,

senties, s'il a sur-tout quelque poids parmi eux, s'il vient à bout d'allarmer leur conscience, en leur faisant craindre que l'écriture ne déposât perpétuellement contre leur décision; ces derniers aimeront mieux souvent se défier de la justesse de leur conviction que de s'exposer au blâme d'avoir rendu un-jugement qu'on leur montreroit flétri dans l'opinion, par l'effet des écritures qui restent après le jugement. Il n'est donc pas exact de dire que l'écriture laisse un libre cours aux effets de la conviction morale.

Mais si elle peut l'altérer & la corrompre après qu'elle est acquise, elle peut encore l'empêcher de se former. Il est difficile de croire > en effet, que si le débat, devant le juré, est aussi froid, aussi traînant, aussi inanimé qu'il seroit nécessaire pour que les détails en fussent rédigés par écrit, il fournit beaucoup de ces traits de vérité, dont la conviction morale se compose, & qui ne peuvent être produits que par le mouvement & la chaleur qui ne s'échappent que dans l'abandon des confrontations, et en fournissent un exemple; elles sont en générale insignifiantes, parce que l'effet en est ralenti sans cesse par la nécessité de s'asservir à la lenteur de l'écrivain. Il est difficile encore d'espérer que les jurés, excédés par les fatigues & l'ennui de longues séances, employées presqu'entièrement à rédiger, pussent conserver le degré d'attention & d'intérêt par lesquels on recueille les vives impressions de la conviction, lorsqu'ils auroient sur-tout la confiance, qu'on leur remettroit toute la procédure écrite. Nous insistons, Messieurs, sur cette dernière réflexion dont la vérité nous paroît moralement évidente, quoique M. Tronchet ait cru y trouver une raison suffisante, une occasion favorable de frapper les jurés d'anathême en s'écriant, que si se sont là les hommes auxquels la vie & l'honneur des citoyens sont confiés, il faut se hâter de révoquer le décret qui les appelle. (On crie du côté droit : Il a raison. M. Lavie: Non, il n'a pas raison.) Cette proscription est trop rigoureuse. Tout ce qu'on peut raisonnablement conclure de notre observation, c'est que la force & l'attention des hommes ayant un terme marqué par la foiblesse de leur nature, il ne faut jamais les mettre dans une position qui exige plus de vertus que n'en comporte la perfection humaine. C'est aux instructions publiques à former les hommes; mais l'habileté des législateurs consiste à calculer les institutions & à les organiser sur ce qu'on peut se promettre d'obtenir des hommes. Formons donc une institution de juré telle que tous citoyens puissent en remplir visiblement & moraleTome XX. No. 2.

B bis.

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